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Chapitre 3: Etude expérimentale du rôle de la spéciation du soufre (organique et

3. Résultats

4.2. Suivi isotopique de la TSR en autoclave

L’étude préliminaire de multi-isotopie du soufre sur les sulfates et sulfures prélevés au cours de l’avancement de la réaction de TSR permet de voir l’enrichissement progressif en isotope 34S des sulfates tandis que les sulfures sont progressivement appauvris en 34S au cours du temps lors des expériences TSR1 et TSR 2 (Fig. 36A, B). L’analyse en δ34S montre aussi que la composition isotopique du sulfate et du sulfure en solution évolue linéairement au cours du temps (voir la Section 3.1.2. pour les équations liant l’évolution de la composition isotopique au temps de réaction). Cette observation est en parfait accord avec les mesures de

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Kiyosu and Krouse (1990) réalisées lors d’expérience de TSR initiées par du soufre élémentaire.

La représentation de la composition isotopique dans un diagramme Δ33S vs δ34S permet de mettre en évidence de nouvelles informations sur la composition isotopique de ces espèces soufrées. Lors de l’expérience TSR 1 il est clairement visible que le Δ33S des sulfates ne suit pas une évolution continue à l’inverse de la représentation en δ34S (Fig. 36A-C). En effet, les sulfates présentent une composition en δ34S et en Δ33S stable. Ceci est lié au phénomène de dissolution-reprécipitation des solides de sulfates sur la paroi du réacteur qui entraine la remise en solution cyclique des sulfates initiaux. C’est pourquoi, la composition des sulfates ne varie pas significativement au cours de l’avancement de la réaction.

De même, la représentation de la composition isotopique des sulfures dans ce même diagramme Δ33S vs δ34S montre deux pôles de composition isotopique des sulfures, un situé autour de +13‰ et un second autour de -6‰ en δ34S. Le premier pôle correspond à la composition initiale des sulfures issus de la dissociation du soufre élémentaire. Le second pôle (appauvris en 34S) pourrait être le marqueur de l’occurrence de la TSR, même si les mesures de l’évolution de la concentration en sulfate ou en sulfure en solution n’indiquent rien de probant à ce sujet. Dans les deux cas les valeurs en Δ33S des sulfures sont similaires et présentent de très grandes barres d’erreur.

L’expérience TSR 2 présente quant à elle la même tendance d’enrichissement des sulfates et d’appauvrissement des sulfures en 34S que ce soit sur une représentation du δ34S en fonction du temps (Fig. 36B) ou sur un diagramme Δ33S vs δ34S (Fig. 36D). Toutes les valeurs en Δ33S (sans distinction entre sulfates et sulfures) sont similaires (autour de 0.05‰). Cela montre que la réaction de TSR suit un fractionnement dépendant de la masse dans ces expériences. Rien dans ces expériences ne permet de dire que la TSR induit des anomalies de fractionnement isotopique du soufre dites "indépendantes" de la masse (S-MIF).

Il existe dans la littérature deux références (Watanabe et al., 2009 et Oduro et al., 2011) reportant des fractionnements isotopiques du soufre dit indépendant de la masse (S-MIF) lors de la TSR. Watanabe et al. (2009) ont réalisé des expériences de TSR avec des acides aminés comme agent réducteur et ont montré des anomalies de fractionnement allant jusqu’à 2.1‰ en Δ33S sur le sulfure produit. Cependant, leurs manipulations reposent sur un procédé similaire à la méthode d’extraction du soufre par attaque acide. Ils ont réalisé la réaction de TSR dans

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un ballon ouvert pour récupérer au fur et à mesure l’H2S produit dans une solution d’acétate de zinc. Ce qui signifie que l’H2S est continuellement extrait du système au cours de l’avancement de la réaction. Ce procédé ne reflète pas les conditions naturelles de TSR où les produits de réactions ne sont jamais extraits de manière continue. Les acides aminés sont en outre présents sous forme solide dans leurs expériences, ce qui complique encore le mécanisme de réduction et d’échange électronique car des processus aux interfaces (sorption, diffusion, co-précipitation) ne peuvent pas être exclu pour la formation de fractionnements indépendants de la masse comme décrit par Lasaga et al. (2008). De plus, cette expérience ne tient absolument pas compte des produits de réactions dissous. Chose étonnante, les valeurs en δ34S et Δ33S des sulfures (les sulfates n’ayant pas été analysés en cours d’expérience) ne suivent pas une tendance régulière comme observé lors de l’expérience TSR 2 (Fig. 36B-D). Or pour une réaction sous fort contrôle cinétique comme la TSR, une corrélation entre le δ34S et Δ33S devrait être observée. De plus, les auteurs ne présentent pas les valeurs en Δ36S de leurs expériences, ce qui empêche de vérifier si les valeurs en Δ33S et Δ36S sont corrélés avec des tendances similaires (comme observé dans l’expérience TSR 2 ; voir Table 7). En conclusion, la complexité de l’expérience et la nature des conditions expérimentales (acides aminées pure sous forme solide et extraction continue) ne permettent pas de conclure si les S-MIF mesurées résultent véritablement de la TSR.

Oduro et al. (2011) proposent également la formation de S-MIF par un effet magnétique sur les isotopes (Magnetic Isotope Effect ; MIE) grâce à la formation d’ions radicalaires tels que des thiols durant la TSR. Toutefois, les auteurs concluent que la TSR n’est pas envisagée comme mécanisme induisant des S-MIF dans des échantillons de la Terre précoce. Dans nos expériences la présence de l’ion radicalaire S3- est démontrée mais aucune variation en Δ33S ni en Δ36S n’est observée dans nos manipulations. Ce qui implique i) soit que le trisulfure n’est pas une espèce radicalaire susceptible de produire des anomalies isotopiques, ii) soit que ce ne sont pas les sulfates et les sulfures qui enregistrent ces anomalies et que ce seraient les polysulfures présents en solution à chaud (voir ci-dessous), ou iii) soit qu’un autre processus permet la formation de S-MIF. Le rôle des espèces radicalaires sur la formation de S-MIF par MIE reste donc à démontrer.

L’analyse multi-isotopique du soufre sur des espèces de valence intermédiaire pourrait donner de nouvelles informations sur la formation de S-MIF. Cependant, un autre protocole de récupération des espèces de valence intermédiaire du soufre doit être développé pour

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pouvoir analyser leur composition isotopique et ainsi savoir si ces espèces peuvent induire la formation de S-MIF. Notre tentative d’extraction du soufre élémentaire par l’hexane immédiatement après le prélèvement des solutions n’a pas permis de récupérer efficacement cette espèce. Le soufre élémentaire se forme au moment du refroidissement notamment à cause du disproportionnement des polysulfures (S3-, Sn2-, Sn0) présents en condition hydrothermale. Le soufre élémentaire est donc susceptible d’enregistrer la composition isotopique de ces polysulfures. Malheureusement, dans les conditions de nos expériences la concentration de ces espèces de valence intermédiaire du soufre à chaud est trop faible pour permettre une formation significative de soufre élémentaire lors du refroidissement, et donc une récupération aisée. La réalisation d’expériences contenant des concentrations en sulfates et sulfures plus élevées permettrait de résoudre ce problème.