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2.2   Vulnérabilité et adaptation en milieu rural 33

2.2.3   Stratégies d’adaptation et leurs barrières 36

Dans certaines recherches, détailler le type d’impacts avec lesquels les ménages doivent composer lorsqu’il y a une inondation représente une étape essentielle pour expliquer comment ces ménages s’adaptent. À l’instar des éléments de sensibilité aux inondations présentés ci-haut, l’échelle d’analyse se situe alors principalement au niveau des ménages. Ceux-ci sont considérés comme étant des acteurs d’adaptation importants, comme en témoignent Gaillard et al. (2008) à propos d’une communauté philippine : «  The people of Sagrada can hardly rely on external aid. The village calamity fund is

around US$50 per year and is only available once the area is declared under state of calamity […] The people of Sagrada resort to a wide range of local coping strategies. As mentioned above, the major issue is livelihoods as villagers depend on selling fish, crabs and prawns, which are threatened  » (p. 389).

Les stratégies d’adaptation développées par les ménages ruraux du Vietnam et d’ailleurs en Asie du Sud-Est sont très variables. Il est difficile de cerner des tendances fortes dans la littérature recensée. Dans certains contextes, les gestes se font surtout dans une logique de court terme qui ne permet pas aux ménages de s’ajuster de manière durable au contexte inondable à plus long terme qui tient compte des changements climatiques (McElwee et al., sous presse  ; Phong et al., 2008). Dans cette logique, certaines actions sont posées immédiatement avant les inondations. Par exemple, des réserves de nourriture et d’eau peuvent être faites. Des mesures d’urgence censées protéger la propriété comme l’installation de sacs de sable sont également très fréquentes (McElwee et al., sous presse, p. 16). Des gestes sont aussi souvent posés immédiatement après les inondations. Ils visent souvent à réparer les dommages causés et à retrouver l’état antérieur à celles-ci (Phong et al., 2008  ; McElwee et al., sous presse). Toujours concernant la temporalité des gestes adaptatifs, Phong et al. (2008) ont relevé une certaine hétérogénéité au sein d’une même communauté. Les ménages les plus riches ont davantage les moyens de se protéger des inondations à plus long terme, notamment en élevant le niveau des fondations de leur maison. C’est là le type de mesures auquel l’ensemble des ménages devrait recourir, mais la recherche souligne que tout le monde n’en a pas les moyens (Brouwer et al., 2007  ; Few et Pham, 2010).

Dans d’autres contextes, les stratégies développées par les ménages s’inscrivent dans une logique d’adaptation aux inondations à beaucoup plus long terme (Dang et al., 2014a  ; 2014b). Ces stratégies concernent souvent les moyens de subsistance des paysans. Par exemple, dans la communauté du delta du Mékong étudiée par Dang et al. (2014a, p. 541), plusieurs ménages apportent des ajustements au calendrier des récoltes et aux techniques de plantation en fonction de la menace des inondations. Dans certains cas, les types de récoltes sont eux-mêmes diversifiés. Ces stratégies ont pour objectif d’amenuiser les impacts qu’ont les inondations sur les récoltes. Dans une région comme le delta du Mékong, où les inondations sont des phénomènes annuels récurrents, les paysans y recourent souvent pour leur efficacité et leur faible coût (Dang et al., 2014b).

Les bénéfices des stratégies d’adaptation liées aux moyens de subsistance, plus particulièrement de la diversification des sources de revenus, sont abondamment soulignés dans la littérature (Adger, 1999  ; Arouri et al., 2015  ; Pham et al., 2016). Dans le contexte du delta du fleuve Rouge, dans le nord du Vietnam, McElwee et al. (sous presse) stipulent toutefois que le recours à ce type de mesures demeure marginal au sein de la communauté étudiée. Les chercheurs expliquent cette situation en évoquant des éléments de perception des risques :

«  Unlike reports of adaptation measures taken by farmers in flooded areas of the Mekong Delta, which have focused on changing production calendars and varieties, such actions were very limited in our site in the Red River Delta, which we attribute to low awareness of flood risk, given the relatively infrequent flood experiences over the past 30 years, and overconfidence of authorities in the ability of infrastructure approaches such as drainage and dikes in preventing floods.  » (McElwee et al., sous presse, p. 20)

Dans la littérature, la perception des risques comme ceux que posent les inondations est en effet présentée comme un déterminant important de la capacité des ménages à s’adapter (Phong et al., 2008  ; Dang et al., 2014a). Phong et al. (2008) mentionnent que la façon dont les ménages perçoivent les inondations influence le type de réponses qui sont apportées. Concevoir les inondations comme des phénomènes purement physiques favorise l’implantation de mesures infrastructurelles visant à les contrôler et à s’en protéger. Inversement, une bonne compréhension de l’interaction des facteurs à la fois physiques et socio-économiques dans la production de la vulnérabilité aux inondations permet de dépasser la réponse strictement infrastructurelle. Dang et al. (2014a) font la démonstration que lorsque les paysans ont une perception large des impacts des inondations, ils n’ont pas de difficulté à expliquer le lien entre les stratégies d’adaptation qu’ils mettent en œuvre et la réduction de la vulnérabilité de leur ménage.

La littérature fait également état de l’importance de l’accès aux ressources financières pour s’adapter (Adger, 1999  ; Brouwer et al., 2007  ; Gaillard et al., 2008  ; Phong et al., 2008  ; Arouri et al., 2015  ; Pham et al., 2016). Une diversification des sources de revenus est une façon d’aller chercher des revenus supplémentaires utiles pour développer ses propres actions adaptatives ciblées (ex : surélever le niveau de la maison). Comme on l’a vu plus haut, les ménages les plus riches ont, par exemple, la capacité de surélever leur maison, alors que les plus pauvres sont passablement limités par leur manque de ressources (Brouwer et al., 2007, p. 323). Phong et al. (2008) abondent dans le même sens :

«  At the household level the poor have fewer resources upon which to draw to counteract the impacts of flooding  » (p. 129).

Certaines études recensées évoquent un troisième élément important sur lequel les paysans peuvent s’appuyer pour composer avec les inondations : la force des rapports sociaux au sein des communautés (Adger, 1999  ; Brouwer et al., 2007  ; Gaillard et al., 2008  ; Phong et al., 2008). Le soutien entre proches et voisins serait particulièrement utile dans l’organisation des réponses après une inondation, notamment pour réparer les dommages causés ou offrir un soutien financier aux ménages qui en ont le plus besoin. En ce sens, il s’agit d’un déterminant efficace dans le court terme plutôt que dans le long terme, comme c’est le cas pour la perception des risques et l’accès aux ressources.

Finalement, certaines études évoquent des facteurs susceptibles d’être des barrières à l’adaptation pour les ménages (ex : Adger, 1999). Ces barrières se situent à une échelle bien au-dessus de la réalité quotidienne des ménages. C’est le cas du contexte institutionnel, souvent pointé du doigt dans la littérature (Adger, 1999  ; Gaillard et al., 2008  ; Phong et al., 2008  ; Few et Pham, 2010  ; Phuong, 2017). Par exemple, selon Adger (1999), les politiques d’ouverture économique du Vietnam ont accentué les inégalités et la pauvreté au sein du pays. Elles ont aussi effrité le capital social des communautés (Adger, 1999  ; Phong et al., 2008). Dans l’ensemble des études recensées, seuls Bastakoti, Gupta, Babel et van Dijk (2014) et Phuong (2017) font mention du rôle positif que peuvent jouer les institutions dans la capacité d’adaptation des ménages.

La contribution de l’ensemble des études citées ci-haut est inestimable pour comprendre la vulnérabilité aux inondations des communautés rurales au Vietnam et en Asie du Sud-Est. Malgré quelques distinctions, cette littérature couvre bien les trois composantes de la vulnérabilité (l’exposition, la sensibilité et la capacité d’adaptation). De plus, les auteurs explorent des déterminants de la vulnérabilité autant biophysique que socio-économique. Finalement, bien que l’analyse soit principalement menée à l’échelle des ménages, l’interaction avec d’autres échelles est également abordée. Ces caractéristiques de la littérature issues du contexte rural sont à comparer avec les grandes approches et constats principaux issus de la littérature étudiant la vulnérabilité et l’adaptation en milieu urbain.