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2.3   Vulnérabilité et adaptation en milieu urbain 40

2.3.2   Conséquences territoriales de la mauvaise gouvernance 44

Des études supplémentaires en milieu urbain stipulent que ce n’est pas que la capacité des autorités à bien gérer les risques d’inondation qui est effritée dans le contexte de transition urbaine actuel, mais aussi ces risques d’inondation qui sont accrus. À ce titre, le groupe d’études dont il est question ici s’intéresse aux conséquences territoriales concrètes des relations problématiques entre pouvoirs politique et économique plutôt qu’aux origines de cette caractéristique de la gouvernance urbaine. Alors que précédemment, plusieurs recherches ont été réalisées avec une approche d’économique- politique, c’est plutôt une approche d’écologie-politique qui est priorisée ici. Malgré ces approches différentes, les conclusions présentées dans les paragraphes qui suivent font échos aux grands constats évoqués dans la section précédente. Le groupe d’études présenté ci-dessous permet surtout de déterminer l’influence de la forme urbaine sur la gravité des inondations en milieu urbain.

L’échelle d’analyse priorisée dans les textes appartenant à ce groupe est plus micro, soit celle des communautés locales et des ménages. Les autres échelles ne sont pas exclues de l’argumentaire pour autant. Ces travaux montrent que le désir de croissance urbaine rapide des autorités et les relations opaques entre pouvoirs politique et économique peuvent mener à l’adoption de projets de développement urbain en zones inondables (Gilard, 2006  ; Hoang, Shaw et Kobayashi, 2010  ; Garschagen, 2015  ; DiGregorio et al., 2016). À Hanoi, les berges du fleuve Rouge se sont urbanisées

rapidement. En plus de l’écart qui existe au sein des institutions entre objectifs de développement urbain et gestion des risques d’inondation, l’urbanisation de cette zone est également attribuable à la mauvaise coordination entre autorités locales et gouvernement central (Hoang et al., 2010, p. 113). Même si, grâce à un système de digues protégeant maintenant l’ensemble du delta, le risque d’inondation demeure faible, ce changement d’usage du sol fait grimper en flèche la valeur des dommages causés si un évènement extrême survenait (Gilard, 2006).

L’analyse plus fine qui est faite par certains auteurs fournit des éléments de compréhension détaillés sur l’influence de la forme urbaine sur les inondations. Une majorité de recherches qui intègrent ce genre d’information sont des études de cas. DiGregorio et Huynh (2012), DiGregorio (2013) et Marks (2015) ont étudié des endroits qui ont subi d’importantes catastrophes naturelles au cours des dernières années (Quy Nhon au Vietnam et Bangkok en Thaïlande). Selon eux, les projets urbains de grande taille qui se multiplient en zones inondables, le développement rapide d’infrastructures et l’imperméabilisation des sols sont tous des facteurs qui ont augmenté la gravité de chacune de ces catastrophes. L’imperméabilisation des sols nuit à l’infiltration naturelle des eaux de pluie. De leur côté, les infrastructures et les grands projets immobiliers créent souvent des barrières à l’écoulement des eaux vers les bassins de rétention.

Douglass et Padawangi (2015), à Jakarta, Fanchette (2015), à Hanoi, et Limthongsakul et al. (2017), à Bangkok, ne se sont pas concentrés exclusivement sur des cas d’évènements extrêmes. Néanmoins, les grands constats qui ressortent de ces travaux concernant le rôle de l’urbanisation sur la gravité des inondations recoupent ceux des études discutées précédemment. Ces recherches mettent également en perspective les explications naturelles des inondations en démontrant que l’urbanisation joue présentement un rôle beaucoup plus important que les changements climatiques dans l’ampleur des dégâts causés. À Jakarta, les imposants nouveaux développements urbains aménagés en périphérie de la ville, souvent en zones inondables, bloquent l’évacuation des eaux lors d’inondations. Or, ce ne sont pas les résidents de ces nouveaux projets qui doivent composer avec les plus importants impacts de cette planification urbaine déficiente, mais plutôt les populations adjacentes qui sont souvent plus démunies (Douglass et Padawangi, 2015). Fanchette (2015) et Limthongsakul et al. (2017) partagent ce constat que les impacts négatifs qu’ont les grands projets urbains sur les inondations sont inéquitablement répartis à travers la ville. Afin de protéger les nouveaux projets immobiliers des eaux, ceux-ci sont souvent construits sur des plateformes surélevées par rapport aux établissements humains

qui leur sont adjacents. Ce sont ainsi ces milieux de vie déjà établis entourant les nouveaux développements qui sont disproportionnellement affectés de manière récurrente.

Les chercheurs ont également tendance à formuler une critique virulente des structures protectrices qui sont aménagées par les autorités, qu’elles soient permanentes comme des digues ou éphémères comme des sacs de sable. Cette critique tient essentiellement en deux points. D’une part, ces éléments donnent un faux sentiment de sécurité (Gilard, 2006  ; Hoang et al., 2010  ; Douglass et Padawangi, 2015). D’autre part, ils servent à protéger les nouveaux projets immobiliers contre les inondations au détriment des établissements préexistants (DiGregorio, 2013  ; Marks, 2015). Par exemple, à Bangkok, lors des inondations majeures de 2011, les autorités ont délibérément choisi de protéger le centre des affaires en le ceinturant de sacs de sable. Guidé par des préoccupations purement économiques, ce choix s’est fait au détriment des populations les plus pauvres qui elles, ont subi le gros des dégâts (Marks, 2015). Les études de cas de DiGregorio révèlent par ailleurs que les résidents de longue date des zones les plus affectées par ces perturbations sont conscients de la manière dont les structures de protection et les nouveaux développements urbains situés à proximité de leur habitat affectent leur environnement (DiGregorio et Huynh, 2012  ; DiGregorio, 2013).

Il est important de noter que le problème ne se limite pas aux cas des grands projets immobiliers. Les résidents, sur une base individuelle, contribuent eux aussi à urbaniser leur milieu de vie par des gestes souvent informels. Comme mentionné au chapitre précédent, en périphérie de Hanoi, par exemple, il est fréquent de voir chacun des villageois subdiviser sa parcelle résidentielle en vue de construire de nouveaux bâtiments ou encore d’aménager des chambres à louer sur les anciens jardins. Ces stratégies sont mises en œuvre dans une logique économique, au sens où elles permettent aux villageois de tirer profit de la transition urbaine en cours. Les conséquences environnementales sont bien présentes, car ce processus d’urbanisation se fait souvent en imperméabilisant des jardins ou même en remblayant des lacs et des étangs au sein des villages (DiGregorio, 2011). À l’instar des grands projets urbains, ce processus informel d’urbanisation peut aussi être pointé du doigt pour expliquer une hausse de la gravité des inondations dans les zones périurbaines.