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7.3   Efficacité à long terme des mesures d’adaptation et perceptions des risques

7.3.2   Perceptions des risques 124

Dans l’hypothèse où les infrastructures de drainage ne seront pas suffisamment performantes pour diminuer les futures inondations et que poursuivre leur mise à niveau pourrait entraîner des effets pervers variés, la responsabilité individuelle d’adaptation des ménages sera encore plus lourde. Au surplus, les sources de revenus supportant en partie la capacité actuelle d’adaptation des ménages risquent d’être fragilisées par le futur développement urbain dans le secteur. L’autre élément tout aussi alarmant présenté dans ce chapitre est que les améliorations des infrastructures déjà réalisées ne semblent pas favoriser un comportement adaptatif à long terme du côté des ménages. Le cœur du problème se situe dans la perception qu’ont certains villageois des risques d’inondation futurs et de l’efficacité des mesures d’adaptation collectives implantées.

Figure  50  :  Efficacité  à  long  terme  des  trajectoires  de  vulnérabilité  dans  le  village  de  Van  Quan   (source  :  auteur,  adaptée  de  Wise  et  al.,  2014)  

Légende du schéma : Flèches pâles = trajectoires préalablement maladaptatives  ; Flèches foncées =

trajectoires préalablement adaptatives  ; Flèches circulaires = cycles de décision (D1 = mise à niveau des infrastructures dans le village  ; D2 = capacité des ménages à hausser le niveau de leur maison  ; D3 = transition

économique des ménages  ; D4 = capacité des ménages à hausser le niveau de leur maison  ; D5 = incapacité à

Près de la moitié des ménages rencontrés (10/23) lors des entretiens semi-dirigés estiment qu’il y aura moins d’inondations dans le futur. Sans surprise, ces villageois mentionnent généralement ne pas être inquiets des conséquences des changements climatiques sur les inondations, ou encore perçoivent le phénomène d’une manière plutôt abstraite. Cette méconnaissance des risques futurs n’est pas complètement surprenante. Une étude réalisée auprès de ménages ruraux dans le delta du fleuve Rouge par McElwee et al. (sous presse) arrive à des conclusions similaires. Cette perception locale tranche évidemment avec les projections climatiques détaillées précédemment. Concrètement, le faible niveau de sensibilisation de la population quant aux risques futurs se traduit par un faux sentiment de sécurité chez des ménages. Or, la littérature indique que ce sentiment suffit souvent à plomber les efforts d’adaptation individuels (Grothmann et Patt, 2005).

La perception que les inondations diminueront découle en grande partie de la perception positive qu’ont les villageois de l’efficacité des investissements réalisés pour améliorer le système de drainage dans le village, bien que ce mémoire fait état des limitations associées à une telle mesure. Malgré sa connaissance du contexte climatique à prévoir, une villageoise observant déjà des inondations de moindre ampleur depuis l’aménagement du KDTM évoque cette confiance : «  Dans le futur, je n’ai pas d’inquiétude, car le système de drainage va être meilleur. Oui, les changements climatiques sont menaçants, mais je me sens prête malgré tout. La situation va aller en s’améliorant grâce aux investissements réalisés dans le village  » (9VQ_25 juin 2017). Combinées ensemble, la faible perception des risques d’inondation à long terme et la confiance dans l’efficacité du système de drainage nuisent à l’adaptation des ménages. Ces deux éléments ne favorisent pas un comportement proactif de leur part (Grothmann et Patt, 2005). Plusieurs auteurs ayant étudié d’autres contextes en Asie du Sud-Est (Gilard, 2006  ; Hoang et al., 2010  ; Douglass et Padawangi, 2015) formulent une critique similaire quant au faux sentiment de sécurité que procurent des mesures d’adaptation infrastructurelles.

Les propos d’un autre résident chez qui les inondations sont stables depuis des décennies supportent un tel constat. Ce dernier mentionne en effet que l’amélioration de la situation passe inévitablement par les investissements dans le système de drainage (1VQ_21 juin 2017). Ainsi, trop miser sur les infrastructures de drainage semble faciliter l’émergence d’un comportement passif à long terme chez les villageois. Pourtant, il a été montré dans cette recherche que le KDTM a, dans une certaine mesure, contribué à augmenter la capacité financière de certains ménages à réduire leur propre vulnérabilité. Ce gain en capacité ne donne toutefois rien si les villageois ne sentent pas le besoin de l’utiliser. Un tel

constat est pertinent d’un point de vue tant pratique que théorique. Il ajoute d’abord aux critiques déjà nombreuses concernant les réponses infrastructurelles que priorisent les autorités vietnamiennes pour réduire les risques d’inondation dans le nord du pays (ex : Gilard, 2006). D’un point de vue théorique cela ajoute du poids à la mise en garde contre les mesures d’adaptation «  sans regret  » faite par Dilling et al. (2015).

Dans le village de Van Quan, ce ne sont cependant pas tous les ménages qui affichent cette confiance. Sept répondants font état d’un niveau de conscience ou d’inquiétude face aux impacts potentiels des changements climatiques. De ce nombre, cinq perçoivent déjà une dégradation des inondations dans le village depuis que le KDTM a été construit. Ces répondants affichent naturellement une certaine nervosité face aux facteurs de risque d’inondation à plus long terme comme les changements climatiques. Cette perception n’apparaît cependant pas suffisante à elle seule pour supporter un comportement adaptatif chez les ménages concernés. Quatre villageois précisent que malgré cette inquiétude, ils ne sentent pas que leur ménage possède les ressources suffisantes pour se préparer adéquatement face aux inondations dans l’avenir. Il y a donc un réel sentiment d’impuissance de leur part.

Bref, face à l’inefficacité de certaines stratégies d’adaptation individuelles et collectives implantées dans le village, les ménages pourraient adapter leurs pratiques en vue de sortir de l’état de vulnérabilité dans lequel le dynamisme des contextes socio-économique et environnemental les a placés. Cependant, les perceptions que certains d’entre eux ont des risques d’inondation futurs restreignent fortement leur capacité à le faire. Dans d’autres cas, c’est plutôt le manque de ressource qui représente la barrière la plus importante.