• Aucun résultat trouvé

Chapitre 6. La première phase de la gestion adaptative du lac Wégnia

6.2. Les stratégies locales d’adaptation des populations riveraines du lac Wégnia face au

6.2.2. Les stratégies d’adaptation existantes

Lorsqu’un évènement climatique extrême survient et occasionne des dommages, les ménages font des ajustements en leur sein pour mieux résister, compenser les pertes ou minimiser leurs effets. Ces ajustements, qu’on peut appeler stratégie d’adaptation ou "stratégie de survie, permettent aux communautés locales de riposter au choc climatique sur les cultures pluviales. Pour connaitre ces ajustements ou options d’adaptation, nous avons invité les enquêtés à répondre à la question suivante : que faites-vous pour résister et repartir à la suite d’un phénomène climatique extrême ayant entrainé des dégâts ? Les réponses données sont de typologies diverses. Elles s’articulent autour du maraichage, de la pêche, de la vente de bétail, du petit commerce, de la chasse, et de l’exploitation forestière (figure 46).

L’adoption de ces stratégies, qui dépendent dans une grande mesure des ressources naturelles, soulève deux questions essentielles : les options d’adaptation préconisées par les communautés locales sont-elles pertinentes face aux changements climatiques? Quelles sont les interactions de ces activités avec le lac Wégnia? Nous allons analyser chacune de ces stratégies pour comprendre les menaces auxquelles elle fait face dans un contexte de changements climatiques et analyser en même temps ses rapports avec le lac Wégnia. 6.2.2.1. Le maraichage : une stratégie d’adaptation basée sur les cultures de contre- saison

Les communautés riveraines du lac Wégnia dépendent de l’agriculture pluviale pour leur subsistance. Mais, si les récoltes ne sont pas bonnes en raison d’un évènement climatique (extrême), ces communautés, dans leur grande majorité (88% des chefs de ménage interrogés soient 88 personnes sur les 100 personnes interviewées), pratiquent le maraichage comme stratégie alternative à la perte de récoltes. En réalité, pendant la saison sèche (de novembre-décembre à mai-juin), les cultures maraichères sont pratiquées habituellement par ces communautés et les cultures pluviales sont entretenues en saison des pluies (de juin-juillet à septembre-octobre). Cependant, si les récoltes sont mauvaises pour des raisons climatiques ou pour d’autres raisons, elles intensifient l’activité maraichère dans l’espoir de vendre les produits maraichers pour acheter les denrées alimentaires, notamment les céréales et tout autre produit pour répondre aux besoins des ménages. Anciennement reconnu comme une activité réservée aux femmes (Coulibaly, 2013), aujourd’hui, le maraichage occupe autant les femmes que les hommes. Différentes spéculations sont pratiquées, mais les principales sont : les choux, aubergines, tomates, oignons, piments, et accessoirement le riz irrigué.

L’activité maraichère connait cependant des difficultés ou menaces (tableau 14) notamment le tarissement précoce des puits (pour l’arrosage des plantes). Selon les communautés locales, ce tarissement précoce des puits est en lien avec la faible capacité de rétention d’eau du lac Wégnia, mais également avec la pluviométrie qui n’est pas toujours suffisante.

Une autre menace pour ce secteur demeure les fortes températures. En effet, avec des températures moyennes mensuelles variant entre 32,36°C au mois de mai et 24,27°C au mois de décembre (Harris et al., 2014), les températures de la zone d’étude sont relativement élevées. Or, il est admis pour l’Afrique de l’Ouest qu’à l’horizon 2050, les températures moyennes seront plus élevées d’environ 2 à 3°C (Lemoalle et al., 2014). Selon Hoegh-Guldberg et ses collaborateurs (2018), même si la température globale moyenne se maintenait en deçà de 1,5 °C, les régions comprises entre 15° S et 15° N (incluant la zone d’étude) devraient connaître une augmentation du nombre de nuits chaudes, ainsi que des vagues de chaleur plus longues et plus fréquentes.

Enfin, l’état défectueux des routes est un facteur limitant l’écoulement des produits maraichers vers les zones de consommation.

6.2.2.2. La pêche, la chasse, et l’exploitation forestière : des stratégies d’adaptation axée sur l’exploitation des ressources naturelles

Bien qu’elle ne soit plus une activité rentable en raison de la détérioration des ressources du lac Wégnia et, par conséquent, de la baisse de captures de poissons, la pêche intéresse encore 32% des chefs des ménages. Les quelques prises que font les pêcheurs (dont beaucoup ne sont pas professionnels) leur permettent d’avoir un petit revenu, de satisfaire, de temps à autre, les besoins nutritionnels de leur ménage ou de se procurer du poisson à moindres frais. Cette pêche est pratiquée sur les deux lacs (Wégnia et Kononi) et les différentes mares connexes. Les menaces qui pèsent sur ce moyen de subsistance sont la dégradation du lac, notamment son envasement et l’insuffisance des pluies (tableau 2). Si rien n’est fait pour réhabiliter ces deux lacs, l’activité de la pêche pourrait être sévèrement affectée en égard aux projections climatiques au Mali.

Concernant la chasse, sur les 100 chefs de ménage enquêtés, seulement deux d’entre eux (2%) se disent être chasseurs. Selon une étude menée par la direction nationale des eaux et forêts en 2012, la chasse est exercée par les chasseurs résidents et par ceux du dimanche (des fonctionnaires ou non profitant de la journée fériée du dimanche pour faire

de la chasse). Toutes les espèces fauniques sont ciblées par ces chasseurs et les rares animaux abattus sont dépouillés, dépecés et la viande est soit consommée, soit vendue (DNF, 2012). Cette activité est en perte de vitesse du fait de la diminution des animaux sauvages au sein de l’espace étudié. Les animaux se font rares à cause de la dégradation du lac se traduisant par la diminution de sa capacité de stockage d’eau (selon 43% des enquêtés), et la destruction de leur habitat, notamment le couvert végétal (d’après 30% des enquêtés).

Quant à l’exploitation forestière, elle fait allusion à l’utilisation des ressources de la forêt : les espèces ligneuses et non-ligneuses. Ceci dit, la forêt a, pour la population sahélienne, une importance capitale, car le bois et son dérivé, le charbon de bois, restent la principale source d’énergie. Au Mali, ils satisfont entre 93 et 97% des besoins en énergie de la population rurale et urbaine (Benjaminsen, 1996). Liée à la croissance démographique et surtout à la croissance urbaine, la demande en bois-énergie est très forte aujourd’hui et un véritable secteur économique s’est structuré autour de l’exploitation, du transport et du commerce de bois-énergie (Ozer, 2004). Quant à l’exploitation du bois d’œuvre et de service, elles serait également en pleine expansion (Benjaminsen, 1996).

Le phénomène n’épargne pas la zone du lac Wégnia, même si les populations locales disent qu’elles ne sont pas impliquées dans la commercialisation du bois-énergie (coulibaly, 2013). Elles sont quand même 19%, c’est-à-dire 19 personnes sur les 100 répondants, à affirmer qu’ils se servent de la forêt pendant les années où les récoltes sont mauvaises. En clair, les communautés locales tirent profit de la forêt d’une tout autre manière, à savoir l’utilisation du bois de service et les produits non ligneux. Elles utilisent le bois de service pour les toitures (les maisons sont en banco7), les greniers, les perches et poteaux (pour la construction des hangars par exemple), les enclos à bétail, les clôtures des jardins maraichers. Si tout cela peut être considéré comme faisant partie de leur droit à satisfaire

7 Terre crue : pour construire les maisons en banco, on mélange la terre crue avec de l’eau, et souvent avec de la paille ou des excréments de bovins. Dans certains cas, on peut en faire des briques, dans d’autres on empile directement les mottes de terres pour confectionner sa maison.

leurs besoins locaux, que dire des productions artisanales? Les artisans locaux fabriquent et vendent des mortiers, pilons, escabeaux, dabas8, etc.

Les productions non ligneuses, qui assurent parfois un revenu non négligeable aux populations locales, concernent la cueillette, l’apiculture, la pharmacopée et la chasse. En somme, une forte pression est exercée sur les ressources forestières de la zone d’étude si l’on considère, en plus de tout ce qui précède, la satisfaction en bois-énergie des ménages et l’extension ou le défrichement des terres agricoles au détriment de la forêt. Toutes ces actions combinées pourraient contribuer à la dégradation de la forêt et, par ricochet, à celle du lac Wégnia.

6.2.2.3. La vente de bétail et le petit commerce : des stratégies d’adaptation fondées sur la production de revenus monétaires

Les communautés riveraines du lac Wégnia ont développé le petit élevage comme activité génératrice de revenus. Presque chaque ménage dispose d’un petit troupeau de petits ruminants (ovins, caprins) auquel s’ajoutent, dans certains cas, quelques têtes de bovins. Ainsi, pour satisfaire certains besoins monétaires (surtout en période de soudure), on vend une ou quelques têtes depetits ruminants. Cette pratique est assez répandue dans la zone d’étude et est utilisée pour diversifier les revenus et s’adapter aux impacts climatiques sur les cultures. Nombreux sont les chefs de ménage (71%) qui disent avoir eu recours à cette technique pour survivre (surtout en cas de mauvaises récoltes). Diversifier ses revenus serait une stratégie pour ne pas dépendre d’une seule activité, qui du reste, est soumise aux aléas climatiques. C’est ce que confirment Lay et ses collaborateurs (2009), selon lesquels les paysans sahéliens diversifient leurs activités pour éviter de dépendre d’une seule activité tributaire d’une pluviométrie assez aléatoire.

Concernant le petit commerce, il est pratiqué par un nombre relativement élevé de chefs de ménage (30%). Il porte sur divers produits : les produits maraichers, forestiers,

8 Houe à manche court utilisée par les agriculteurs pour faire le labour, le sarclage, bref la préparation du sol. On l’utilise également pour malaxer le banco avec de l’eau pendant la construction des maisons.

artisanaux et les produits de volaille. Certains disposent de petites boutiques pour vendre l’huile, les bonbons, le thé, le sucre ... Mais tout cela se fait en parallèle de l’activité agricole. 6.2.2.4. La migration : une stratégie d’adaptation bâtie sur le déplacement

La migration désigne le « déplacement d’une personne ou d’un groupe de personnes,

soit entre pays, soit dans un pays entre deux lieux situés sur son territoire. La notion de migration englobe tous les types de mouvements de population impliquant un changement du lieu de résidence habituelle » (O.I.M, 2007, p. 47). La migration a diverses causes, mais

dans le Sahel, la variabilité climatique est l’un des facteurs qui contribuent à l’intensification du phénomène. Selon Cissé et ses collaborateurs (2010), les migrations dans les pays du Sahel se présentent comme une stratégie visant à réduire et à gérer les risques liés au climat. Ils précisent que, même si la mobilité est une réalité ancienne dans cette région, elle semble connaitre une accélération dans un contexte de dégradation de la pluie et semble devenue une stratégie d’adaptation aux aléas climatiques.

Dans le cas des communautés riveraines du lac Wégnia, les migrations sont en grande partie liées à la pauvreté des ménages et à l’insuffisance des récoltes. 38% des chefs de ménage riverains du lac Wégnia ont recours à ce phénomène migratoire. Est-il utile de rappeler que les communautés concernées sont occupées à plein temps pendant la saison des pluies. Mais, pendant la saison sèche, pour gagner un revenu complémentaire au revenu agricole, qui n’est pas toujours suffisant, certains se lancent dans l’activité maraichère et la plantation, d’autres restent au bord du lac pour pêcher quelques poissons (qui se font de plus en plus rares, à mesure que le lac se dégrade). D’autres encore décident de migrer en direction des grandes villes du Mali, de l’Afrique ou même hors de l’Afrique. À ce titre, la migration pourrait être considérée comme une stratégie d’adaptation aux conditions climatiques et environnementales.

Figure 46. Réponses des enquêtés par rapport à leurs options d’adaptation face aux évènements climatiques extrêmes (aléas climatiques entrainant des dommages) (source : nos enquêtes avril-mai 2018)

Conclusion partielle

À la suite d’un évènement climatique extrême ayant occasionné des dommages, les ménages font des ajustements en leur sein pour mieux résister, compenser les pertes ou minimiser leurs effets. Ces ajustements ou stratégies d’adaptation s’organisent autour des activités suivantes : le maraichage, la pêche, la vente de bétail, le petit commerce, la chasse, et l’exploitation forestière. Mis à part la migration et le petit commerce (informel et non structuré), les autres stratégies d’adaptation ont un lien fort avec les ressources naturelles et peuvent potentiellement subir les impacts des variations du climat. Elles sont en réalité des stratégies permettant aux communautés locales de vivre quand l’agriculture pluviale donne de mauvais résultats. Elles permettent également d’acquérir des revenus supplémentaires. Le maraichage, la pêche, la chasse, l’exploitation forestière, et la vente de bétail (élevage) sont des moyens de subsistance ayant des interactions avec le lac Wégnia. Donc, ce lac est très important dans la vie de ses riverains. D’ailleurs, les enquêtés (90%

88% 71% 38% 32% 30% 19% 2% 0% 50% 100% Maraichage Vente de bétail Migration pêche Petit commerce Exploitation forêstière chasse

d’entre eux) ont reconnu avoir recours, d’une manière ou d’une autre, aux services écosystémiques de ce lac, surtout pendant les années de déficit pluviométrique. Le lac Wégnia se place donc au cœur des stratégies locales d’adaptation aux changements climatiques.

Tous les moyens de subsistance étant désormais connus, ainsi que les menaces qui pèsent sur eux, quelles sont donc les meilleures réponses que les communautés concernées proposent vis-à-vis de chaque menace?

6.3. Choix de meilleures stratégies locales d’adaptation des moyens de