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2. La guitare et le mouvement : son vocabulaire gestuel

2.4 Les techniques de guitare « africaines » : le spectre d'influences urbaines et rurales,

2.4.1 Les styles de guitare katanga

évolué au cours des siècles d’esclavage.

2.4 Les techniques de guitare « africaines » : le spectre d'influences urbaines et rurales, traditionnelles et modernes

L'approche de la technique finger picking de guitare dans toute l'Afrique s’est développée à partir des rencontres engendrées par les déplacements des ouvriers de l’économie coloniale et le développement d'un réseau qui facilitait l'importation et la diffusion d’influences musicales latines, européennes et américaines. La propagation d'une technique de jeu générale par les Kru, le long de la côte ouest, a été atténuée par les nombreuses traditions musicales rencontrées, et qui furent davantage développées par le biais de l'urbanisation, des migrations internes des travailleurs et des réseaux technologiques de la radio et de l'industrie de l'enregistrement. Les approches techniques utilisées à travers le continent sont généralement caractérisées par l'utilisation du pouce et de l’index de la main droite, mais sont marquées par les degrés d'influences régionales de la musique traditionnelle, moderne et occidentale. L'introduction de la guitare électrique n’a pas toujours conduit à l'extinction des styles de finger picking, mais en a propagé l’utilisation dans le contexte politique de l'indépendance, par l'intermédiaire de la formation d’orchestres nationaux constitués de plusieurs guitares, tel que nous le démontrerons dans la dernière section de ce chapitre.

2.4.1 Les styles de guitare Katanga

Les styles Kantanga du Congo partagent certaines caractéristiques avec le

folkblues, par exemple, l'utilisation du pouce pour arrêter les notes graves sur la sixième

corde. La nécessité ergonomique de cette technique est parfois même neutralisée par un guitariste Katangan qui change l’accordage de la sixième corde de mi à fa afin de faciliter l'utilisation fréquente de la corde F6 [Annexe I]. On retrouve également d’autres similitudes, telles qu’une préférence pour les positions ouvertes et l'utilisation fréquente

du capo ainsi que divers accordages « ouverts » avec une nomenclature parfois partagée26. Ces accordages sont souvent utilisés en combinaison avec le slide ou bottle-neck par la main gauche, dérivant peut-être du jeu de la cithare, qui est un trait musical africain ayant survécu en Amérique du Nord27. On note aussi l'utilisation courante d'une technique de « vamping », similaire à celle de George Sibanda ou de Big Bill Broonzy, tel que décrit plus haut.

Dans ses transcriptions du jeu de guitare de Jean Bosco Mwenda, Rycroft (1964) fournit une base pour comprendre son style de guitare syncrétique, en fournissant une analyse harmonique et mélodique et en offrant un aperçu de ses différentes lignes d'influence. Dans son analyse de la chanson Masanga, la notion de la "sous-structure motrice" réapparaît à partir de ses observations sur les mouvements des doigts.Rycroft explique que la perception rythmique de Mwenda se localise dans les mouvements de doigts :

By maintaining a roughly constant “cycle of operations” in the left hand which is felt as the “bearings” of a underlying metrical scheme, whether or not its main beats receive accentuation...Bosco chooses in truly African fashion to phrase his melodies, group his notes, and place his accents wherever he wishes with regard to these “bearings” – often skillfully disguising his underlying metrical scheme for as many as six or more bars at one stretch by cross- accentuation...or juggling with a double cross-rhythm (ibid: 82)

Dans cet extrait il n’est pas évident de comprendre pourquoi Rycroft choisit de localiser sa conception de la pulsation à la main gauche, plutôt qu’à la main droite, lorsque c’est cette dernières qui est chargée de produire la trace sonore des mouvements d’attaque. Il n'y a toutefois aucune mention qui explique en quoi ce modèle de doigté consiste. L’auteur explore les origines de la structure globale de la métrique, de l’implantation d'une influence de la musique de Luba, de son affiliation tribale, bien qu'il ne trouve aucune influence préalable aux cordophones indigènes. De plus, son analyse repose seulement sur une comparaison de deux exemples de chansons Luba.

Cependant, Rycroft donne une perspective importante sur la nature de cette musique. La structure harmonique de Masanga fait usage d’accords courants en cordes à

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Par exemple, l’accordage dite “Spanish” – Re, Sol, Re, Sol, Si, Re – était utilize dans chaque context.

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vides à la première position, mais évite l'influence stricte de la progression de base occidentale. Le centre tonal de la pièce est sol majeur et repose sur un cadre harmonique répété, composé des accords I-V-II-V-I. On note l’interjection occasionnelle de la

séquence la mineur, fa, et sol, qui est semblable à ce que Blacking a dénommé une « root progression » (1959, 21-23), qui se caractérise par une descente d’un ton de la

fondamentale à la basse, un effet qui marque le développement harmonique de plusieurs musiques indigènes pour instruments à cordes. Ce principe est renforcé par une variante de la root progression retrouvée dans le jeu de Mwenda, laquelle repose sur cette alternance entre fa et sol [Vidéo 6]. L'utilisation de ce dispositif harmonique, dans les styles de guitare « tribal » ou « semi-tribal » est soutenue par Low (1984), et que l’on retrouve dans plusieurs exemples enregistrés par Tracey.

À partir des notes de Low et des séquences vidéo de Kubik, nous pouvons établir que Mwenda utilisait seulement l'index et le pouce de la main droite, avec tous les autres doigts au repos sur la table sonore. Sa posture de base de la main droite est essentiellement équivalente à la description de Cohen de la position du Piémont, avec le pouce étendu qui joue en alternance d’une manière semblable à celle des guitaristes américains. Néanmoins, Low postule que le jeu d’alternance du pouce fut développé indépendamment de l'influence afro-américaine et est plus probablement lié aux techniques de cordophones africaines. Il identifie l'influence latino-américaine dans l'utilisation de tierces parallèles et de sixièmes, ainsi que dans le clave de la rumba et le rythme de basse joué par le pouce. La « regular bass and fill in style » (Low: 118) qui caractérise le jeu de l’index et du pouce et les hauteurs graves et aiguës qu’ils produisent respectivement, sont conçus de la même façon aux instruments africains tels que la sanza, c’est-à-dire comme une interaction entre la «grosse» voix et la «petite» voix. Le pouce couvre généralement les notes graves et l'index les aigus même si cela peut être parfois substitué par l'utilisation d'un « cross finger technique » où le pouce descend à la troisième corde et l'index joue la note suivante sur la quatrième corde au-dessus en créant un modèle unique d'accentuation [Vidéo 7].

Une technique employée par Mwenda, est appelée « puzzle effect » par Kubik qui la définit comme étant des « pitch-lines that emerge from the depth of the total image of

the guitar sounds, without having been played as such by the musician » (2003:13) ; Rycroft fait allusion à ce phénomène qui se trouve à la mesure vingt-sept de sa transcription de l’enregistrement de Tracey. Il note que Mwenda déguise son schéma métrique à travers un « cross accentuation ». Cette ambiguïté est produite grâce à une progression d'accords de tonique à la sous-dominante dont la ligne de basse cyclique est accompagnée par un sol répété dans l’aigu grâce à l’index qui emploie la technique du

brush stroke. Ce qui ne ressort pas à travers l’enregistrement de Tracey, ou par la suite

dans la transcription de Rycroft, c’est une figure qui alterne entre si et do et qui émerge entre le sol répété et la ligne de basse cyclique. Sur la bande originale, cet effet est peu perceptible, mais présent. On peut supposer qu’il pourrait facilement avoir échappé aux deux chercheurs, car il n’est que subtilement perceptible sur l’enregistrement en question, qui souffre d’ailleurs d’une certaine distorsion. Cette figure se situe sur la deuxième corde et donc n’est pas frappée directement avec l'index, mais indirectement comme partie intérieure d’un brush. En plus, le do est fretté dans le cadre d'un mouvement des premier et deuxième doigts de la main gauche dans le modèle de l’accord de do majeur, afin qu'ils ne soient pas directement ciblés. Ce phénomène est clairement audible dans les enregistrements en studio de Mwenda, en 1982 (Audio 2).