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Le concept d’un projet en réalité mixte doit donner une idée claire du type d’informations communiquées et du lien entre les informations et les espaces ou les objets, virtuels et physiques. Il propose une expérimentation des combinaisons du réel et de la simulation, en temps réel, in situ. Le concept détermine la circulation et l’interprétation des flux d’informations, le rôle et les propriétés des agents virtuels ou réels participants, l’état et les caractéristiques des structures de base de la réalité mixte. La conception définit l’ontologie du projet qui sert de guide de développement médiatique tout au long de sa réalisation.

4.1.1 Le contexte de ScnVir PYV

Le contexte rassemble un grand nombre d’aspects sur lequel le concepteur n’a pas d’emprise, mais qu’il doit considérer. Le contexte a une certaine constance durant la vie du projet. Par exemple, les implications éthiques et son acceptation sociale. En revanche, de manière imprévisible, l’actualité médiatique et l’actualité politique peuvent également affecter le projet. Sans être reliées au contexte, les contraintes telles que les capacités de production, la faisabilité technologique, la facilité d’accès aux lieux ou toutes autres contingences doivent être prises en compte.

L’histoire de l’occupation humaine de la place D’Youville est très ancienne : plusieurs milliers d’années. L’occupation populaire de l’ancien faubourg Saint-Jean a débuté entre 1735 et 1745. De petites maisons d’artisans se greffent alors à cet important axe de circulation. Vers 1815, le quartier est détruit par un incendie et l’élargissement de la voie de circulation. De 1875 à 1932, une fonction commerciale remplace l’espace résidentiel par le marché Montcalm (Québec, s.d.). Le Palais Montcalm est construit sur les fondations des anciennes Halles Montcalm qui faisaient partie du marché. Une fonction culturelle remplace la fonction commerciale. Ces transformations sont le fruit des volontés politiques de changer la vocation de ce carrefour, notamment à la suite de la consolidation de la colline parlementaire adjacente. Aujourd’hui, la place D’Youville attend des travaux d’aménagement majeurs, avec le projet de salle de théâtre de Robert Lepage, « Le Diamant », qui confirme sa vocation culturelle. L’aménagement incorpore une signification sociétale : la forme spatiale de la place

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D’Youville inspire un appel à la mémoire (les fortifications) et à la culture (Palais Montcalm, Théâtre Le Diamant), centré autour d’une patinoire qui est un symbole fort de la culture populaire nordique et québécoise. La patinoire est un lieu d’expression de l’être-ensemble sportif. « Fondé sur l’adhésion volontaire et l’initiative personnelle, le groupe issu du jeu produit un espace d’expression individuelle et collective où chacun peut exprimer ses opinions et mettre ses qualités en évidence, humaines et sportives. » (Guibert, 2013, p. 21)

L’espace de la place est exigu, intime. Il se situe dans la Haute-Ville de Québec, un promontoire naturel. Les trottoirs sont légèrement inclinés et il y a beaucoup de côtes. La présence de la pierre est importante sur la PYV, car c’est une particularité de la ville de Québec. Les murs de fortification et la porte Saint-Jean, qui sont des éléments imposants du lieu, ont été à maintes reprises détruits et reconstruits (Ledoux, 2013). Depuis longtemps, la fortification a une fonction symbolique plus que stratégique.

Le stationnement de la place D’Youville est un point de contact entre la colline parlementaire et la place D’Youville. Le stationnement est le prolongement du projet paysager de la colline Parlementaire, notamment par le « verdissement du toit du stationnement de la PYV » (Charlet, 2012, p. 102), « le but étant d'établir et de conserver des liens visuels entre certains lieux symboliques, spécialement entre la place D'Youville et le Parlement » (Charlet, 2012, p. 120).

4.1.2 Les objectifs et intentions de l’auteur de ScnVir PYV

Les objectifs déterminent la conception, comme la cible oriente la flèche : ils sont issus des intentions du concepteur, ou de son client. Les intentions d’un projet ne sont pas toujours toutes connues ni complètement communiquées. Elles gouvernent les motivations qui portent la réalisation du projet. Parfois personnelles, ces motivations sont particulièrement fortes dans les domaines artistiques.

Nos intentions dans le projet PYV sont intimement liées à notre question de recherche. Nous cherchons une approche permettant de bonifier l’engagement et de prolonger l’expérimentation des participants dans un dispositif d’interaction corporelle simple en contexte urbain.

La création est conçue et réalisée pour valider notre hypothèse : l’être-ensemble numérique émerge en fournissant des indices communiqués par l’agentivité de groupe. De tels indices peuvent être utilisés comme moteur d’évolution d’un dispositif d’interaction gestuelle simple, et ainsi favoriser

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l’engagement et le prolongement de l’expérience d’interaction dans l’espace public. Pour ce faire, nous avons à élaborer un dispositif et un design d’interaction mettant en œuvre l’agentivité de groupe.

Enfin, nous avons deux objectifs de recherche. Notre premier objectif est de présenter une approche de création numérique, appuyée par un exemple de dispositif de simulation située faisant jouer et démontrant l’être-ensemble numérique. Ce dispositif a recours à l’agentivité de groupe comme moteur d’interaction et d’évolution de l’œuvre. Notre second objectif est de rendre compte des apports de la simulation située à la création numérique. Cet aspect sera abordé dans un prochain chapitre consacré aux aspects artistiques.

4.1.3 L’esthétique artistique de ScnVir PYV

L’esthétique fonde l’approche conceptuelle de la création. Elle détermine et balise les choix artistiques relatifs aux contraintes de production et les intentions ontologiques. L’esthétique justifie les règles de production des contenus, le niveau de détail dans la reconstruction et le réalisme des propriétés des simulateurs physiques, par exemple, l’adhérence d’une surface. Elle met en œuvre l’ontologie du projet dans ses manifestations, à sa surface et dans ses matérialisations. Elle s’adapte au type de public recherché, en prenant en compte les caractéristiques culturelles locales et les codes vidéoludiques. L’esthétique des simulations situées influence directement l’atmosphère de l’expérience. L’aspect portant sur l’expérience sera discuté plus loin dans le texte.

La simulation située peut exploiter un très large éventail de formes d’expression, peut-être toutes. La simulation située étant un nouveau médium, elle prend comme contenu les médiums précédents (MacLuhan & Dekeckhove). Par exemple, il est possible d’intégrer du cinéma et même du théâtre dans un projet. Bien que les emprunts à l’histoire de l’art soient possibles, la simulation située a des caractéristiques uniques : elle génère des tensions entre l’espace réel et l’espace de la simulation. Continuité, absence, extrapolation; de nombreuses possibilités de relations entre réel et simulation sont à explorer. Par nature, elle offre plusieurs niveaux d’interprétation simultanément. Donnons quelques exemples : la simulation située peut être abordées avec l’effet d’immersion ou, à l’opposé, par distanciation58; la proposition aborde alors l’hyperprésence. En cela, la simulation située

a les caractéristiques permettant la création d’une scène ouverte. Elle peut être envisagée par l’échantillonnage, le collage, le montage et l’accumulation. Elle peut proposer une déambulation paysagère. La simulation située pousse l’hybridation du corps et de l’espace, l’un contre l’autre, par un

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cycle d’effet d’immersion et d’énaction. Dans une approche communicationnelle, la réalité est enrichie d’informations sur son état présent ou passé. Enfin, nous suggérons de croiser ces perspectives pour offrir plusieurs niveaux d’interprétation et ainsi correspondre à la nature même de ce médium : polysémique et tropique, qui offre plusieurs significations pour un même signe ou objet, parfois simultanément.

4.1.3.1 L’esthétique visuelle

Notre esthétique fait coexister le figuratif et le non-figuratif, par la superposition de sculptures abstraites et de silhouettes fantomatiques à une assise concrète : la rue. Pour assurer l’effet de continuité entre réel et virtuel, des éléments figuratifs de la rue sont intégrés dans la simulation virtuelle. Parmi les éléments non figuratifs, l’esthétique des sculptures virtuelles appartient au style visuel de nos performances audiovisuelles en direct. Les caractéristiques communes sont : la géométrie à basse résolution (low poly), la saturation des couleurs, la transparence et un aspect « fil de fer » (Figure 4-1).

Figure 4-1 : Exemple de performance visuelle. © Jean-Ambroise Vesac

Nous avons fait le choix de proposer un environnement virtuel schématique, mais cognitivement conséquent. Le monde réel devient un point de référence de la simulation située. Pour conserver une base commune avec les autres projets du domaine des technologies immersives, nous avons donné à l’environnement virtuel un certain degré de photoréalisme. Le photoréalisme demande beaucoup de ressources et de temps, la représentation 3D photoréaliste étant un défi artistique, technique et technologique extérieur aux objectifs de cette recherche.

4.1.3.2 L’esthétique relationnelle

Nous abordons l’esthétique relationnelle avant tout comme une mise en forme de l’interaction de groupe à travers la technologie. La simulation située occupe une position singulière dans le domaine

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des technologies immersives, car elle ne nous coupe pas de l’environnement physique; au contraire, elle permet une reconnexion à l’espace géographique. Le participant est de facto dans le monde réel quotidien, ce qui permet l’art participatif. La simulation située est techniquement adaptée à une architecture informatique multi-utilisateur à même de constituer une communauté expérientielle esthétique.

4.1.3.3 La composition sonore interactive

Notre composition sonore se définit suivant plusieurs axes, regroupés dans une composition sonore interactive (Figure 4-2). L’axe principal met en œuvre l’être-ensemble numérique dans l’esthétique sonore. Cet axe considère l’engagement du participant et y adapte la génération musicale. Celui-ci transite sur un vecteur comprenant trois stades : passif, actif et collaboratif. Le participant passif fait une déambulation sonore, l’œuvre se présente alors comme un paysage sonore. Le participant actif va à la rencontre des agents virtuels, l’œuvre apparaît comme un montage non synchronisé de boucles sonores abstraites fortement spatialisées. Le participant actif devient l’interprète du montage sonore. Les participants collaboratifs accèdent à une scène sonore finale de type « musique électronique » aux pulsations rythmiques marquées et répétitives.

Figure 4-2 : Axes principaux de l'esthétique sonore. © Jean-Ambroise Vesac

À l’axe esthétique principal s’ajoutent des axes secondaires qui ne sont pas constants, mais qui permettent, à certaines occasions, d’assurer des choix. Par exemple, le vecteur entre le paysage

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sonore et le noise, ou entre musique concrète et musique synthétique. 4.1.3.4 Une expérience non-narrative

Il n’y a pas de narration explicite dans notre projet, mais il y a un récit implicite. Le récit du projet tient dans le sentiment d’être que Romain Gary écrit comme « l’ivresse de la multitude ». L’envie de se multiplier, de rentrer dans la peau d’un autre, comme une esquive au néant; une métamorphose du point de vue et un espace de « réverbération » de soi. Le projet propose des amorces de narration dans les extraits sonores telles que des bribes de phrase.

4.1.4 L’ambiance de ScnVir PYV

L’ambiance permet de communiquer des émotions et des sensations sans recourir à la narration. C’est une mise en forme de l’environnement utilisant la décoration, l’éclairage et la musique pour induire un état d’âme chez le participant. Les capacités à créer une ambiance en simulations situées sont conditionnées par l’ambiance des lieux concrets, qui ne peut pas être ignorée.

L’ambiance de la PYV est très variée selon la période de l’année et l’heure de la journée. Le jour, nous la décrirons comme un carrefour où se croisent les touristes et les employés de la Haute- Ville de Québec. Une ambiance de stress lié au travail et remplie du bruit des autobus. Le soir, la place attire les amateurs de culture. L’ambiance est détendue. La nuit, en marge, les adolescents se retrouvent et s’amusent. Le stationnement PYV est glauque, humide et mal entretenu, et le mur de fortification ajoute une touche historique, mais aussi martiale. Nous avons voulu retenir l’ambiance du crépuscule et sa lumière douce qui donne une atmosphère accueillante, mais les aspects sombres de ce lieu se ressentent aisément.