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Après avoir discuté de façon synthétique la morphologie et la disposition des cellules et avant de présenter leur contenu, il est nécessaire de s’attarder sur un aspect important dans l’étude de ces éléments archéologiques souterrains : les processus de formation des vestiges. Cette idée a été largement travaillée dès les années 1970 par M. B. Schiffer et L. R. Binford, dans le cadre des théories relatives à l’archéologie comportementale (“behavioral archaeology”) (Schiffer 1972 ; 1975 ; 1987 ; 1996 ; 1999). Le corps de cette théorie repose sur l’idée que des processus naturels et culturels (“C-transformed” et “N- transformed”) convertissent un contexte initial systémique en un contexte

archéologique. En d’autres termes, que les dynamiques originelles entre une culture et des objets matériels se convertissent en un registre d’artefacts examinés par les archéologues. Sans entrer dans des détails ou dans des controverses qui n’apporteraient rien à l’analyse, cette idée s’impose au moins sous la forme d’un aparté, car son application impose d’envisager dans quelle mesure les événements postérieurs à l’occupation de nos structures ont pu infl uer sur la forme des vestiges observés lors de la fouille voire des prospections. Cette précaution est d’autant plus nécessaire que, comme nous l’avons mentionné dans le premier chapitre, les structures en creux ont connu des dynamiques de remplissage qui ne sont pas nécessairement les mêmes que pour les espaces en élévation qui les surmontent parfois, et une réfl exion à ce sujet est donc indispensable avant toute tentative d’interprétation.

En réalité, il faut partir d’un constat simple : les cellules étudiées appartiennent à des contextes variés : certaines d’entre elles ont été pillées, d’autres non, certaines sont détruites, d’autres non, et, selon le cas, l’état des vestiges change. Il est donc nécessaire d’enregistrer soigneusement ces observations pour comprendre quelle importance assigner aux restes contenus. Plus que de chercher à obtenir des interprétations irréfutables, on a eu comme objectif de tenter de discuter la pertinence des comparaisons entre les différents éléments du corpus.

À partir des informations recueillies au cours des fouilles, trois situations correspondant à des étapes chronologiques clefs de l’histoire des structures souterraines ont été distinguées pour comprendre les facteurs intervenant dans les différences stratigraphiques observées : les modes de dépôts lors de l’occupation, les processus d’abandon et les processus post-abandon.

4.1. Données stratigraphiques générales

Les stratigraphies observées dans les 28 espaces souterrains fouillés n’ont jamais présenté de complexité majeure : une seule cellule révéla deux occupations différentes (MOR-D’21), les deux datées de la phase Barajas récent (700/750 -900/950 apr. J.-C.), tandis que la plupart des autres offraient une seule occupation identifi able dans la stratigraphie ; en réalité, dans certaines d’entre elles, le niveau d’occupation n’a pas été vraiment détecté (MOR-D’06, 08, 09, 10), dans d’autres, il n’a été que soupçonné (CHAR-01’01). Globalement, la stratigraphie est toujours la même : au fond, un remblai de construction avait permis de niveler le substrat. Ce remblai de construction peut être surmonté par un dallage (MOR-D’04, D’20, ANG-F’01, 02, 03), lui-même recouvert d’une couche de terre battue dont la partie supérieure matérialisait le niveau d’occupation. La couche d’abandon recouvrait ce niveau d’occupation ; elle était, elle-même, surmontée par l’effondrement et la sédimentation naturelle. Dans les autres cas, le dallage n’apparaît pas et le niveau d’occupation repose directement sur le remblai de construction. Globalement, on observe relativement peu de variantes.

4.2. L’occupation et les modes de dépôts

S’intéresser aux dépôts d’occupation revient à étudier les relations entre les occupants et les niveaux d’occupation, ainsi que l’impact de leurs activités, d’un point de vue sédimentaire notamment. Pour envisager les données dans cette perspective, il fallait dresser une liste des différents sédiments

identifi és. Les critères de différenciation ont été établis à partir de l’aspect du sédiment, de l’épaisseur de la couche, sa dureté, etc. Trois catégories ont été distinguées :

1. Les sédiments blanchâtres : dans ces cas, qui concernent 6 cellules, le niveau d’occupation se matérialise par une couche de sédiment compacte, de couleur blanchâtre, pouvant présenter des inclusions de couleurs blanchâtres à jaunâtres, provenant peut-être de petits fragments de céramique.

2. Les sédiments rougeâtres avec des inclusions de charbon : 4 cellules appartiennent à cette catégorie. Le niveau d’occupation se matérialise par une couche de sédiment rougeâtre, souvent très épaisse, qui présente des inclusions de charbons et des tâches de couleur blanchâtre à jaunâtre. Il est probable que ces sols aient été brûlés, ce qui d’ailleurs expliquerait aussi l’existence de micro charbons répartis assez uniformément.

3. Les sédiments “normaux”, légèrement compactés : 13 cellules sont concernées. Le niveau d’occupation ne peut être identifi é que par son léger compactage et l’existence, parfois, d’inclusions de différentes couleurs.

Remarquons que, dans un même complexe, quand le niveau d’occupation a pu être identifi é, les sédiments de chacune des cellules appartiennent à la même catégorie (avec une exception : TOR- 02’03, qui présente un niveau d’occupation blanchâtre, alors que les autres cellules de ce complexe ont des niveaux d’occupation rougeâtres). Il serait hasardeux d’interpréter la couleur des sédiments sans information plus précise, mais il est intéressant de noter qu’il existe une variabilité, imputable probablement, soit à la préparation des sols, soit à la longévité de l’occupation, soit à des utilisations du sol et/ou aux activités.

4.3. Les processus d’abandon

Lors de la présentation générale de la séquence d’occupation du Cerro Barajas, il a été dit que l’une des particularités des établissements du massif résidait dans leurs processus d’abandon : dans d’assez nombreux bâtiments, en effet, les traces d’un départ programmé ont pu être identifi ées (Migeon 2003). Parmi celles-ci, le rebouchage intentionnel des portes, la clôture des espaces ouverts, ainsi que le dépôt intentionnel d’artefacts sur les accès ont été observés.

Dans les espaces souterrains, aucune trace dénotant une pratique d’abandon particulière n’a jamais été clairement identifi ée, quand bien même des rebouchages de portes ont pu être enregistrés dans des maisons recouvrant certaines structures souterraines. Cette constatation est d’autant plus importante que si les niveaux inférieurs abritaient effectivement des stocks, leur sort ne devait probablement pas être laissé au hasard. Pour envisager cette question, il faut d’abord prendre en considération les secteurs et les bâtiments aériens associés aux cellules pour envisager, ensuite, les répercussions éventuelles des processus sur les niveaux inférieurs.

Une fois de plus, l’objectif n’est pas d’obtenir des informations empiriques pour tenter de parvenir à des interpétations fermes, mais de disposer de données pour comparer les cellules entre elles.

Le tableau qui fi gure un peu plus loin montre que dans l’état actuel de nos connaissances, un seul cas est directement concerné par un départ programmé : il s’agit du groupe F de Yacata

El Angel, où l’accès au bâtiment aérien associé aux structures souterraines fut intentionnellement bouché. Un autre cas pourrait être MOR-D, puisque nous avons soupçonné l’existence d’une porte bouchée dans le mur est de la structure MOR-D’06. Dans d’autres cas, les vestiges sont trop détruits pour être observés ; dans d’autres enfi n, les niveaux supérieurs étaient relativement bien conservés et aucun indice ne permettait de soupçonner un abandon programmé (TOR-02 et TAP-BC4). Ce résultat interpelle d’ailleurs, car les indices d’abandons organisés sont fréquents sur le massif (sans être systématiques) ; il serait étonnant que seules les cellules du groupe F de Yacata El Angel aient été incluses dans ce type de processus.

4.4. Les processus postérieurs à l’abandon

Cette dernière partie est fi nalement la plus facile à appréhender lors des opérations de terrain, car les bouleversements post-abandon sont généralement clairs. Trois diagnostics différents ont été faits :

1. Les contextes supposés intacts sont facilement reconnaissables : la couverture de dalles est encore en place, le niveau d’occupation n’est pas nécessairement très marqué, mais la sédimentation naturelle qui le recouvre et remplit l’espace interne est toujours de nature très homogène.

2. Les contextes pillés : ils peuvent être identifi és, en particulier lorsque la sédimentation est de nature hétérogène, que la stratigraphie est globalement perturbée et que la couverture est au moins partiellement déplacée.

3. Enfi n, les contextes effondrés : ils se matérialisent par l’effondrement de la toiture, souvent elle-même surmontée de l’effondrement des murs en élévation. La stratigraphie est généralement perturbée, et si les couches de sédimentation ne sont pas particulièrement hétérogènes, en revanche, les niveaux d’occupation sont plus diffi ciles à identifi er, car ils ont supporté l’effondrement et sont souvent marqués par des discontinuités. La forme de l’effondrement permet généralement de différencier un contexte pillé d’un contexte effondré : dans un contexte d’effondrement, souvent au moins une partie de la toiture reste en place, les dalles restant appuyées sur l’une des parois ; quant à l’espace interne, il est toujours obstrué alors que cela n’est jamais complètement le cas dans des contextes pillés.

En résumé, plusieurs cas de fi gure ont été détectés. Évidemment, les vestiges offrent rarement une lecture stratigraphique simple et incontestable ; il n’est pas rare en particulier, qu’une cellule se soit effondrée et ait été aussi pillée. Quoi qu’il en soit, le plus important, là encore, est de pouvoir être en mesure de savoir si deux cellules ont connu les mêmes processus ou non. Avant de s’intéresser aux artefacts découverts dans les structures souterraines, le tableau qui suit résume les différenciations que l’on a établies entre plusieurs éléments de notre corpus.

Fig. 193 : Tableau de synthèse sur les processus de formation des contextes archéologiques identifi és dans les cellules souterraines

Niveau d’occupation d'abandon processus post-abandon

Los Toriles

TOR-01'01 ? ? Pillée et effondrée

TOR-02'01 Sol rougeâtre mis à feu Non programmé intacte

TOR-02'02 Sol rougeâtre mis à feu Non programmé effondrée

TOR-02'03 Sol blanchâtre Non programmé Intacte

TOR-02'04 Sol rougeâtre mis à feu Non programmé intacte

TOR-03'01 Sédiment naturel ? pillée

Tortuga

CHAR-01'01 Sédiment naturel ? effondrée

Los Nogales

NOG-C3'01 Sédiment blanchâtre ? effondrée

El Moro

MOR-D'01 Sédiment naturel ? pillée

MOR-D'02 Sédiment naturel ? pillée

MOR-D'03 Sédiment naturel ? pillée

MOR-D'04 Sédiment naturel ? pillée

MOR-D'05 Sédiment naturel ? pillée

MOR-D'06 Non identifié ? pillée

MOR-D'07 Sédiment naturel ? pillée

MOR-D'08 Non identifié ? pillée

MOR-D'09 Non identifié ? pillée

MOR-D'20 Sédiment naturel ? pillée

MOR-D'21 Sédiment naturel ? pillée

Yacata El Angel

ANG-F3'01 Sédiment blanchâtre Abandon programmé pillée

ANG-F3'02 Sédiment blanchâtre Abandon programmé Pillée

ANG-F3'03 Sédiment blanchâtre Abandon programmé Effondrée

Casas Tapadas

TAP-A1'02 Sédiment blanchâtre ? effondrée

TAP-BC4'01 Sédiment rougeâtre mis à feu Non programmé effondrée

TAP-BC23'01 Sédiment naturel ? Pillée

TAP-BC8'01 Sédiment naturel ? Pillée

TAP-BC8'02 Sédiment naturel ? Pillée