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Chapitre 3: Etude expérimentale du rôle de la spéciation du soufre (organique et

1. Contexte de l’étude

L’expérimentation a pour but de reproduire les processus observés dans la nature pour en comprendre leur fonctionnement et ainsi, pour ce qui concerne les ressources minérales et énergétiques, améliorer notre connaissance sur la genèse des gisements métallifères ou pétroliers. Toutefois, de très nombreux facteurs rentrent en jeu dans ces processus géologiques (température, pression, réaction avec l’encaissant, nature du fluide, perte ou apport de matériel etc…). Ces facteurs complexifient de manière significative le système et il est donc quasiment impossible de reproduire de manière exacte la nature. L’expérimentateur doit donc simplifier le système géologique pour étudier quelques paramètres à la fois (le plus souvent la pression, la température, le pH ou la nature des réactifs) et petit à petit mieux comprendre le système dans son ensemble. Grâce aux avancées technologiques sur les outils analytiques, de nouveaux paramètres peuvent être pris en compte lors d’expériences en conditions hydrothermales. C’est pourquoi, dans cette étude nous nous basons sur de précédentes expériences décrites dans la littérature pour en compléter les données préalablement obtenues et ainsi mieux contraindre le système d’étude. Un nouveau protocole expérimental couplant i) des techniques analytiques classiques (réacteurs hydrothermaux et analyses des solutions prélevées), ii) des techniques d’analyses in-situ (spectroscopie Raman et Infrarouge couplée à des autoclaves ou des capillaires de silice) et iii) des mesures multi-isotopiques du soufre, est ainsi mis en place.

Cette étude repose sur deux séries d’expériences distinctes. Dans un premier temps des expériences de Thermo-Réduction des Sulfates (TSR) classiques ont été reproduites portant une attention particulière à la spéciation et au fractionnement multi-isotopique du soufre au cours de l’avancement de la réaction. Dans un second temps, des expériences originales de TSR ont été réalisées en capillaires de silice couplées à la spectroscopie Raman et Infrarouge

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phase aqueuse et phase hydrocarbonée (octane). Une attention particulière est portée à l’incorporation du soufre dans les hydrocarbures dans des conditions où l’ion radicalaire S3- et d’autres espèces polymériques du soufre (formées lors de la TSR) sont présents.

1.1. Etat de l’art sur les expériences de TSR

Notre connaissance du processus de TSR s’est considérablement améliorée depuis une dizaine d’années grâce à de nombreuses études expérimentales. La plupart de ces études se concentrent sur la TSR en contexte pétrolier (Krouse et al., 1988; Goldstein and Aizenshtat, 1994; Worden and Smalley, 1996; Ma et al., 2008; Zhang et al., 2007-2008; Amrani et al., 2008), en portant attention soit à la phase aqueuse, soit à la phase hydrocarbonée, mais aucune ne considère le système multiphasique dans son entier. Il en résulte une vision parcellaire des mécanismes réactionnels et donc une impossibilité d’extrapoler les résultats expérimentaux aux cas naturels. De plus, la plupart de ces expériences ne sont interprétées qu’au travers d’analyses réalisées à postériori après refroidissement et dépressurisation du système. Ainsi seuls les produits de réactions stables dans les conditions ambiantes de pression et de température sont analysés, mais pas les intermédiaires réactionnels, notamment les espèces transitoires ou instables lors du refroidissement des réacteurs.

Ces dernières années des études spectroscopiques in-situ à chaud ont été développées sur inclusions fluides synthétiques (Jacquemet et al., 2014) ou naturelles (Barré et al., 2017) afin d’analyser les différentes phases présentes dans un système à haute température. D’autres études se sont basées sur la technique des micro-capillaires de silice comme inclusions fluides synthétiques pour étudier des réactions inorganiques et organiques (Chou et al., 2008 ; Caumon et al., 2013 ; Yuan et al., 2013). Notre équipe avait utilisé cette technique des capillaires couplée à la micro-spectroscopie Raman pour révéler le rôle de l’ion trisulfure S3

-dans le processus réactionnel de la TSR (Truche et al., 2014 ; Chapitre 3D). De plus, les dernières avancées sur les analyses multi-isotopique du soufre (e.g., Farqhuar and Wing, 2003 ; Ono et al., 2006 ; Farquhar et al., 2010 ; Johnston, 2011) ouvrent de nouvelles possibilités d’interprétations des signatures isotopiques laissées par la TSR et notamment du rôle des espèces de valence intermédiaire du soufre dans le processus réactionnel. C’est pourquoi, la première partie de cette étude s’est focalisée sur le lien entre spéciation et fractionnement multi-isotopique des espèces soufrées en solution.

143 1.2. La sulfuration des hydrocarbures

Les hydrocarbures sont les agents réducteurs les plus couramment admis dans la réaction de TSR. La réaction est donc très étudiée dans des contextes de bassin pétrolier car elle induit la génération d’H2S, dont la présence est pénalisante pour l’exploitant à double titre, d’abord elle induit une dégradation quantitative et qualitative des hydrocarbures, ensuite elle engendre des difficultés opérationnelles liées à la corrosion des installations de forage et à la sécurité des personnels (haute toxicité de l’H2S). L’occurrence de la TSR dans les bassins pétroliers peut donc affecter la viabilité économique de l’exploitation. Le lien entre cette génération d’hydrogène sulfuré et la quantité de soufre incorporé dans les hydrocarbures qui y sont associés est bien connue (Orr, 1974 ; Krouse et al., 1988 ; Heydari and Moore, 1989 ; Machel et al., 1995 ; Worden et al., 1996 ; Manzano et al., 1997 ; Cai et al., 2003-2016 ; Amrani and Aizenshtat, 2004 ; Amrani et al., 2008-2012 ; Wei et al., 2012 ; King et al., 2014). Cependant, malgré de nombreuses études sur l’incorporation du soufre dans les phases hydrocarbonées (Orr, 1985 ; Hanin et al., 2002 ; Werne et al., 2004), le mécanisme et le chemin réactionnel de cette réaction reste très spéculatif. Les expériences précédentes correspondent majoritairement à des études de pyrolyses mettant en présence une phase hydrocarbonée, une phase soufrée (principalement H2S ou du soufre élémentaire) et parfois de l’eau (Nguyen et al., 2013-2015 ; Amrani et al., 2008 ; Kowalewski et al., 2010 ; Said-Ahmad et al., 2013). Dans chaque étude les produits de réactions organiques et inorganiques (principalement H2S et le soufre élémentaire) ont été analysés à froid. H2S et le soufre élémentaire sont les deux espèces communément admises pour induire la sulfuration des hydrocarbures (e.g., Powell and Macqueen, 1984; Amrani and Aizenshtat, 2004; Zhang et al., 2008; Kowalewski et al., 2010; Walters et al., 2011; Amrani et al., 2012; Amrani, 2014; Meshoulam and Amrani, 2017). Toutefois, la source et le chemin réactionnel d’incorporation de ces espèces dans les hydrocarbures restent à démontrer.

C’est la raison pour laquelle la seconde partie de cette étude concerne des expériences de TSR en présence d’octane. Grace à la technique des micro-capillaires de silice couplée à la spectrométrie Raman et infrarouge in-situ, la composition de la phase aqueuse et de la phase hydrocarbonée est analysée simultanément afin de déterminer la nature des espèces soufrées dans chacune des phases et leur rôle dans la sulfuration des hydrocarbures.

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