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Chapitre 2. Notion de vulnérabilité, notion de risque

2.2. Réduction de la vulnérabilité par l’adaptation et problématique de la mise en œuvre de

Le mot « adaptation » vient du latin adaptatio qui désigne l’action d’adapter au sens d’ajuster (Simonet, 2009). Il trouve son origine dans les sciences naturelles, notamment en biologie évolutionniste (Smit et Wandel, 2006). Ici, on fait allusion au développement des caractéristiques génétiques ou comportementales permettant aux organismes ou aux systèmes de faire face aux changements environnementaux afin de survivre et de se

Capacité d’adaptation Société Exposition Sensibilité Impact potentiel Variabilité et changements climatiques actuels et futurs Vulnérabilité Environnement Naturel/physique

reproduire (Winterhalder, 1980). En plus de la biologie, d’autres disciplines comme la psychologie, l’anthropologie, la sociologie, et la géographie utilisent le concept d’adaptation (Simonet, 2009). Cette transdisciplinarité explique pourquoi le mot adaptation a plusieurs définitions. Dans cette étude, nous l’utilisons dans le cadre des changements environnementaux, en général, et des changements climatiques, en particulier. À cet effet, la définition du terme adaptation que nous privilégions est celle de Smit et Pilifosova (2003) selon lesquels « l’adaptation fait référence aux ajustements des systèmes écologiques, sociaux ou économiques en réponse à des stimuli climatiques réels ou attendus et à leurs effets ou impacts. Elle fait référence aux changements de processus, de pratiques et de structures visant à atténuer les dommages potentiels ou à tirer profit des opportunités associées au changement climatique » (p. 879).

L’adaptation peut revêtir deux formes (Smit et al., 2000): l’adaptation réactive qui consiste à réagir après les impacts adverses des changements climatiques et l’adaptation anticipative qui, au contraire, consiste à agir avant la production des impacts dans l’objectif de réduire la vulnérabilité à ces impacts, d’en limiter les conséquences perverses ou d’en tirer des bénéfices.

On parle de capacité d’adaptation en faisant référence à la capacité ou au potentiel d’un système à réagir avec succès à la variabilité et aux changements climatiques, et elle comprend des ajustements à la fois dans le comportement, dans les ressources et dans les technologies (Adger et al., 2007). La capacité d’adaptation intègre les moyens d’action (les moyens physiques, institutionnels, sociaux ou économiques) ainsi que les caractéristiques personnelles ou collectives telles que l’aptitude à diriger (le leadership) et les capacités à gérer les ressources durablement (Mara, 2010; Chambers, 1989).

Ainsi, les concepts de vulnérabilité, d’adaptation et de capacité d’adaptation sont des concepts intimement liés. Les adaptations d’un système représentent des moyens de réduction de la vulnérabilité et sont les manifestations de la capacité d’adaptation (Smit et Wandel, 2006). Et, la nature de la vulnérabilité constitue un bon guide de l’efficacité des choix d’adaptation (Magnan, 2014). Pour ce qui est de la capacité d’adaptation, elle est un

préalable nécessaire à la conception et à la réalisation de stratégies d’adaptation efficaces (Brooks et Adger, 2005).

Notons, par ailleurs, que la notion de capacité d’adaptation ne fait pas l’objet d’un consensus chez les auteurs. Certains, comme Smit et Pilifosova (2003), pensent que la capacité d’adaptation des communautés humaines est déterminée par leurs caractéristiques socio-économiques et que les pays en voie de développement ont une faible capacité d’adaptation aux changements climatiques, et donc sont plus vulnérables. Par contre, d’autres (Magnan, 2009b; O’Brien et al., 2004b; Dupuis et Knoepfel, 2011) ne partagent pas totalement ce courant de pensée. Magnan (2009b), en prenant l’exemple de la tempête de 1999 et la canicule de 2003 en France, et l’ouragan Katrina qui a touché la Nouvelle-Orléans en 2005, réinterroge la capacité réelle des pays dits développés à gérer les catastrophes naturelles. Si on peut établir une corrélation entre la capacité d’adaptation et le niveau de développement, il n’est pas évident qu’une bonne capacité d’adaptation soit une garantie qu’un bon usage en sera fait (OCDE, 2009). Selon Magnan (2009b), la capacité d’adaptation n’est pas qu’une question de potentialités économiques et technologiques, mais il y a d’autres attributs de la société (aspects culturels, rapports sociaux, structuration politique et institutionnelle des territoires) qui peuvent exercer une grande influence sur l’aptitude à s’adapter (aux changements climatiques). Il pense que rien ne permet de dire que les communautés des pays dits en voie de développement manquent d’aptitudes à s’adapter et que celles des pays dits développés en ont suffisamment. Il est soutenu en cela par O’Brien et ses collaborateurs (2004b) qui démontrent, dans l’exemple de la Norvège, qu’une forte capacité d’adaptation n’est pas nécessairement une garantie pour que des actions concrètes soient mises en œuvre dans des zones très vulnérables. Ils soulignent que les statistiques nationales (revenu par habitant, fonds national de secours aux sinistrés…) font de la Norvège « un pays résilient », mais qu’en revanche, lorsque l’on change d’échelle, passant du niveau national au niveau régional et local en prenant en compte les différences sociales et économiques, on constate alors que des vulnérabilités apparaissent dans certaines régions, localités et groupes sociaux.

Quoi qu’il en soit, les pays sahéliens sont confrontés depuis fort longtemps à des conditions d’aridité et de désertification qui s’expriment à travers des sécheresses périodiques avec des conséquences sur les ressources et les activités qui dépendent de la pluviométrie (Clot, 2008). Selon Bretaudeau et ses collaborateurs (2011), les systèmes de production économiques de la sous-région ouest-africaine, fondés sur l’exploitation des ressources naturelles locales, restent fortement tributaires du climat et de ses variations. Ils ajoutent que sans mesure d’adaptation, la plupart des progrès, réalisés ces 50 dernières années en matière de développement et de lutte contre la pauvreté, seront inéluctablement compromis.

L’adaptation devient, dès lors, un impératif de développement pour l’Afrique de l’Ouest. Or, l’adaptation ne donne pas toujours les résultats escomptés. Certaines initiatives d’adaptation entreprises peuvent avoir des effets négatifs. Dans ce cas, on parle de « maladaptation » (IPCC, 2018a, p. 553). Le concept de maladaptation fait surface à la fin des années 1990 dans le contexte des changements climatiques. Le GIEC, dans son troisième rapport publié en 2001, le définit comme tout changement dans les systèmes naturels ou humains contribuant plutôt à augmenter la vulnérabilité aux stimuli climatiques qu’à la réduire. C’est-à-dire, une adaptation qui ne réussit pas à réduire la vulnérabilité, mais l’augmente plutôt (GIEC, 2001). Ensuite, une définition plus structurée est donnée par Magnan (2013) : « la maladaptation désigne un processus d’adaptation qui résulte

directement en un accroissement de la vulnérabilité à la variabilité et aux changements climatiques et/ou en une altération des capacités et des opportunités actuelles et futures d’adaptation » (p. 2). On entrevoit à travers la maladaptation tout l’enjeu de la mise en

œuvre de l’adaptation, qui peut être incrémentale ou transformationnelle.

L’adaptation incrémentale consiste, dans le contexte des changements climatiques, en l’introduction de petits changements stratégiques dans les pratiques existantes afin de maintenir le fonctionnement, l’intégrité et les valeurs des systèmes socioécologiques existants (Termeer et al., 2017; Noble et al., 2014). Mais, il se peut que l’évolution des changements climatiques (prévus) rende totalement insuffisant ce type d’adaptation (Kates

et al., 2012). On parle alors de limite à l’adaptation (Ouranos, 2015, p. 19). C’est-à-dire un

seuil au-delà duquel un système ne peut plus tenir et c’est là où un autre type d’adaptation, soit « l’adaptation transformationnelle », sera nécessaire pour éviter la catastrophe. L’adaptation transformationnelle est une adaptation qui modifie fondamentalement les attributs d’un système socioécologique en prévision des changements climatiques et de leurs impacts (IPCC, 2018). Il s’agit d’un changement significatif ou radical dans les pratiques habituelles, « dans notre façon d’agir » (par exemple faire déplacer une population à cause des risques climatiques qu’elle encourt) (Ouranos, 2015). L’adaptation transformationnelle a l’avantage de proposer des options d’adaptation et des stratégies là ou l’adaptation incrémentale a montré toutes ses limites (Kates et al., 2012).

En clair, c’est la problématique de la mise en œuvre de l’adaptation qui se pose. Il s’agit alors de bien réfléchir aux mesures d’adaptation afin d’éviter que des actions initiées, au titre de l’adaptation, ne génèrent pas des effets négatifs aujourd’hui et dans le futur. Suivant cette logique, toute initiative qui ne réduit pas de façon significative la vulnérabilité d’un système aux aléas climatiques ne relèverait pas de l’adaptation. Les mesures d’adaptation étant parfois complexes (contextes et échelles diverses), l’efficacité de leur mise en œuvre dépend du suivi et de l’apprentissage (GIEC, 2014a). C’est pourquoi dans cette étude, la gestion adaptative est préconisée pour la mise en œuvre efficace des stratégies d’adaptation visant à mieux gérer le lac Wégnia face à l’incertitude écologique liée aux changements climatiques. Cette approche de gestion adaptative s’appuie sur les connaissances traditionnelles des populations riveraines, qu’on peut appeler ici «

connaissance ou savoir écologique traditionnel » puisqu’il s’agit de la gestion d’un

écosystème. Qu’est-ce que la gestion adaptative ? Qu’est-ce qui la différencie des autres types de gestion ? Quelle est son importance et dans quel contexte peut-on l’appliquer ? Ce sont là quelques interrogations auxquelles nous nous efforcerons de répondre dans le prochain chapitre. De même, une clarification sera donnée au concept de « savoir écologique traditionnel ». Mais, voyons d’abord la notion de risque.