• Aucun résultat trouvé

Les stratégies face au contrôle social : entre subir en attendant, s’appuyer sur et jouer de

B. L’ESPACE PUBLIC comme évènement de rituels d’interactions et d’évitements

III. Les stratégies face au contrôle social : entre subir en attendant, s’appuyer sur et jouer de

sur et jouer de pour résister :

Le contrôle social exercé sur les (jeunes) femmes via divers mécanismes (statisme dans l’espace publique à des points clés, rappels à l’ordre sexués, réputation, etc.) n’est pas nécessairement vécu comme une entrave par toutes les femmes, bien qu’il le soit par certaines. Certaines femmes en effet vont s’appuyer sur le cadre structuré par ces règles tacites pour se protéger d’autres craintes liées à leur condition de femmes racisé-e-s et précarisées par la société. Ce cadre peut alors devenir un outil réconfortant de résistance à d’autres « menaces » perçues. D’autres enfin vont jouer des règles du quartier et des règles du hors-quartier par une maîtrise des deux cadres constituant chacun tantôt une contrainte tantôt un mode de résistance.

- Ainsi, certaines jeunes femmes vivent un sentiment de contrôle permanent dont elles souhaitent s’extraire à tout prix, notamment via l’éducation, s’investissant ainsi beaucoup dans l’école et dans les offres socio-éducatives, comme autant de chances de s’émanciper et de « quitter le quartier ». Ce sentiment ne touche cependant pas que certaines femmes, mais aussi certains hommes, notamment ceux s’éloignant de la masculinité hégémonique, comme en témoignent les professionnelles : « Les personnes qui sont homo dans ce quartier elles ne peuvent que penser à partir du quartier » (P_F_D) ; « j'ai des jeunes qui vivent très mal leur homosexualité sur les quartiers aussi, et voilà c'est injuste » (P_F_V)

- D’autres ne le vivent pas comme une entrave, et se sentent totalement libres tout en se comportant dans le respect de ces règles. La plupart d’entre elles se sentent même sécurisées par ces règles qui, dès lors qu’elles sont connues, acquièrent une fonction

108

rassurante de sécurisation (si je respecte les règles, tout ira bien, donc comme je les respecte, je ne risque rien). Par ailleurs, elles peuvent nourrir un sentiment de crainte plus important vis-à-vis du hors-quartier car les règles y régulant les rapports sociaux ne sont pas forcément maîtrisées. Ainsi, les règles qui les protègent dans le cadre du quartier ne sont pas garantes de leur sécurité en dehors du quartier.

Par ailleurs, le hors-quartier offre d’autres possibilités qui, si elles étaient saisies au sein du quartier d’habitation, seraient perçues comme contraires aux règles et exposeraient ainsi la personne. Certaines femmes peuvent donc ne pas recourir à certaines offres hors-quartier ou se priver de certaines sorties (aller dans un bar par exemple, ce qui n’est pour le coup vraiment pas spécifique à des territoires CUCS, voir Lieber, 2008) par peur des risques d’agression ou de réputation, alors même que les codes sont susceptibles d’être différents. Le hors-quartier présente aussi d’autres règles qui peuvent déstabiliser certaines femmes : leurs conduites (respectueuses des règles implicites du quartier/de la famille) ainsi que le fait même d’appartenir au quartier, qui assuraient leur sécurité dans le quartier, peuvent se renverser pour devenir hors-quartier des motifs de regards, de remarques, de propos déplacés (sur un voile, sur une couleur de peau, etc.), parfois d’agression verbale ou physique ou de crainte d’agression verbale ou physique, comme en témoigne cette habitante de Mermoz : « Par exemple les quartiers de Bron, il faut quand quelqu’un a pas de connaissance là-bas, il y va comme ça par hasard, il faut qu’il fasse attention à lui, se protéger parce que t’es pas du quartier, il vous connaît pas, vous connaissez personne donc, faut faire attention [Intervieweuse : c’est à dire que quand on sort de Mermoz, il faut faire attention ?] oui bah c’est partout, les gens de Mermoz quand ils vont par exemple dans les quartiers de Bron ou de Villeurbanne le soir, il faut faire attention et les autres quand ils viennent ici, y’en a qui, je pense que les jeunes de maintenant, ils se connaissent beaucoup entre eux mais il y a toujours cette mentalité quand on va dans un quartier où l’on habite pas, on a cette idée de faire attention, d’avoir peur [Intervieweuse : plus que dans le quartier ?] oui parce que dans le quartier c’est notre famille, c’est notre maison, c’est nos voisins, c’est, on est rassuré mais dès qu’on va dans un autre quartier…» (F_H_M). Une autre habitante raconte ici dans un entretien que le fait d’habiter à Mermoz est stigmatisant dans son travail, mais que ce même critère devient protecteur quand elle est dans son quartier, comme en témoigne la scène suivante qu’elle nous raconte : «Une ou deux fois tu te fais alpaguer, une fois dans le métro en rentrant deux petits jeunes me disent « tiens regarde la petite bourgeoise elle va reprendre sa voiture elle va repartir dans l’Isère dans sa maison », je les ai regardés je leur ai dit « non la petite bourgeoise elle va monter ses 5 étages à pied parce que son assesseur est en panne et elle va rentrer chez elle », tout de suite ils ont changé de ton ils ont dit « mais vous habitez là madame ? Attendez on va vous aider à monter vos courses » et ils m’ont aidée. Si le dialogue s’instaure il n’y a plus de problème finalement » (F_H_M). Soulignons ici que ce qui a suscité les propos déplacés des jeunes dans le métro c’était l’apparence « non familière » de cette femme, considérée comme n’étant « pas du quartier » par des garçons du quartier. Et que ce qui suscite leurs comportements d’aide c’est au contraire le fait qu’elle soit du quartier.

- D’autres jeunes femmes enfin jouent des règles, les ont conscientisées comme attachées à certains espaces spécifiques comme celui du quartier, les respectent donc dans le cadre du quartier mais les envoient valser quand elles en sortent. Plusieurs professionnel-le-s ont ainsi pointé le fait que des filles qui sont habillées de façon assez sobre (jean, pull ample, voire

109

parfois un hijab) dans le quartier (à la Duchère par exemple) se changent quand elles sortent du quartier (à Vaise par exemple) et s’habillent selon des codes vestimentaires très féminins (jupes, talons, maquillage, tête dénudée) qui leurs vaudraient probablement parfois une réputation de « salopes » dans le quartier, d’après la catégorie désignée par certain-e-s habitant-e-s à ce sujet. On voit bien ici combien l’espace public du hors-quartier peut constituer pour certaines femmes un « dehors » où peuvent s’actualiser et s’inventer des contournements et des détournements des normes du quartier. « Il est évident que le passage d’une forme de comportement à une autre selon le lieu et les personnes oblige les acteurs à des adaptations contrôlées. La problématique des femmes dans la rue est au centre du débat sur les paradoxes de l’opposition dedans/dehors. Espace dangereux parfois, la rue est aussi un espace vital qui permet d’éviter le contrôle communautaire et familial » (Dris, 2004, p. 257). La transgression des règles est permise notamment par l’anonymat via le mélange hors-quartier de personnes inconnues. Rappelons ici que les jeunes filles sortent plus dans le hors-quartier que les jeunes garçons, possiblement aussi pour y trouver cette forme d’anonymat qui offre un moment « hors-contrôle social » par les personnes du quartier. Ainsi, la ville « donne aux individus la possibilité de passer facilement et rapidement d’un milieu moral à un autre132 et encourage cette expérience fascinante, mais dangereuse, qui consiste à vivre dans plusieurs mondes différents, certes continus, mais par ailleurs bien distincts » (ibid.).

Ainsi, les vécus des règles sont variés et les stratégies mobilisées face au contrôle social tout autant, loin de la caricature largement relayée par la majorité des médias. Certaines stratégies sont mêmes créatives et constituent des outils de résistance complexes pouvant utiliser un cadre contraignant pour résister à un autre cadre contraignant.

Enjeux, préconisations et pistes d’action

Enjeux : Le contrôle social exercé en particulier par les hommes sur les femmes n’est pas spécifique aux quartiers, même s’il y prend une forme spécifique. Ses effets sur les trajectoires, les conduites et les attitudes des femmes sont contrastés et intimement liés aux rapports sociaux de sexe structurellement asymétriques dans la société française.

Préconisation : Une préconisation réaliste et non réductrice face à une telle richesse de positionnements et à un système patriarcal structurant profondément la société française dans toutes ses couches, consisterait à favoriser l’auto-émancipation des femmes via des démarches participatives comme évoquées dans la partie une dédiée aux offres.

132 Une réflexion nous est apparue ici, qui mériterait probablement d’être creusée ultérieurement : le port du voile (voir les nombreux motifs déjà évoqués supra) pourrait peut-être également constituer une façon de maintenir certaines règles morales transcendant ainsi ce « passage facile et rapide d’un milieu moral à un

autre » qui pourrait ainsi être anxiogène et pas seulement excitant lorsque les codes moraux du hors-quartier

ne sont pas connus ou maîtrisés (deuxième catégorie de femmes abordée dans la présente partie), que l’échange avec des inconnu-e-s est incertain et fluctuant, et que la crainte de déroger aux règles est forte.

110

Ces démarches permettraient ainsi à celles et ceux qui se sentent oppressés par les règles de régulation sociale de trouver des espaces où illes peuvent ponctuellement s’en extraire (notamment via la non-mixité ponctuelle mais pas seulement).

Elles permettraient à celles qui craignent le hors-quartier d’en travailler voire d’en expérimenter, de façon accompagnée, les codes.

Et enfin, à celles jouant plus ou moins habilement des cadres et se négociant des espaces de liberté dans le hors-quartier, de trouver un lieu où partager leurs expériences et où possiblement relier et faire dialoguer des parties du soi social expérimentant des codes et des règles sociaux/ales parfois contradictoires et possiblement clivants.