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Histoire politique : Impact du colonialisme et du christianisme dans les régions Bassa

1. Les Bassa de Cameroun

1.2 Histoire politique : Impact du colonialisme et du christianisme dans les régions Bassa

Parmi les nombreux groupes ethniques qui composent le Cameroun, les Bassa sont particulièrement connus pour leur rôle dans la résistance à l’empiétement de leur territoire lors des premières arrivées européennes et furent au centre de la résistance

1 Njock trouve une ressemblance intéressante dans le suffixe ngé qui est un fétiche central dans la croyance des Bassa de Cameroun, mais note qu’il n’y a aucune étude sur la relation entre ces groupes.

2 Njock note l'existence de Bassa comme dialecte dans 14 pays différents au total : Angola, Congo, Ghana, Guinée, Indonésie, Kenya, Libéria, Malaisie, Mozambique, Nigéria, Sénégal, Soudan, Togo et Zambie 3Le cas de la M’poo est bien documenté (Yetna 2002 ; Mbep 2010) et Biya (1987:12) note leur catégorisation par les auteurs allemands comme sous-groupe distinct, quand en fait, elles partagent la même mythologie de génération dans la grotte sacrée de Ngok Lituba.

anticoloniale des années 1950 et 60. Les origines de leur opposition particulière ont quelque chose à voir avec leur structure sociale, leurs croyances traditionnelles, l'influence du christianisme et la situation économique sociale engendrée par des vagues successives de gouvernements européens. Joseph le résume en ces termes :

The bassa possess a social structure in which power is dispersed: a number of families grouped together in a village would be subject to some ‘direction` by the head of the most important and oldest family. At a higher level, the clan would comprise several such patriarchs…the impact of colonialism encouraged…among the bassa a highly dispersed form of existence (which) was preserved despite the efforts of successive administrations to group them. There are a number of factors which render the Bassa a people of radical, even anarchic, individualists : first, there is their unwillingness to be governed by other Bassa, much less colonial administrations ; second, the Bassa`s individualism…was reinforced by the work of the Protestant missions…third the dense forests which cover the greater part of their region provide a natural barrier to social cohesion; and, fourth, the failure of colonial administrations to endow their region with a basic road network, coupled with the sheer vastness of the area itself permitted many Bassa to live in a state of neglect and isolation (1977:135-136)

Avant l'arrivée des Portugais au XIIIe siècle, les Bassa occupaient la région côtière en tant qu’agriculteurs et pêcheurs, mais ils ont été déplacés vers l’intérieur du territoire par l'ethnie de Duala et par des commerçants européens tels que les marchands britanniques et néerlandais et esclavagistes. Bureau (1964:108) contextualise l’expérience des Bassa avec les premiers occidentaux au sein d'un schéma plus large de contact avec les populations côtières du Cameroun, ce qui consiste en plusieurs phases. Le premier contact fut avec les étrangers non colonisateurs, non missionnaires, soit les premiers explorateurs et commerçants qui faisaient preuve d'une « puissance supérieure « à travers la démonstration de pouvoirs technologiques. La deuxième vague était composée de blancs «non-exploiteurs», non-colonisants, soit des missionnaires protestants qui étaient contre la traite des esclaves et dont la foi, ou le pouvoir spirituel étaient considérés par les populations locales comme la source de leur puissance technologique. La troisième vague était composée de missionnaires de l'Église catholique allemande qui arrivèrent en même temps que les agents coloniales, établissant un lien entre les exploiteurs et les protecteurs, tel que les missionnaires agissaient souvent en tant qu’intermédiaire entre l'administration et la population locale.

La présence missionnaire au Cameroun précède le colonialisme de plusieurs dizaines d'années. Les premiers missionnaires protestants ont commencé à arriver sur l'île

espagnole de Fernando Po4 dans le golfe de Guinée dès 1814. Parmi les premiers missionnaires, il y avait le Baptiste jamaïcain, Pasteur Joseph Merrick et l’ancien esclave Alexander Fuller, qui sont arrivés peu après l'abolition de l'esclavage dans les colonies par la Grande-Bretagne, en 1834. Ils propagèrent rapidement leur message à l'intérieur du territoire, rencontrant une certaine résistance des chefferies locales. La conversion des populations locales a rarement été complétée telle que les missionnaires l'auraient souhaité et a souvent été acceptée par les nouveaux croyants à travers la reconnaissance de son utilité comme outil de promotion sociale. Comme le souligne Joseph : «little evidence of the erosion of traditional authority simply as a consequence of these conversions to Christianity. In most cases the ruling strata were able to fortify their power through appropriating the first fruits of religious activity: literacy, pastoral and lay offices within the church, improved technical and managerial skills and a mobilized laboring population » (1980:8).

L'histoire de la résistance de la Bassa à l’incursion coloniale remonte officiellement à la déclaration de l'autorité européenne d’un grand pan du continent africain. La Conférence de Berlin de 1884-1885 a divisé l'Afrique en régions d'influence coloniale, sans souci pour les ethnies que les pouvoirs européens regroupaient ensemble. L’Allemagne a officiellement établi la colonie du Kamerun en 1884. Bien que l'allemand soit devenu la langue d'une élite « autochtone », les Bassa étaient essentiellement traités en tant que «réserve» de main-d’œuvre et étaient soumis à les contraintes particulières lors de la construction du premier système de chemin de fer du territoire. Cette exploitation des Bassa persistera à travers la partition de Kamerun en mandats français et britanniques (par le Ligue des Nations) après la défaite allemande à la Première Guerre mondiale.

Nous pouvons comprendre l'influence occidentale sur la vie des Bassa par l’analyse des interactions entre l'autorité de divers groupes missionnaires établis dans la période

4 Connue aujourd’hui sous le nom de l'île de Bioko, Fernando Po a été fondée par les Portugais, puis occupé par les les négriers néerlandais et portugais, puis cédés brièvement aux Espagnols. Après l'abolition de l’esclavage au début du XIXe siècle, les Anglais construisirent des bases navales sur l'île et commencèrent à intercepter les navires négriers dans le golfe de Guinée. Ils ont également tenté de fournir une alternative économique par la promotion de l'industrie de l'huile de palme. Les Espagnols auraient récupéré l'île à la fin des années 1800.

précoloniale et les administrations coloniales subséquentes allemande et française, en particulier dans leurs attitudes concernant la langue d'instruction à l’école. Chaque changement dans le régime européen a engendré un changement dans l'influence missionnaire. Le British Baptist Missionary Society, une des premières organisations missionnaires au Cameroun, a été pris en charge par la mission suisse allemande Basler et, par la suite, la Mission baptiste de Berlin suite à l’établissement de l'État colonial. Après 1918, les Français ont expulsé toutes sociétés missionnaires allemandes, en les remplaçant par la société des Missions évangéliques de Paris, tout en laissant les presbytériens américains comme la seule organisation de missionnaires étrangers.

Les Américains se sont introduits auprès des Bassa en utilisant les infrastructures mises en place par les missionnaires allemands. Lors de leur passage au pouvoir, les Allemands ont voulu démontrer de la supériorité des méthodes occidentales et de ses valeurs, ce qui allait conduire à l’éradication spontanée des croyances et des comportements traditionnels de la population autochtone. Ils ont créé des zones d'influence, concentrant l'activité missionnaire loin des villages et des centres urbains5. En conséquence, leur expulsion soudaine a créé une lacune dans l'influence chrétienne de ces zones. Les Français, qui ne possédaient pas suffisamment de ressources ou de main-d'oeuvre après la Première Guerre mondiale, ont donc cédé aux Américains le contrôle de la station à Edéa et Sackabeméyé, dans le territoire Bassa. Ces deux missions sont devenues les centres d'activités évangéliques dans la région Bassa, et on agit tels des aimants pour attirer des convertis.

Dès le départ, les objectifs et les méthodes du gouvernement français et celles de l'église évoluèrent parallèlement, en mettant l'accent sur une éducation de style occidental des populations locales, sur l'amélioration de la protection sociale et sur l'inculcation d'une conscience morale et d’une éthique de travail adaptée à la vie sous le régime colonial.

5 « Because of the actual choices made by the European missionaries regarding the location of their first stations, the geographical directions in which they intended to expand, and the languages to be used for their printing and proselytizing, they were also acting to influence the pattern of social development among the local peoples in ways far transcending religious practice» (Joseph 1980: 32)

Quant aux missionnaires, l'administration coloniale était beaucoup moins préoccupée par l’éradication des croyances traditionnelles, tant que leurs activités n'affectaient pas le maintien de l'ordre et le développement économique. Parfois, ceux-ci agissaient en tant qu’arbitres entre les groupes autochtones et les diverses missions, intervenant plus particulièrement en ce qui concerne la question de la polygamie, qui, pour l'église, fut particulièrement pénible. Une déclaration d'un délégué français en 1932 résume la position de l’État : « doubtless, Christianity, by developing an individual conscience, might affect native customs and undermine the authority of the chiefs. The question was whether it was better to have a Christian population less respectful to its chiefs, or a population submissive to its chiefs but uninfluenced by the Catholic or Protestant churches »(Permanent Mandates Commission, cité dans, ibid : 13).

L'administration coloniale française a toutefois pris une position rigide en ce qui concerne les questions de langue6, en s’opposant en particulier à l'instruction dans la langue vernaculaire, laquelle était centrale à l'approche éducative des missionnaires. Ceci est peut-être dû au danger que l’instruction dans la langue vernaculaire pourrait contribuer à créer de l’opposition à leur autorité. Les Allemands furent les premiers à observer l'impact de la politique linguistique sur le contrôle social et politique. Dans le cas du peuple Douala, ils ont vu une corrélation entre les efforts visant à promouvoir l'alphabétisation, l'extension géographique de la langue vernaculaire de l'activité missionnaire et la rébellion qui eu lieu ensuite parmi ces mêmes groupes. Joseph l’explique ainsi :« by translating the Bible into the language of one or the other of the larger local communities, the missionaries served to enhance that group's social and linguistic hegemony relative to other smaller groupings » (Joseph 1980: 32).

Après leur arrivée au pouvoir, les Français ont décrété que seules les écoles avec

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Joseph plaide pour le nationalisme linguistique français comme motivation principale dans l'élaboration de la politique linguistique en Afrique coloniale française :

« For the French colonizers, teaching their colonial subjects the French language was never to take second place to getting them to honor French sovereignty over their territories or putting their labor (and their lives in time of war) to the service of Greater France. The emergence of African cultural nationalism in response to that of the French was tantamount to the shoring up of earth work dikes to withstand a tidal wave. To this day, the French have not eased up in fostering a glorification of all things French, and especially the expression of all things in French, among their erstwhile colonial dependents » (1980: 18)

l'instruction en Français seraient reconnues et admissibles aux subventions de l'État. Cela menaçait directement les opérations du M.P.A, qui avait alors établi quelque 600 écoles dans sa zone d'opération. L’administration coloniale ne pouvait espérer rivaliser avec l'influence des missionnaires qui avaient bénéficié d'une importante longueur d'avance. À la fin de la Première Guerre mondiale, le M.P.A a été une force importante d’éducation dans le territoire de la Bassa avec quelque 25 000 étudiants fréquentant régulièrement l'école, un des taux les plus élevés de l'Afrique coloniale française entre les deux guerres.

Dans leurs écoles, le M.P.A a continué l'approche introduite par les missionnaires allemands. Leur désir de former rapidement de nouveaux convertis les a poussés à choisir la langue vernaculaire comme première langue d’instruction. En raison de la non- appartenance de l'Amérique aux Nations Unies, leurs missions à l'étranger n'étaient pas garanties par le système de mandat, qui avait rendu obligatoire l'enseignement de la langue vernaculaire pour éviter l'arrachement trop brusque de l’étudiant à ses traditions (ibid.). Un traité distinct a été nécessaire pour régler le différend. En conséquence, les Américains firent progressivement du français la première langue d'enseignement, la politique de l'enseignement dans la langue vernaculaire resta une question controversée.

Bien que l'instruction en langue vernaculaire n’a pas été entreprise avec l’intention de préserver les traditions culturelles africaines, l'effet fut apparemment le même. Il est important de noter que malgré une certaine résistance à l'influence coloniale et missionnaire, « [there] remain certain patterns of sociopolitical and economic behaviour of various Cameroun peoples which can’t be explained without reference to the differentiel imapct of european christianity » (ibid). Comme la note Messina : « De nombreuses conversions permirent que se développent de nouvelles valeurs sociales chez les Bassa. Il semble que l’emploi de la langue bassa a fortement contribué à ces progrès. » (2005: 91).

Après la Seconde Guerre mondiale, il semble y avoir eu une plus grande collaboration entre les missionnaires et l'autorité coloniale, peu importe l'appartenance religieuse ou

nationale. Les presbytériens se déplacèrent vers l'est. En 1945, ils ouvrirent leur école la plus ambitieuse, le Collège Évangélique de Libamba dans la région de Makak. Ces groupes comprenaient l’importance de préparer les étudiants à une formation universitaire. Sa création fut possible grâce à l’effort conjoint de l'administration coloniale, qui a accordé le prêt pour sa construction, et de la Mission de Paris qui possédait les terres, ainsi que des presbytériens américains qui étaient chargés de l'exécution de l'école. Cela s’est traduit par la création d'une des institutions les mieux classées au Cameroun, ce qui a conduit plusieurs générations de Camerounais à des niveaux de formation élevés. L'un d'entre eux a été Pierre Emmanuel Njock, père d’Atna, qui étudia à l'Université de Strasbourg, enseigna à Libamba et plus tard, à l'Université de Yaoundé. C'est également à Libamba qu’Atna a reçu sa formation et fut pour la première fois en contact avec la musique occidentale [Tableau 5 et 6].