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Chapitre 3. Définition et mise en contexte des concepts de gestion adaptative et de savoir

3.1. La Gestion adaptative

3.1.6. Les contextes d’application de la gestion adaptative

La gestion adaptative est quelquefois critiquée comme approche de gestion des ressources naturelles malgré son adoption par de nombreuses agences de gestion des ressources, ONG, et organismes de politique internationale (Williams et Johnson, 1995). Qu’est-ce qui explique ce pessimisme face à l’application de la gestion adaptative ?

Certains estiment que peu de projets de gestion adaptative ont été effectivement mis en œuvre et que ceux qui existent se caractérisent par une durée trop courte pour évaluer leur efficacité (Westgate et al., 2013). Selon Lemos (2015), l’apprentissage adaptatif prenant en compte les systèmes socioécologiques est très difficile à accomplir et même une mise en œuvre réussie de l’apprentissage ne conduit pas nécessairement à un changement de comportement. De leur côté, Allen et Gunderson (2011) soulignent que la GA est difficile à mettre en œuvre et n’est appropriée que dans un nombre restreint de problèmes de gestion des ressources naturelles. Schoeman et ses collaborateurs (2014) vont jusqu’à

affirmer que la GA est plus « un idéal qu’une réalité… (avec) peu de preuves de succès; ambiguïté de la définition; complexité; barrières institutionnelles; risque; et coût » (p. 382). En dépit de ces critiques, il est à noter qu’au cours des deux dernières décennies, la gestion adaptative a été utilisée dans de nombreux pays, et elle est largement adoptée aujourd’hui comme concept fondamental dans la gestion des ressources naturelles (Parks, 2011) et largement citée dans la littérature académique (Johnson, 1999). L’approche a été développée pour être utile face à l’incertitude qui caractérise la gestion de tout système naturel (Nichols et al., 2007) et ses applications réussies sont aussi nombreuses que documentées (Parks, 2011). À titre d’exemple, dans le domaine de la pêche (Wilson et al., 2006; Berkes, 2006 ; Berkes; Raakjær et al., 2007); dans le domaine de la foresterie (Bormann et al., 1996 ; Murray et Marmorek, 2003 ; Marmorek et al., 2006), et dans celui de la faune (Williams et al., 1996; Johnson et Williams, 1999; Varley et Boyce, 2006; Nichols

et al., 2007). Dans le domaine de l’eau, la gestion adaptative a été explicitement adoptée

comme un cadre organisationnel central pour la restauration des grands écosystèmes riverains, lacustres et côtiers, y compris le haut Mississippi, le Missouri, le Colombia et le Colorado (Grand Canyon) …(Board and National Research Council, 2004, p. 52).

Il faut alors une réflexion sérieuse sur l’approche de la gestion adaptative afin de l’appliquer aux nombreux défis de conservation et de gestion auxquels font face actuellement les gestionnaires des ressources naturelles du monde entier (Nichols et al., 2007). Le pessimisme excessif exprimé face à l’application de la gestion adaptative réside le plus souvent dans la confusion entre les problèmes généraux de la gestion et les problèmes inhérents à la gestion adaptative en tant qu’approche de gestion des ressources naturelles (Rist et al, 2013). C’est pourquoi il est important de préciser clairement les conditions qui doivent prévaloir à l’application de cette approche qu’est la gestion adaptative. Pour cela, la question que l’on se pose est de savoir dans quel contexte faut-il appliquer la gestion adaptative.

Pour décider de l’application de la GA, un certain nombre de conditions préalables est nécessaire. En ce sens, Rist et ses collaborateurs (2013) présentent un cadre autour de trois

étapes (figure 10) pour décider quand la gestion adaptative est appropriée, faisable et par la suite réussie :

1) La pertinence de la gestion adaptative : pour que la gestion adaptative soit appropriée, il faut que l’incertitude écologique soit un frein pour la gestion et qu’il soit possible de réduire cette incertitude par l’expérience. L’incertitude écologique fait allusion au caractère incontrôlable de la nature, à l’imprévisibilité de ses effets et au dynamisme des conditions environnementales (Busquet, 2006). Elle est appelée « incertitude épistémique » par Walker et al. (2003) et « connaissance incomplète » par Brugnach et al. (2008). Un manque de données, un manque de fiabilité de ces données, l’incompréhension théorique ou tout simplement une ignorance générale peuvent être source d’incertitude écologique (Rist et

al., 2013). Parmi les sources d’incertitude, la variation environnementale (par exemple la

variabilité du climat) est souvent la source la plus fréquente d’incertitude et est largement incontrôlable (Williams, 2011a);

2) La faisabilité de la gestion adaptative : avant d’appliquer la gestion adaptative, il faut

s’assurer de sa faisabilité, notamment, en tenant compte de la disponibilité des ressources (soutien logistique, l’expertise, les finances, etc.) et de la complexité de l’environnement social, politique et institutionnel plus large dans lequel la gestion est réalisée ;

3) La réussite de la gestion adaptative : après les deux phases précédentes, il serait possible

d’évaluer la réussite de la gestion adaptative. En effet, s’assurer que l’application de la gestion adaptative est appropriée et faisable est nécessaire pour faire la distinction entre les limites de la gestion adaptative en tant que méthode et les défaillances de la mise en œuvre comme les obstacles politiques et institutionnels, les conflits entre parties prenantes, etc. Ces aspects, qui sont de nature à entraver la prise de décision, ne sont pas spécifiques à la gestion adaptative. La gestion adaptative doit être évaluée sur la base de sa capacité propre à atteindre un objectif précis, celui de la réduction de l’incertitude écologique.

Figure 10. Arbre de décision pour évaluer l’application de la gestion adaptative (source : Rist et al., 2013). Les avantages et ressources sont-ils suffisants? L'incertitude écologique est- elle un obstacle majeur aux objectifs de gestion? Les expériences écologiques peuvent-elles réduire les incertitudes? La GA a-t-elle réduit l'incertitude écologique conduisant à de meilleurs resultats de Gestion? Reconsidérer l'utilité des expériences écologiques L'incertitude ciblée peut-elle être reconçue ou déconstruite en incertitudes qui entravent les objectifs de gestion? Reconsidérer la formulation des problèmes ou utiliser des solutions de rechange à la GA La GA est-elle réalisable en termes plus généraux ?

Utiliser des alternative à la GA Utiliser des alternatives à la GA Formuler le problème ou utiliser des solutions de rechange à la GA Les défis politiques,

sociaux ou institutionnels sont les principaux obstacles à la réalisation des objectifs de gestion Succès OUI

OUI OUI OUI OUI

Échec Non

Non

Non

Non Non

Réduction de l’incertitude écologique Faisabilité de la gestion adaptative Succès de la gestion adaptative Pas conçu

Par ex, la mise en œuvre peut heurter les intérêts d’autres acteurs ou parties prenantes ou peut ne pas respecter

certaines valeurs, etc.