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Chapitre 3. Littérature sur la résolution des conflits La pertinence de la résolution des crises internationales est reconnue dans les recherches en

3.2 Conceptualisation de la crise internationale

3.2.3 La crise systémique

Une autre conceptualisation de la crise fait intervenir l’aspect variationnel et processuel de la tension tout en faisant intervenir les concepts d’équilibre et de stabilité. La crise n’est pas là un résultat, car elle est considérée comme un déterminant de l’instabilité de la structure du système international au même titre que tous les conflits internationaux. C’est ce postulat que Brecher (1984) défend dans sa conceptualisation des crises internationales. Les crises sont perçues comme un ensemble d’évènements inhabituels entre des acteurs débutant par un changement soudain et bref dans la structure du système (Mclelland, 1968 cité par Brecher, 1984). On revient alors aux notions d’équilibre et d’instabilité de la structure du système.

3.2.3.1 Le système et sa structure

Une grande partie des travaux en Relations internationales donne une définition du terme système international équivalant à celui de scène internationale (McClelland, 1955 ; Waltz, 1959 ; Singer, 1961 et 1971). La plupart du temps, le système international définit le niveau d’analyse de l’ensemble des relations internationales. Pour McClelland (1955), le système international est simplement une structure internationale qui est constituée d’acteurs en interaction (au moins deux) dans un environnement identifiable.

Cette structure fait référence, selon Brecher (1984), à la façon dont les acteurs se situent les uns par rapport aux autres. Il importe de connaître le nombre d’acteurs et leur puissance (en terme relatif). Cela justifie le processus qui se définit par les formes d’interactions entre les acteurs. Dans cette explication, la répartition des puissances est déterminante dans les processus puisque chaque structure correspond à un processus différent. Brecher (1984) et James (1989 : 807) classifient plusieurs configurations de la structure du système en fonction de la distribution des puissances (citons la multipolarité, la guerre hégémonique, la bipolarité et le polycentrisme). Dans cette approche systémique, la crise est un élément qui correspond à des différences de configuration du système lors de son évolution. Il y a donc une évolution du système (interaction et structure), mais aussi de ses attributs (équilibre et stabilité).

3.2.3.2 L’équilibre et la stabilité du système

Pour certains auteurs comme Waltz (1979), équilibre et structure sont des équivalents et font référence à la façon dont la puissance est distribuée entre les acteurs et si cet équilibre se maintient sans violence, on assiste à une stabilité. L’absence de violence entre acteurs est donc synonyme de stabilité, mais cette conception est plus propre à la crise variationnelle puisqu’une crise systémique a des impacts sur les composantes du système et sur les attributs du système. Pour Brecher (1984), la conceptualisation de la crise dans la perspective systémique implique un changement dans les composantes du système, le processus et la structure. Il rejoint la logique d’Azar (Figure 7) pour définir le déséquilibre comme étant constitué de changements irréversibles de la structure du système et que les changements à l’intérieur de l’étendue normale des relations constituent l’instabilité. Lorsqu’un changement est en dehors du seuil de l’étendue normale des relations, mais que ce changement est réversible, il y a instabilité, mais puisque ce changement n’est pas permanent, il y a équilibre. Le Tableau 26 offre une illustration de la définition de l’équilibre et de la stabilité dans la conception systémique de Brecher.

Tableau 26 : notions d’équilibre et de stabilité selon Brecher

Les changements sont réversibles

Oui Non

Équilibre Déséquilibre

Les changements sont dans l’entendue normale des relations

Oui Stable

Rapport de puissance intacte et interaction non conflictuelle

Nouveau rapport de puissance sans interaction conflictuelle

Non Instable

Interactions conflictuelles sans impact sur la distribution des capacités

Nouveau rapport de puissance et nouvelles interactions conflictuelles Source : interprétation de la définition d’équilibre et de stabilité (Brecher, 1984)

Le déclenchement de la crise dans la conception théorique systémique de Brecher (1984) correspond à l’existence d’un changement anormal de l’intensité des rapports. Toutefois, ce niveau de rapports implique une nouvelle distribution des capacités entre les acteurs du système international. La définition du concept de crise internationale dans cette perspective systémique implique un changement de situation des relations de puissance. La plupart des études (Brecher, 1984 ; Brecher et Wilkenfeld et coll., 1988) définissent alors la crise internationale à partir de trois conditions individuellement nécessaires et collectivement suffisantes :

1. une distorsion du type d’interactions perturbatrices, et une augmentation de leur intensité ;

2. une menace à la structure établie du système international ;

3. une période de temps limitée entre la distorsion du système international et son adaptation.

Bien que la conceptualisation systémique de la crise domine les recherches en Relations internationales, elle ne correspond pas à notre avis à la réalité des crises internationales africaines. L’existence d’un changement anormal des interactions conduisant à une modification de la distribution de la puissance entre les acteurs du système international ne représente pas une explication satisfaisante de la crise en Afrique. La centralité de la puissance dans cette perspective est problématique et cela impose de préciser notre pensée plus longuement dans les pages qui suivent.

En guise de conclusion, force est de constater que parmi les trois approches des crises internationales exposées précédemment, deux ne distinguent pas assez la crise du conflit et que la troisième est profondément ancrée dans une logique de puissance qui fait que le conflit est toujours latent. Dans les deux premières approches, le conflit est un élément nécessaire à l’existence d’une crise. Dans la dernière logique (propre aux réalistes), la puissance (et sa quête) serait l’élément déstabilisateur de la stabilité.

À notre avis, une crise peut éclater et se résorber sans nécessairement influencer les capacités relatives des États. Par exemple, le coup d’État en Gambie en 1981 fut considéré comme une crise internationale pour le Sénégal sans aucun lien avec la capacité relative des États. Le déclenchement de cette crise ne représentait aucune influence sur la distribution de la puissance entre le Sénégal et la Gambie ou entre le Sénégal et la sous-région. Dans cette crise internationale, la conceptualisation systémique est problématique lorsqu’elle s’attarde trop sur la distribution de la puissance. Ce constat permet de penser que les motivations des acteurs étatiques dans une crise internationale ne peuvent être basées sur une simple variation de la puissance ou la configuration systémique des rapports de puissance.

Dans les trois approches, la crise internationale n’est pas réellement définie de façon indépendante de la tension qui est possible durant une période pacifique (voir Tableau 27). La conceptualisation des crises internationales à l’intérieur de l’évolution des conflits ne permet pas de comprendre leur déclenchement à partir d’une situation purement pacifique. Il y a là une déficience conceptuelle dans la motivation des crises qui pourrait représenter une lacune dangereuse surtout dans le cadre des efforts de résolution de ces conflits. Il importe de concevoir une meilleure conception des crises afin que leur résolution soit effective c’est-à-dire qu’elle peut assurer une stabilité internationale garante de la prospérité et du développement du continent. Cette déficience de la littérature ne touche pas seulement la conceptualisation des crises. Elle déborde aussi sur les motivations du comportement des acteurs lors du déroulement des crises internationales.

Tableau 27 : trois approches théoriques de la crise critiquées Approches de la crise

Variationnelle Processuelle Systémique

Définition de la crise

La crise est un niveau de la variation des relations des acteurs quand celles- ci dépassent un niveau pacifique.

La crise est une partie (transitoire) du conflit et elle serait absente d’une situation pacifique durable.

La crise est une déstabilisation de l’ensemble des relations internationales entre des acteurs à cause d’une question de puissance. Logique

Les relations sont constantes seule leur intensité change.

La crise est présente dans un processus de dégradation des relations entre des acteurs.

Toutes les relations entre les acteurs sont toujours sur le point de changer vers un conflit.

Lacunes

Le seuil décrit n’est pas perceptible et on ne sait ni comment l’établir ni comment la ramener en cas de crise.

Les acteurs en bon terme ne pourraient jamais connaître une crise tant et aussi longtemps que leur relation demeure pacifique.

Les évènements et les relations entre les acteurs ne peuvent pas tous être influencés par la puissance, car un acteur peut déclencher une crise menant à sa mort certaine.

Source : interprétation des différentes définitions de crise à partir du cadre d’analyse inspiré de Burton-Jones, McLean et Monod, 2011.