• Aucun résultat trouvé

Chapitre 2. Acteurs et crises internationales africaines Le besoin de théories permettant d’accéder à une meilleure connaissance de la réalité

2.4 Les particularités du comportement des États africains

2.4.5 La structure sociale

2.4.5.1 Les valeurs identitaires

Durant les années 1990, les plus grandes tensions étaient celles qui éclataient ou qui se perpétuaient pour des raisons ethniques ou religieuses notamment les cas du Liban, d’Israël, de l’Algérie, du Nigéria, du Soudan, de l’Éthiopie, de l’Inde et de la Yougoslavie (Marta Reynal-Querol, 2002). Ces conflits sont non seulement des conflits internes, mais ils ont constitué des facteurs d’instabilité régionale et ont été souvent à l’origine de crises internationales. Ce potentiel d’essaimage ou de contagion des conflits identitaires est un élément d’intérêt dans l’étude des conflits africains. La structure identitaire des États pourrait constituer un facteur clef dans l’étude des conflits.

Tableau 21 : caractère ethnique de la crise pour chaque acteur (1918-2015) Caractère ethnique

Répartition des États (pourcentage)

Dans le monde En Afrique Total Conflits sécessionnistes 9,1 14,1 10,1 Conflits irrédentistes 18,3 31,6 21,0 Conflits non ethniques 72,6 54,4 68,9

Total 100 100 100

Source : données compilées à partir de Brecher, Wilkenfeld, Beardsley, James et Quinn (2017)

Les crises en Afrique sont plus souvent à caractère ethnique bien que la majorité des crises internationales n’ait pas de caractère ethnique. Les crises irrédentistes sont plus souvent fréquentes parmi les crises ethniques. Depuis 1918, les États africains comptabilisent 65 crises irrédentistes (31,6 % des crises africaines) et 29 crises sécessionnistes (14,1 %). La forte cohésion ou l’absence totale de cohésion dans la composition ethnique d’un pays constituent des facteurs qui peuvent être associés à l’instabilité internationale. Ce constat de relation curvilinéaire entre la fragmentation ethnique et la stabilité politique est un lien connu.

Les effets de la fragmentation ou de la polarisation ethnique sur la stabilité politique interne et externe d’un État ont longtemps été étudiés. On peut aussi citer dans le cadre des conflits internes les études de Jose Montalvo et Marta Reynal-Querol (2005) qui démontrent que la polarisation ethnique est une importante variable explicative de l’incidence de la guerre civile.

En résumé, les facteurs identitaires constituent un levier non négligeable de la mobilisation politique. C’est ainsi que des auteurs leur attribuent un caractère instrumental dans le cadre de la politique interne des États africains (Eifert, Miguel et Posner, 2010). Ces auteurs ont pu démontrer à partir d’une dizaine de pays africains que le calendrier électoral impliquait une hausse de l’identification ethnique. Si une telle instrumentalisation politique de l’identification ethnique des individus est possible dans la politique nationale (dans une logique intergroupe), il est certain que la mobilisation des individus sera très probable lorsque des facteurs ethniques sont présents.

La mobilisation identitaire pourrait être utile pour susciter un effet de ralliement autour du drapeau (Kaufman, 1996 ; James et Rioux, 1998 ; Baker et Oneal, 2001 ; Mueller cité par Lebow, 2010). Cette mobilisation conduirait donc les États fortement fragmentés comme le Burkina Faso à avoir un sentiment d’unité face à l’adversité lors d’une crise internationale comme celle contre le Mali en 1985 (Brecher et coll., 2017). Cela conduirait ainsi les États avec une forte fragmentation politique à voir dans les crises internationales une occasion de consolider leur unité nationale et le soutien à ses dirigeants.

2.4.5.2 Le jeu des alliances et la neutralité des États africains

La question de la puissance sépare toujours l’Afrique du reste du monde. Mais, au-delà de la capacité nucléaire ou le statut de puissance, les États peuvent espérer une plus grande empreinte sur la politique mondiale grâce aux alliances qu’ils construisent. Néanmoins, comme pour le reste du concept de puissance, les acteurs africains se distinguent encore du reste du monde par la nature de leurs alliances.

Il est reconnu que les États nouent des alliances contre de grandes puissances pour augmenter leurs capacités (dans le cas de l’équilibre des menaces dont Stephen Walt [1987] est le défenseur). Les États forment également des alliances avec les grandes puissances pour améliorer leur sécurité (le cas de l’équilibre des puissances qui avait été auparavant exposé par Kenneth Waltz [1979]). Ainsi, durant la période étudiée, les acteurs des crises africaines ont été pour la plupart soit des membres du mouvement des non-alignés soit neutre et libre de toute alliance. Alors que 62,1 % des États en Afrique étaient membres de ce mouvement ou du moins neutre, cette proportion baisse à 29,2 % ailleurs dans le monde (voir Tableau 22 : jeu des alliances et des puissances (1918-2015)). Cela pourrait constituer une explication de la moindre implication en Afrique des deux principales superpuissances lors de la guerre froide.

Tableau 22 : jeu des alliances et des puissances (1918-2015) Forme des alliances

Répartition des États (pourcentage)

Dans le monde En Afrique Total

Non-alignés/neutres 29,2 62,1 35,9

Alliance informelle avec une grande puissance 20,5 31,8 22,8 Alliance formelle avec une grande puissance 28,4 5,6 23,8 Grande puissance à la tête d’une alliance 21,9 0,5 17,5

Total 100 100 100

Source : données compilées à partir de Brecher, Wilkenfeld, Beardsley, James et Quinn (2017)

2.4.5.3 La patience ou la passivité des États

Au-delà des réalités sociales et culturelles, l’attitude des États est importante à considérer. Les données des crises internationales des États africains et ceux du reste du monde ont été analysés en ce qui concerne la centralité de la violence dans la gestion des conflits (Tableau 23). Lors des crises internationales, la centralité de la violence indique l’importance relative de la violence comme technique de gestion de crise auprès des décideurs.

Tableau 23 : centralité de la violence durant les crises (1918-2015)

Localisation de la crise en pourcentage

Dans le monde En Afrique Total Pas de violence dans la gestion de la crise 48,6 39,3 46,7

Violence mineure 6,2 7,9 6,6

Violence importante 22,8 35,5 28,4

Violence prééminente 22,3 17,3 21,3

Total 100 100 100

Il résulte de cette analyse que la centralité de la violence n’est pas non plus la distinction principale des acteurs de crises africaines, car elles se répartissent de façon comparable au reste du monde. Toutefois, pour ce qui est de la sévérité de la violence (exprimée comme l’intensité de la violence employée par les États), les acteurs de crises africaines ont connu plus souvent de sérieux affrontements soit dans 36,5 % alors que cette catégorie représente 18 % dans le reste du monde. Pour ce qui est des guerres internationales, en considérant la perspective des acteurs, les crises en Afrique se sont moins souvent aggravées pour devenir des conflits majeurs. Cela représente 11,7 % des acteurs africains, loin des 21 % des acteurs de crises internationales ailleurs dans le monde. Les États africains ont donc moins souvent tendance à connaître des guerres internationales qui par définition sont caractérisées par un nombre plus élevé de morts.

Tableau 24 : intensité de la violence des crises (1918-2015)

Intensité de la violence Localisation de la crise en pourcentage

Dans le monde En Afrique Total

Pas de violence 48,6 39,3 46,7

Affrontements mineurs 12,3 12,6 12,4

Sérieux affrontements 18 36,5 21,8

Guerre à grande échelle 21 11,7 19,1

Total 100 100 100

Source : données compilées à partir de Brecher, Wilkenfeld, Beardsley, James et Quinn (2017)

2.5 Conclusion

La marginalisation de l’Afrique offre l’opportunité de contribuer à l’avancement des connaissances en science politique. La pertinence de l’étude des crises internationales repose sur les problèmes humains engendrés par l’instabilité politique. La variété des menaces à la stabilité internationale de l’Afrique laisse planer des doutes sur la possibilité du développement de l’Afrique. Cette stabilité est pourtant importante pour les pays africains qui, par leur vulnérabilité, risquent de subir les conséquences dangereuses des conflits. Cette perspective qui n’est pas appuyée empiriquement selon Louis Bélanger, Érick Duchesne et Jonathan Paquin (2005), proviendrait d’une approche néolibérale qui précise que la vulnérabilité des États sécessionnistes conduit à une instabilité perpétuelle par la redéfinition des frontières africaines.

Le choix de la résolution de conflits en Afrique repose certes sur la menace qu’elles représentent sur le développement et la stabilité du continent. Il repose aussi sur marginalisation du continent dans l’état actuel des connaissances. Cette marginalisation ne garantit pas une étude approfondie des conflits africains ; ce qui engendre des analyses tendancieuses de la réalité et des prescriptions hasardeuses sur les conflits dans le continent. Plus spécifiquement, au-delà des conflits en général, c’est l’étude de crises internationales interétatiques qui intéresse cette recherche. Celles-ci représentent un sous-thème des conflits qui interpelle davantage puisqu’elles constituent un point de fracture durant une période de paix. Les crises indiquent souvent des points de retournement dans les relations entre les acteurs (Druckman, 1986) et elles détermineraient même la nature (violente ou pacifique) de l’interaction future entre ces acteurs (Lebow, 1981).

La résolution des crises internationales constitue le point de levier sur lequel les efforts doivent se concentrer puisque c’est à ce point d’évolution de la stabilité internationale que les actes décisifs se produisent. Compte tenu de l’importance théorique de la crise dans les relations interétatiques, et de la marginalisation de l’Afrique par les Relations internationales, notre recherche s’intéressera à la résolution des crises internationales du continent.

Dans la prochaine partie, fera une présentation de la revue de littérature afin de situer notre contribution dans l’état des connaissances sur les conflits en général et les crises internationales en particulier.

Chapitre 3.

Littérature sur la résolution des conflits