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Les structures souterraines liées à la notion de stockage

6. Le contenu des structures souterraines

1.1. Les structures souterraines liées à la notion de stockage

Revenons donc sur les trois critères essentiels des contextes de stockage : un contexte de stockage se défi nit par l’existence conjointe d’un lieu prévu à cet effet, de biens, c’est-à-dire les produits du stockage, et d’une certaine cohérence dans leur disposition qui atteste du fait de leur accumulation. Chacun de ces trois points doit donc être envisagé individuellement.

1.1.1. Le lieu du stockage

La morphologie des structures souterraines du massif du Barajas a montré qu’il existe un ensemble de dénominateurs communs à toutes les cellules, qui les différencie des autres vestiges architecturaux et qui justifi e qu’elles soient réunies au sein d’un même corpus. Ces caractéristiques peuvent être énoncées en plusieurs points :

1. Les cellules sont des constructions en pierre sèche, édifi ées dans des terrasses artifi cielles, ou, éventuellement, dans des plates-formes.

2. Si leur longueur et leur profondeur varient, leur largeur en revanche, ne dépasse jamais celle de la portée d’une dalle de basalte seule portée par les murs latéraux ou de plusieurs, disposées en encorbellement.

3. Toutes les cellules sont couvertes par des dalles.

4. Elles sont toutes souterraines ou semi-souterraines. En réalité cette question est assez délicate parce que, dans certains cas, la position souterraine peut-être faussée par l’accumulation sédimentaire au bord de la cellule. Il faut néanmoins comprendre que les constructeurs ont toujours respecté les mêmes normes constructives, mêmes si les résultats obtenus diffèrent quelque peu : soit ils ont aménagé des cellules dans le remplissage d’une terrasse ou d’une plate-forme artifi cielle, soit, et ce cas est fi nalement assez fréquent, ils ont adopté la même technique pour construire, contre le pendage naturel d’un terrain des bâtiments plus complexes, parfois étagés.

Dans le même temps, ces constructions peuvent présenter beaucoup de variantes, mais qui relèvent des modalités d’utilisation des espaces souterrains et celles-ci seront traitées plus tard dans le texte.

Un seul élément de notre corpus ne répond pas aux critères énoncés plus hauts : il s’agit de la structure NOG-C3’01 ; sa morphologie ne correspond pas exactement à celle des autres parce que, d’une part, elle ne semble pas avoir été couverte par des dalles puisque nous n’en avons retrouvé aucune, ni à sa proximité, ni à l’intérieur, mais surtout, parce qu’elle est aménagée au centre du patio d’un bâtiment monumental ; en fait, si son sol devait effectivement se situer en contrebas du niveau d’occupation du patio, une bonne partie de l’espace interne était peut-être en élévation, sans que la cellule ne soit adossée à aucune pente. Ces différences morphologiques ne constituent qu’une facette des multiples aspects qui différencient cette structure des autres, comme nous le verrons plus loin.

En résumé, il est important de retenir que presque toutes les structures souterraines qui ont été observées sur le massif présentent certaines spécifi cités qui semblent relever de normes constructives précises, malgré la variabilité de certains autres aspects. On peut donc attester de la cohérence morphologique des éléments de notre corpus, qui pourrait traduire l’existence de lieux spécifi ques construits pour un usage particulier. Dans le même temps, il semble que l’aménagement d’espaces souterrains ne soit pas exclusivement reservé aux constructions de notre corpus.

1.1.2. Les produits du stockage

L’analyse des biens constitue l’un des points les plus épineux de notre étude. Rappelons qu’une structure de stockage suppose nécessairement l’existence d’une quantité signifi cative de biens.

L’étude du contenu des structures souterraines a montré qu’elles abritaient principalement du matériel céramique dont la nature, la quantité et la forme variaient cependant substantiellement d’une cellule à l’autre, et ce, même lorsque les structures souterraines appartenaient au même complexe architectural. Le matériel lithique était, quant à lui, très peu abondant, et le matériel botanique, comme les restes osseux, ne sont apparus que sporadiquement. De ces faits il faut sans doute retenir une idée principale : toutes les cellules ne contenaient probablement pas les mêmes types de stocks et pas de la même façon. Peut-on alors encore parler de stocks ? Nous n’aborderons cette question que dans la prochaine section, mais rappelons, pour le moment, que la défi nition de départ mentionne qu’il faut avant tout s’assurer que les artefacts ou autres produits contenus ont une réelle valeur économique et qu’ils présentent une certaine homogénéité, en admettant que l’on puisse parler d’homogénéité dans la nature des biens ou dans la valeur de ces biens ; gardons à l’esprit l’exemple du trésor, qui constitue dans un certain sens un stock ; les biens sont pourtant tout à fait différents les uns des autres, et leur homogénéité repose sur la forte valeur économique de chacun d’entre eux.

Si l’on considère le matériel céramique, qui est fi nalement l’angle le plus pertinent pour aborder la question du contenu des structures souterraines, nous avons compté, classé et décrit tous les artefacts céramiques contenus dans les cellules. À partir de cette analyse, nous avons constaté que les récipients de stockage/transport sont à peu près aussi nombreux que les récipients de consommation/ service représentés par des écuelles (dont les dimensions suggéraient qu’elles aient servi de bouchons aux jarres). Parallèlement, nous avions supposé que cette variabilité morphologique serait diffi cile à expliquer dans un contexte de stockage, et nous nous sommes tournées vers les contextes funéraires,

et le seul contexte domestique analysé à cette époque. L’examen de ces contextes a révélé des comportements céramiques bien différents : les caractéristiques céramiques des contextes funéraires sont très spécifi ques et ne peuvent être confondus ; dans le contexte domestique, la proportion des récipients de préparation/service était largement plus forte que dans les structures souterraines, et le matériel de ce genre apparaissait plus varié aussi puisque les bols s’ajoutaient de manière assez signifi cative aux écuelles. Ces observations n’étaient malgré tout pas suffi santes pour affi rmer que les comportements céramiques des contextes résidentiels-domestiques différaient radicalement du comportement céramique des structures souterraines. En réalité, ce n’est qu’en considérant toutes les informations conjointement que l’on peut commencer à trouver un sens à ces différents aspects et, pour cela, il faut commencer par réfl échir sur la variabilité des vestiges céramiques. Lors de la présentation des résultats sur la céramique, nous avons souligné, à plusieurs reprises, que les récipients contenus dans les cellules présentaient des formes variées. Or, si l’on observe à présent l’ensemble des résultats, il faut admettre que cette variabilité évoluait dans un éventail de choix relativement restreint. Tel n’est pas le cas de NOG-C3’01, en revanche : outre la quantité absolument considérable de matériel céramique qui s’y trouvait, les formes observées présentent des variations beaucoup plus importantes qu’ailleurs : on retrouve, par exemple, des fragments de coupes décorées au “pseudo- cloisonné”, en d’autres termes d’un type assez exceptionnel sur le massif, à côté de bols, d’écuelles et de jarres monochromes. Par conséquent, il faut envisager la variabilité du matériel céramique non pas à l’échelle des types connus pour les seuls espaces souterrains, mais à l’échelle de tous les types en usage dans le massif ; de la sorte, on se rendra compte fi nalement, que les formes observées dans la plupart des cellules ne varient pas autant que nous le soupçonnions.

En réalité, quatre cas doivent être distingués quand on s’intéresse au contenu des structures souterraines :

1. D’abord on distingue les cellules vides, qui ne présentent aucun type d’artefact ou des quantités tout à fait insignifi antes.

2. Viennent ensuite les cellules qui contenaient des quantités parfois importantes de matériel céramique réparties de manière équilibrée entre les récipients de consommation/service et les récipients de stockage/transport.

3. Il faut encore mettre à part deux cellules qui contenaient des récipients qui n’entrent, ni dans la catégorie des récipients de préparation/consommation, ni dans la catégorie des récipients de stockage/transport : il s’agit de TOR-02’03 et TAP-A1’01. Dans chacune d’entre elles, en effet, nous avons découvert un récipient complet d’un type rare sur le massif. TOR-02’03 contenait également les seuls poinçons en os humains connus pour le massif. Il ne fait guère de doute que la rareté de ces pièces doit être proportionnelle à leur valeur économique, et que nous sommes là dans des cas de fi gure à mettre à part.

4. Enfi n, nous avons distingué NOG-C3’01. L’importance de son contenu affi lie la structure incontestablement à un dépotoir, ce qui est cohérent avec l’hétérogénéité du matériel.

1.1.3. L’action du stockage : l’accumulation

Considérer “l’action du stockage” revient à examiner les traces des aires d’activité. Nous avions mentionné à ce sujet, dans le premier chapitre, que le stockage était une activité qui devait se manifester par la découverte d’une quantité signifi cative de biens de même nature, et que, dans les cas où les biens n’étaient pas conservés, l’existence de contextes de stockage pouvait être envisagée en cas d’absence de traces d’autres types d’activités.

Dans le cas qui nous occupe, la question de l’accumulation des biens est délicate à résoudre, car il nous faut raisonner sur des contextes où les processus postérieurs à l’abandon ont eu un impact important sur les vestiges. Cet état de fait nous a conduites à ne pas nous engager trop strictement sur les quantités de biens ou sur leur répartition, sauf dans quelques cas, comme celui du complexe TOR- 02, qui présentait un contexte exceptionnel. Hormis, en fait, cet exemple qui atteste de la concentration de récipients de stockage/transport au même endroit, il est généralement diffi cile de constater l’accumulation des biens. En revanche, on peut relever que nous n’avons jamais retrouvé dans ces lieux, de traces d’autres activités. Dans les cellules étudiées, aucun foyer ou aucune répartition spécifi que d’artefacts n’a jamais permis de soupçonner l’existence d’une activité anthropique particulière. Cette absence appuie donc l’hypothèse que ces espaces n’étaient utilisés que pour entreposer des biens, dont nous n’avons pas souvent retrouvé la trace.

En conclusion, les trois conditions requises pour décréter que nous sommes là face à un contexte de stockage semblent réunies dans presque tous les cas de notre corpus, ce qui confi rme leur attribution fonctionnelle. À présent, pour mieux mesurer la pertinence de notre propos, il convient de revenir sur les structures souterraines qui, elles, ne répondent pas aux trois exigences requises (le lieu, les biens, et le fait de leur accumulation), mais on aura aussi à évoquer, à l’inverse, les contextes non souterrains qui pourraient correspondre à la défi nition des contextes de stockage.