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2. Atna Njock : son univers musical

2.2 L’influence des Pygmées

Selon Atna, la source ultime de la pratique musicale bassa et celle de toute la musique traditionnelle des Bantous de l'Afrique subsaharienne est la musique des Pygmées, spécifiquement celle des Baka d'Afrique centrale. Il décrit ces groupes d’habitants forestiers, chasseurs-cueilleurs, comme « les premiers hommes de l'Afrique » et en tant que tel, à l'origine des différentes langues bantoues, parlées et musicales. Son avis s'aligne sur l’avis commun aux groupes bantous dont la mythologie contient souvent une histoire de migration, dans laquelle les Pygmées ont agi comme guides, présentant ces agriculteurs à la richesse de la forêt et à des techniques spéciales (Bahuchet 2012). Ils sont donc souvent considérés comme des êtres sacrés, surnaturels et ainsi, inspirent une gamme d’émotions allant de l’admiration au mépris au sein des différentes sociétés Bantous avec lesquels ils sont entrés en contact.

Le Cameroun abrite de nombreux groupes Pygmées. Les plus grands (environs 40 000 habitants) sont le Baka qui habite le sud-ouest du pays bordant la République centrafricaine et la République du Congo. Un groupe plus petit (environs 4000 habitants), les Bakola où Bagyeli, vit dans le sud de la partie occidentale du pays. Historiquement, ces groupes de pygmées ont établi des relations avec divers villages de Bantou, adoptant leur langue tout en résistant à l'assimilation, et en conservant la majorité de leurs pratiques culturelles (Bahuchet 1995). Au cours des dernières décennies, celles-ci ont commencé à s'effriter face à l'intensification de l'exploitation économique de la forêt à laquelle leur identité et l'existence même sont inextricablement liées.

Atna décrit une relation de longue date entre son village de Kaya et un groupe de Pygmées situé au sud, de l'autre côté du fleuve Nyong. Il se réfère à eux comme un sous- groupe des Baka, mais quand on lui demande de les nommer plus précisément, il propose

le terme Bakola. Selon la théorie de Bahuchet, le Bakola-Bagyeli et les Baka sont « deux populations différentes et successives », qui n’ont pas un vocabulaire commun. Les Bakola-Bagyeli sont des agriculteurs semi-sédentaires qui ont néanmoins conservé la pratique de la chasse. Bien que les données linguistiques montrent une influence notable des mvumbo (A81), un groupe ethnique bantou côtier avec lesquels ils partageaient une « relation privilégiée », ils sont néanmoins entrés en contact et ont développé des relations avec de nombreux groupes Bantous, dont les Bassa (ibid).

Bahuchet fournit quelques indices musicaux qui indiquent que les Pygmées dont parle Atna comme Bakola et non Baka. Il note l'utilisation d'un instrument de percussion collective, la poutre frappée, une bûche longue utilisée par les deux groupes, strictement par des hommes en sociétés Baka, mais aussi par des femmes parmi les Bakola. Bahuchet constate aussi l'absence [chez les Bakola] de l'utilisation caractéristique du jodle et de la polyphonie contrapuntique que pratiquent les baka (ibid).

Atna dit avoir été initié par des musiciens pygmées qui visitèrent le village pendant plusieurs jours, avec lesquels il échangea des biens et des connaissances. Bahuchet note que « in several places, the young people [des groupes pygmées et des sociétés de Bantu en question] are admitted to the ceremonies of initiation of the other society giving rise, in this way, to lifelong ties of friendship » (2012). Lors de ces visites, Atna aurait appris d'eux par le biais de la méthode orale d'observation et de répétition. Dans un documentaire vidéo18 qu’il a produit en 2003, Atna visite le village de ces pygmées. Après avoir traversé le fleuve en canot, Atna se présente en jouant une introduction musicale sur le mbe, en utilisant le « code » rythmique pygmée de la danse de mpeya, qu'il décrit comme une sorte de mot de passe, communiquant son lien historique avec le groupe. Un des anciens membres du groupe semble se reconnaître en lui, le qualifiant de

18 Cette vidéo a été très importante pour Atna qui était extrêmement inquiet à l'idée que quelqu’un puisse la lui prendre. Il n’est pas publié.

« fils de l'homme », ce qui signifiait pour Atna la reconnaissance de la relation de sa famille à son peuple19.

De ce qui est démontré dans la vidéo et la correspondance géographique qu’a fait Atna de l'emplacement de ce groupe pygmée, puis des indications de Bahuchet concernant le contact historique entre le Bakola-Bagyeli et les Bassa, nous pouvons raisonnablement conclure que les Pygmées en question font partie de ce dernier groupe. En plus, la vidéo montre l'utilisation de la poutre frappée par les membres féminins du groupe pygmée. Plus tard, on voit aussi une femme « maître » musicienne et danseuse impliquée dans le rituel de mpeya. Nous n’entendons à aucun moment dans la vidéo les pratiques vocales polyphoniques ou du yodle.

La vidéo présente une légende qui accorde à la musique et à la danse de ce groupe un rôle central dans la vie sociale pygmée, reflétant des caractéristiques similaires à celles de la musique traditionnelle des Bantous, dont la fonction est :

Les mouvements de danse, le son des rythmes et des chants assurent les fonctions d’éducation, d’initiation, de socialisation, de guérison, de divertissement, d’amour et de transmission de l’héritage ancestral20.