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4.2 Les composantes de ScnVir PYV

4.2.1 La structure de ScnVir PYV

La structure d’une réalité mixte s’articule sur des points de convergence spatiale. Un système de référence universel (Trevisan, Vanderdonckt, & Macq, 2003) peut être utilisé pour suivre les interactions transversales des réalités mixtes.

68 4.2.1.1 Les lieux physiques de ScnVir PYV

La simulation située est structurée par les contraintes immuables de la géographie des lieux, par exemple, un mur que l’on ne peut dépasser. Les dispositions de l’environnement physique sont à prendre en compte, comme l’encombrement d’une surface. Les structures urbaines évoluent, lentement, durant la période de production et de diffusion du projet. La vitesse des transformations est relative à leur masse, à l’exception des catastrophes. Malgré une certaine constance, des impondérables sont à prévoir, il n’est donc pas possible de refaire la même expérience deux fois.

Tout commence par le choix d’un lieu. Ce choix prend en compte la signification du lieu, ses qualités morphologiques (bâti), sa topographie, son accessibilité et la couverture technologique offerte (GPS, WIFI), son histoire et l’espace public disponible. Sans oublier que ce lieu doit aussi être inspirant : il doit avoir la capacité subjective d’induire des idées ou des émotions. Autre point essentiel : les collectivités qui habitent ou fréquentent le lieu doivent être considérées dans leur réalité socioculturelle.

La présence de représentations culturelles et symboliques sur le lieu augmente l’intérêt du projet en lui ajoutant leurs propres dimensions socioculturelles. Ce n’est pas sans risque, car les lieux sont aussi, parfois, des espaces performatifs du pouvoir politique, économique ou religieux; l’expression peut donc y être contrôlée, comme sous un régime idéologique ou normatif.

La quantité de documentation et de ressources disponibles sur le lieu est un bon indicateur de la faisabilité du projet. Néanmoins, les lieux trop connus sont également plus communs. Le lieu doit rendre possible les objectifs du projet. Il faut choisir le lieu en fonction de la correspondance entre les objectifs et les intentions du projet, et de ses vocations socioculturelles effectives.

Le lieu du projet doit être facilement disponible, peut-être délaissé ou sans fonction active, et libre d’encombrement. En cela, il s’apparente à un tiers paysage (Clément, 2005). Notez que la simulation située donne un nouveau potentiel d’usage et d’interprétation à cet « espace libre ».

Le cadre spatial de la Place D’Youville est riche en références et représentations culturelles; nous en considérons deux reliés aux arts. La première nous est venue de notre recherche documentaire, qui nous a appris l’existence éphémère d’un projet d’agrandissement de l’École des beaux-arts de Québec. Dans les archives, nous avons lu plusieurs correspondances du directeur de l’école à ce sujet. Cette construction devait occuper l’espace de l’actuel stationnement (Figure 4-3.).

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Peu après sa fermeture, l’ancienne École de beaux-arts a disparu dans un incendie. Nous avons donc eu l’idée de reconstruire en 3D l’École des beaux-arts par-dessus le stationnement PYV. Cette démarche était inspirée des projets de mise en valeur de patrimoine par les technologies virtuelles, auxquels nous avons collaboré. Nous avons cherché les plans d’architecte, sans succès, ceux-ci s’étant perdus entre deux ministères. Nous avons donc renoncé au projet.

Figure 4-3 : Esquisse basée sur une photo d’archive. © Jean-Ambroise Vesac

Une seconde référence culturelle est la sculpture d’Alfred Laliberté, « Les muses » (Figure 4- 4). Les œuvres de l’artiste exposent des thèmes du terroir québécois59. La sculpture sur la place

D’Youville est un don du gouvernement du Québec (Parti Québécois) pour les célébrations du 375e anniversaire de la ville de Québec. Ce geste ajoute à la dimension symbolique des muses, l’inspiration de l’artiste, une dimension politique. Cet égard souligne l’importance du lieu et donc son intérêt comme terrain de recherche.

59 Cloutier, Nicole, conservatrice au Musée des beaux-arts de Montréal (1991). « L’œuvre d’Alfred Laliberté et les idéologies nationalistes », Journal of Canadian Art History, Vol. XIII:2. [En ligne]. http://jcah-ahac.concordia.ca/en/archive/1991_14- 1#article_1991_14-1_212 (consulté en février 2017)

70 Figure 4-4 : Les muses d’Alfred Laliberté. Licence Creative Commons 4.2.1.2 Analyse du lieu

Afin de catégoriser les éléments de l’architecture urbaine, une approche par type a été mise en œuvre (Séguy-Duclot, 1998). Nous avons ainsi classé les objets par type (Figure 4-5) : ouverture (porte, fenêtre), objet inerte (obstacle), représentatif (statue, sculpture) et agent (participant, bots, animaux); et nous les avons classés par fonction rythmique (feu de circulation, bus, horaire de restaurant et de spectacle). Puis, nous avons classé les espaces selon leur type : biologique (nuage, glace, eau, arbre), de cadrage (le décor, les murs), de circulation (trottoir, escalier) et d’arrêt (cachette, banc, point de vue). Cette catégorisation fournit des informations utiles pour le design expérientiel.

71 4.2.1.3 Couverture spatiale

Les délimitations spatiales des simulations situées sont les obstacles naturels, les flux de matière et la capacité de traitement du dispositif. L’établissement des limites de l’environnement virtuel et sa modélisation peuvent être abordés en parallèle. Soit le projet prend son départ sur un bâtiment particulier, autour duquel le projet se concentre; la limite se définit alors selon les voies de circulation alentour. Soit le projet sélectionne un ensemble de structures de circulation, comprenant les bâtiments à l’intérieur de ce périmètre. La différence entre ces approches est la répartition spatiale du niveau de détail des modélisations et les besoins de définition des limites extérieures. Dans le cas d’une expérience collective, le terrain d’intervention devrait être sécuritaire, proposer une surface uniforme et d’une étendue permettant de conserver le contact visuel entre participants.

Ainsi, le modèle 3D doit reproduire dans ses proportions le site de référence, à une échelle qui sera perçue comme équivalente. La simulation située superpose un environnement simulé au monde réel, à une échelle 1 : 1. En d’autres termes, les distances à parcourir dans une interface présentant un lieu modélisé en images tridimensionnelles (3D) et celles de l’exploration « réelle » de ce même lieu à pied doivent pouvoir sembler équivalentes.

La zone définitive de l’expérience enveloppe la Place D’Youville, soit l’équivalent d’un pâté de maisons. La zone d’expérimentation (Figure 4-6) que nous avons conservée contient un concentré de bâtiments d’intérêt culturel et patrimonial. Elle est délimitée par les axes routiers et les trottoirs permettent d’en faire le tour à pieds. La dimension de l’aire de jeu correspond à la durée désirée de l’expérience, soit environ une heure de marche déambulatoire.

72 4.2.1.4 L’environnement virtuel de ScnVir PYV

Les environnements virtuels offrent de grandes libertés de configuration de leurs propriétés. Ils peuvent échapper aux règles du monde physique. Par contre, pour être considéré comme de la simulation située, l’environnement virtuel doit conserver les aspects structurels du lieu réel. Nous ne reviendrons pas ici sur les conditions cognitives d’hybridation perceptive. Nous soulignons que le degré de compatibilité cognitive (Edwards, 2001) répond aux orientations esthétiques. Selon nous, l'hétérogénéité est le cœur de l’intérêt artistique de la simulation située.

Plusieurs sources d’information ont été nécessaires à la construction du modèle 3D de la Place D’Youville (PYV) de la ville de Québec. Dans un tout premier temps, la Ville de Québec nous a donné accès à son modèle 3D. Ce modèle, utilisé dans le département d’urbanisme, couvre une très grande étendue de la ville, ce qui lui donne un volume de données très conséquent, difficilement gérable sur un ordinateur professionnel d’entrée de gamme. Nous avons donc découpé ce modèle pour ne conserver uniquement le segment qui nous intéressait (Figure 4-7).

Figure 4-7 : Segment extrait du modèle de la Ville de Québec. © Jean-Ambroise Vesac

L’environnement virtuel de ScnVir est basé sur un modèle 3D. Après inspection du modèle offert par la Ville de Québec, nous avons constaté que sa structure polygonale possédait trop d’erreurs de construction (Figure 4-8). Nous ne pouvions donc pas l’utiliser tel quel. Ce modèle 3D a fort probablement été calculé automatiquement par photogrammétrie à partir de prises de vues aériennes. Nous avons donc dû trouver une nouvelle marche à suivre.

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Figure 4-8 : Vue des erreurs de construction du modèle. © Jean-Ambroise Vesac

Pour la fabrication du modèle 3D de PYV, nous avons donc mélangé les sources de référence et les techniques. La retopologie60 a été appliquée sur des modèles disponibles gratuitement sur

internet61. Cette technique consiste à redessiner une nouvelle structure 3D en prenant comme guide

un modèle 3D préexistant de haute résolution. La retopologie permet de réorganiser la triangulation des surfaces, ce qui optimise le nombre de polygones, simplifie l’application des textures et réduit les erreurs de rendu. Le modèle conserve les traits essentiels en éliminant les données inutiles.

Pour être utilisable dans notre application, le modèle doit être navigable par les avatars et les bots. Pour ce faire, un plan de référence de navigation (nav mesh) doit être calculé dans l’application Unity3D©. Ce calcul automatique exige que les surfaces soient uniformisées (normal

map). Pour cette raison, le sol, les routes et les trottoirs ont été redessinés avec attention. De plus, la délimitation et le relief des trottoirs facilitent la navigation dans l’application et renforcent l’effet d’immersion.

Pour intensifier l’effet d’immersion, nous avons ajouté des détails, des escaliers, des portes, des plateformes, des colonnes et des avancées. Par exemple, un auvent amplifie l’impression visuelle d’être sous une partie de l’immeuble, comme l’auvent du Palais Montcalm (Figure 4-9). Nous nous sommes concentrés sur les particularités à la hauteur du regard des participants. Le relief plus travaillé de la partie inférieure des bâtiments amplifie l’effet de réalisme et atténue l’aspect cubique simplissime du modèle.

60 Ce travail a été effectué par Raphael Bichet au LAMIC.

74 Figure 4-9 : Vue depuis le dessous d’un auvent. © Jean-Ambroise Vesac

Visuellement, le modèle 3D reproduit schématiquement l’environnement réel auquel il se réfère. Il n’a pas besoin d’un haut niveau de détail, car le participant n’est pas coupé du monde qui l’entoure. De plus, la continuité visuelle entre l’environnement réel et virtuel est facilitée par l’homogénéité et la cohérence de la simulation située. Du point de vue de l’usager à l’écran de la tablette tactile, les lignes de perspective du modèle 3D et des bâtiments réels doivent correspondre pour permettre leur hybridation perceptive.

Paradoxalement, la séparation et la différence visuelles entre l’écran et l’environnement réel ne gênent pas l’effet d’immersion et le préservent des variations de conditions d’éclairage. Ce phénomène tient de la proprioception, qui priorise la compréhension des structures aux surfaces, la perception du corps dans l’espace en relation aux structures est préférée dans une certaine mesure à la vision. C’est une des différences avec la réalité augmentée, qui tente d’intégrer visuellement la simulation à la médiation de la réalité.

Nous venons de parler de la structure de l’environnement virtuel. Abordons maintenant les objets qui s’y trouvent. Il y en a peu, uniquement quelques éléments de mobilier urbain : des bancs et des lampadaires. Il y a aussi deux sculptures virtuelles, intimement liées aux objectifs de recherche.

La première sculpture virtuelle est appelée le nuage. Nous cherchions une forme qui puisse envelopper les participants, une voûte monumentale. Le nuage nous semblait un symbole parfait. D’une part parce qu’il évoque le rêve (« être dans les nuages »), d’autre part, parce qu’il rend hommage au compositeur György Ligeti, qui est une de nos inspirations, pour son concept « des horloges et des nuages » (Beffa, 2016). Par ces termes, Beffa rend compte chez Ligeti de la tension entre une

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approche de la composition déterministe et stochastique, entre continuité et discontinuité.

La forme visuelle de nuage a été influencée par les discussions de la table ronde de la Biennale de sculpture de Saint-Jean-Port-Joli62 : « Sculpture et fabrication numérique : nouvelles approches

collectives? » Cette activité de notre initiative abordait les impacts de la création numérique et des procédures de prototypage rapide sur la pratique de la sculpture.

Suite à la conférence, avec la compagnie Linéaire design63, nous avons cherché une technique

de construction de sculpture en bois de charpente à partir des fichiers 3D de nos performances audiovisuelles. Le modèle 3D final du nuage est le résultat de cette recherche (Figure 4-10). C’est la rencontre des modèles 3D que nous avons utilisés dans nos performances en direct et de la sculpture monumentale virtuelle. La forme a été créée avec le logiciel Maya et traité avec Blender 3D (modificateur Wireframe). Esthétiquement, nous cherchions un aspect léger, découpant la lumière, formant des ombres complexes (Figure 4-11). Une rotation lente lui donne un effet hypnotique.

Figure 4-10 : Modèle 3D inspiré d'un nuage. © Jean-Ambroise Vesac

Figure 4-11 : Rendu et ombrage de la sculpture virtuelle. © Jean-Ambroise Vesac

La seconde sculpture évoque un symbole des boîtes de nuit : la boule disco à facettes (Figure

62 Site de la Biennale de sculpture de Saint-Jean-Port-Joli [En ligne]. http://www.biennaledesculpture.com/default.asp?no=519 (consulté en 2017)

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4-12). Elle cristallise les rayons lumineux au-dessus de la piste de danse. Dans le projet, elle évoque l’apparition de la piste de danse d’une discothèque.

Figure 4-12 : La boule disco. © Jean-Ambroise Vesac

Cet objet 3D a été réalisé à l’aide de la technique de la grille de déplacement (displacement map). Cette technique transforme une forme de base (plan, sphère, torus) à partir d’une image en tons de gris. L’image qui contrôle la déformation est appliquée à la surface de l’objet à déformer et l’intensité du gris définit la quantité de l’extrusion de la surface (Figure 4-13).

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L’image de déformation que nous avons utilisée pour l’extrusion provient d’un glitch numérique (Figure 4-14). Ainsi, ce type de noise est utilisé dans notre modélisation 3D.

Figure 4-14 : Glitch informatique. © Jean-Ambroise Vesac

4.2.1.5 Les éléments déterministes de l’environnement de la réalité mixte de ScnVir PYV

Les événements déterministes sont prévisibles, constants et réguliers. Ils procurent un sentiment de continuité par des références spatiotemporelles stables et peuvent aussi être considérés comme des événements à variabilité nulle. En raison de leur fixité, ils se rapprochent des éléments structurels.

Nous n’avons pas interfacé d’élément prévisible de l’environnement externe pour faire évoluer notre programme. Le projet prend son ancrage dans le décor de tous les jours : le quotidien « ronronne », les autobus font des boucles, les taxis attendent, etc. Les éléments déterministes ont une influence indirecte sur l’expérience. Les mêmes éléments routiniers se retrouvent comme partout ailleurs.