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2. Les éléments musicaux et la danse

2.2 La danse assiko

Comme plusieurs musiques traditionnelles africaines, la musique de l’assiko ne peut être comprise dans sa totalité sans prendre en considération la danse. Dans la structure de l’assiko, la musique et la danse procèdent de paire. Les spécificités musicales, rythmiques et mélodiques de chaque nouvelle section sont souvent minutieusement reproduites par les danseurs.

      

12 Il note en particulier un relation entre la conception de la fabrication des textiles, avec les modèles de

warp et woof, dans plusieurs aspect de la musique bantoue (2010 : 316). Wognon note aussi une géométrie

sacrée chez les bassa qui symbolise les origines de l’homme (2010: 44).

13 L’évocation sous forme de rythmes additif sert simplement ici à reproduire l’impression auditive, et non à suggérer cette conception comme intrinsèque aux musiciens d’Afrique centrale.

L’assiko est alors un style de danse qui met l’emphase sur la contacte entre le pied nu du danseur et la terre. Le mot assiko lui-même signifie le « plan des pieds ». Selon les initiées du style assiko, le mot dérive du bassa, isi, qui veut dire terre, et ko qui veut dire

pied. Les mouvements des danseurs consistent principalement en des mouvements

discrets, mais complexes, des pieds, lesquels s’effectuent debout ou parfois accroupis et qui donnent l’impression de se déplacer en flottant au-dessus du terrain. On note une rotation régulière des reines ainsi que des mouvements tournants des épaules. Le torse et la tête restent généralement très fixes, avec les mains étendues, les palmes pointant vers le sol, ajoutant de temps en temps des interjections.

Les mouvements caractéristiques des danses africaines ont souvent évolué selon le contexte et les traditions locales. Les mouvements typiques d’un style peuvent correspondre à un mouvement quotidien nécessaire à la vie communautaire dans une région donnée (Lomax, 1968 ) ce que Bakare et Manns décrivent comme « a language of kinasethetic expression, a movement vocabulary deriving from their mode of living » (2003: 221). Dans le cas de l’assiko, on note une relation entre les mouvements subtils des pieds et l’aire géographique des Bassa qui ont habité des terres marécageuses des régions côtières et fluviales où la manière de se déplacer nécessitait souvent un «light floating foot placement to avoid being bogged down » (ibid). Ces même auteurs notent

aussi cette caractéristique de la danse assiko des peuples côtiers Ijaw de la région voisine du delta Nigerien « where the footwork of the dances consists mostly of shuffles» (ibid). Une influence possible plus directe peut dériver de la manière traditionnelle de traiter les noix dans la préparation de l’huile de palme, laquelle était la responsabilité des femmes. Celles-ci creusaient un trou au bord d’un fleuve qu’elles remplissaient avec de l’eau et des pierres, roulant ensuite les noix sous leurs pieds pour enlever leurs coquilles. Atna atteste néanmoins que les pas d’assiko sont restés enracinés dans les mouvements de la danse bekele.

L’effet de lévitation produit par les mouvements des pieds typiques de l’assiko sont soulignés par le choix de vêtements. Le costume traditionnel consiste en un pagne long et

un t-shirt sans manches. Le narrateur du documentaire d’assiko le décrit en soulignant sa place au sein de la tradition bassa :

De la jeunesse de l'assiko à nos jours, on n'allait pas sur la place des fêtes exécuter cette danse sans se préparer spirituellement et physiquement. Le danseur devait d'abord, sur le plan spirituel, évoquer ses ancêtres pour une assistance franche et sereine pendant l'exécution de [cette] danse. Après un ensemble de rites, il devait jeter ses vêtements, constituer d'un démembré [t-shirt sans manches], d'une paille, d'un vieux tissu au sol avant de les ramasser un par un pour se revêtir le corps. (ibid ; 13:43)

On voit aussi le port d’un tissu sur la tête pour les hommes, lequel semble servir à marquer qui est le chef de la troupe de danse lors de l’exécution de la chorégraphie, et à maintenir la cohésion des changements de pas pendant le déroulement de la danse. Maxwell et Massoussi (ibid) attribuèrent à Jean Bikoko l’insertion du mouvement des reines dans la danse assiko ainsi que la « ceinture » du pagne qui accentue ces mouvements. Cependant, ils ne nous renseignent pas au sujet de l’origine ou de la fonction de cette inspiration. Tout cela ajoute au mystère qui entoure les origines de l’assiko et la danse bekele en particulier.

Une étape significative dans son évolution est arrivée avec l’interdiction faite aux femmes de participer comme initiée à cette danse au début des années soixante. Devant la nature patriarcale de la société Bassa à l’époque, l’introduction des femmes à cette danse « réservée qu'aux hommes déjà circoncis et initiés par les grands maîtres »14 on peut

présumer que ce changement était le résultat des conditions sociales très spécifiques et sans précédents. Puisque ce développement date de la période juste après la fin du premier maquis des bassa, ou une majorité d’hommes était impliquée dans la lutte anticoloniale, dans laquelle plusieurs ont était tués, on peut présumer la nécessité de préserver cette tradition à travers l’initiation des femmes. Le lien entre la danse ngola15 des femmes, qu’Atna décrit comme étant « l’autre nom du bekele », nous donne au moins       

14 Narrateur du film Doc Assiko (Bonga, 2012 ; 15:22) 15

Un des seul « documents » qui liste diverses formes de danse Bassa décrit le ngola comme suit : « Danse des femmes, danse profane, elle marque sans doute un grand événement qu’est le mariage ou le retour de la pêche féminine, ou la fin des travaux de maçonnerie. Mais elle est exécutée en plein jour par les femmes. Pendant la cérémonie de mariage, les filles de la famille de la jeune mariée, par leur chant, vantent les vertus morales et la beauté physique des filles de la famille et en particulier celles de l’heureuse élue ». Plus loin on décrit l’assiko comme « la danse la plus populaire (mais pas si profane qu’on pourrait croire) des Bassa. Beaucoup de théories circulent sur la genèse de cette danse. » (Francis, 2013)

un indice des syncrétismes qui ont été effectués à travers ce style.

Avec l’introduction des femmes au cercle de danse assiko, les mouvements des hanches et des reins ont provoqué des réactions dénonçant la suggestivité, ce qui a accompagné presque obligatoirement les danses d’origine africaine dans leur contact avec la culture chrétienne qui, historiquement, a nié toute représentation de la sexualité. Il est important de se rappeler que la sexualité est souvent un thème abordé directement dans la danse de nombreuses sociétés en Afrique, et qu’il a souvent des fonctions éducatives. Bakare et Mans notent que les allusions à la sexualité dans les danses sociales peuvent être aussi satirique ou festive, et ont la fonction de « relief mechanisms to dissipate in open dramatic action the psychological backlashes of the strict pre-marital sexual prohibitions characteristic of most African indigenous cultural mores» (ibid: 228). Les allusions directes à la sexualité à travers la danse assiko sont un aspect moins présent dans les présentations en contexte festivalier16, mais plusieurs exemples peuvent être observés

dans des contextes urbains17. On note que les mouvements des hanches sont accomplis

par tous les danseurs, peu importe leur sexe. Pr. Bitja'a Kody résume ce point ainsi :

Certains pensent qu'il est très suggestif parce que les mouvements des reins que les danseurs d'assiko utilisent ne sont pas du tout évident à pratiquer et également on se dit qu'il faudra être un initié pour pouvoir réaliser ces différents mouvements, autant les reins que les pieds…un peu aussi les épaules parce que c’est tout cela qui participe de la danse assiko. (Bonga, 2012 : 17:53)

Les sections de solo sont souvent caractérisées par des épreuves de force qui démontrent l’équilibre et la maîtrise du danseur. Atna explique ces sections comme des vestiges de la transe de la danse de guérison bekele comme il est traduit en contexte urbain pour prendre l’air spectaculaire, ou les participants « ajoutent des créations qui exigent le dépassement de soi ». Ces démonstrations sont pour la plupart effectuées avec la bouteille de bière. L’ouverture de la bouteille de façon atypique et le soulèvement d’un objet lourd d’une caisse de bouteilles au-dessus de la tête en utilisant seulement les dents sont les exemples les plus fréquents. C’est un autre motif, avec son exploitation du niveau spatial       

16

Voir la prestation du groupe Encyclopedie d’Assiko,https://www.youtube.com/watch?v=aOJhnosI22k. 17

Voir, 4:50 du video Olivier de Clovis ASSIKO GROUP,

https://www.youtube.com/watch?v=6pN1olig8RY, et 5 :49 de JEAN BIKOKO ALADIN,

en balançant une ou plusieurs bouteilles au-dessus de la tête en pleine exécution de la danse, qui est le plus significatif des liens spirituels (Bakare et Mans 2003). C’est donc ces épreuves qui sont les plus fortement représentatives de la spiritualité pour les participants, car c’est « lors de l'exécution de l'assiko que l'on comprend toute la signification mystico-religieuse de cette danse à travers les postures des danseurs en état de transe avancé »18. Pour les participants, l’état de transe réalisé par les danseurs assiko

leur permet de communiquer avec le monde invisible, « d’ouvrir les portes de l’au- de là »19

. Ce genre de rite de transe collective correspond à ce que Rouget identifie comme la transe « possessionnelle » ou « l’esprit d’une divinité venant dans le monde des humains et habitant momentanément le corps et l’esprit d’un adepte » (1985, cité en Becker 2005: 466). Atna décrit aussi ces situations de « transe communielle » ou l’état se produit à travers des évènements de prières collectives où la possession peut se réaliser non seulement chez le danseur, mais chez les participants non-initiés qui sont tout à coup capables d’émettre des « messages rythmiques ».