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Statuts des prestataires et position du réviseur

1.4 Principales formes d'intervention sur les traductions spécialisées

2.1.2 Statuts des prestataires et position du réviseur

Nous savons que l'ore en traduction spécialisée se répartit entre les types de prestataires suivants : les traducteurs indépendants encore appelés freelance, les petites et moyennes entreprises de traduction également désignées comme  agences  (terme parfois utilisé spéciquement pour désigner les organisations sous-traitant exclusivement leurs traductions), les grandes entreprises, nationales ou internationales et enn, les services de traduction gouvernementaux ou appartenant à des organisations internationales. La diversication de l'activité et l'augmentation des volumes de traduction, dus à la mondialisation des échanges ainsi qu'à l'explosion des nouvelles technologies, ont fait évoluer les services proposés et ont généralisé la pratique de la traduction et de la localisation en sous-traitance.

Sur l'usage de la révision en fonction du type d'organisation proposant des traductions, tous les auteurs s'accordent à distinguer secteur privé et secteur public : Brunette, citant Van Slype et al.15, évoque dans les années 1980 en Europe, une pratique systématique de la révision dans les bureaux des grands organismes et une pratique occasionnelle dans le secteur privé. Peter Arthern, repris par Sedon-Strutt, eectue les mêmes constatations :

His experience was that revision was the exception rather than the rule for texts produced by freelance translators or translation agencies, but the rule rather than the exception in the translation services of government departments and international organisations.16

Notons, cependant, que ces données ne sont pas récentes et que le monde de la traduction a beaucoup évolué ces dernières années, pour les raisons que nous avons citées ci-dessus. Rappelons aussi que nous manquons d'informations statistiques sur la révision pour la période récente. Pour nuancer l'opposition privé / public, signalons que la taille de l'entreprise peut aussi déterminer la pratique de la révision. Les grandes entreprises 14  Portée : importance, valeur (relativement aux conséquences, aux répercussions). , Dictionnaire

usuel du français, Hachette.

15 Van Slype, Georges et al. 1981 in op.cit. Brunette 1995 16 op. cit. 1990

tendent ainsi à hiérarchiser l'activité de leurs traducteurs et à désigner ociellement des réviseurs ou des traducteurs seniors, qui se consacrent totalement ou en partie à la révision. Voici la justication qu'en donne Juan C. Sager :

In most large translation departments there is a separate group of revisors who control all translations before they are sent out to clients. The control of translators' work by a rank-superior is a normal expectation in any hierarchically structured job environment. It is particularly important in large organisations with a steady turnover of sta.17

Le poste de réviseur se confond parfois avec celui de chef de projets ou de chef d'équipe. Il comporte alors des responsabilités multiples, envers les jeunes traducteurs en particulier :

Such designated revisers may also have training, administrative and management responsibilities : they may be charged with training new translators, distributing texts to the other translators, and supervising junior translators (writing their annual appraisals, recommending them for leave or promotion and so on).18

Brian Mossop ajoute que les nombreuses situations de sous-traitance entraînent un besoin de révision important :

Revisers may also check the quality of work done by contractors, and make any needed changes. Indeed, in some organizations today, all or almost all work is contracted, so that members of the translation sta spend their time checking the quality of contracted work and co-ordinating the members of translation teams working on large projects.19

Pour compléter le propos de Mossop, signalons, en nous appuyant sur notre propre expérience de la traduction professionnelle, que les projets volumineux ne sont pas réservés aux grandes entreprises. Nombre de PME de la traduction se voient coner des projets multilingues de grande envergure ; leurs traducteurs  en interne  ont alors parfois la charge de la révision du travail des traducteurs indépendants, en plus de la gestion administrative de la sous-traitance dans les langues qu'ils ne maîtrisent pas.

La multiplication des interlocuteurs, caractéristique des situations de sous-traitance, entraîne parfois un certain anonymat dans les relations, qui ne facilite pas la 17 op. cit. Sager

18 op. cit. Mossop 2001 19 Ibid.

communication autour de la traduction. Alexander Künzli décrit ce cas de gure pour justier les conits d'intérêts qui peuvent apparaître entre traducteur, réviseur et donneur d'ouvrage :

There is generally no direct communication between the commisioner, who may also be the source-text author and/or the target-text receiver, and the translator ; neither is there any direct communication between the reviser and the commissionner.20

Le réviseur peut être partagé entre la nécessité de respecter les exigences  parfois discutables  du donneur d'ouvrage et la recherche de la qualité selon les critères de la profession. La position de réviseur dans cette situation n'est ni la plus confortable, ni celle qui lui permet de remplir au mieux son rôle didactique. Nick Somers, dans la revue Translation Journal, s'élève contre le schéma  classique  de la révision déposée anonymement dans un répertoire ou un casier, puis récupérée par le traducteur, sans qu'il y ait de réel échange au sujet des corrections apportées :

Typically, the translator puts the fruits of his/her labour into a cubbyhole, the reviser collects it, red-pencils it and puts it back into the cubbyhole, and the translator retrieves the work to peruse, puzzle over, and ponder at his or her leisure (or not).21

Pour Somers, si cette pratique perdure, c'est moins par manque de temps à consacrer au traducteur que par crainte d'une remise en cause des corrections du réviseur. Pour Daniel Gouadec, ce sont bien les conditions de travail qui empêchent le réviseur d'en faire plus, même si celles-ci ne le dispensent pas d'expliquer au traducteur l'essentiel des constatations eectuées et des modications apportées :

Sauf en contexte de formation, il est rare que le réviseur eectue un véritable travail pédagogique  il s'agit là d'un luxe extrême. Cependant, tout réviseur doit prévoir de transmettre au traducteur une che de contrôle de qualité présentant les défauts majeurs relevés et les corrections eectuées ou proposées.22

Mossop rejoint Gouadec sur ce point et préconise une symbolisation des corrections pour communiquer avec le traducteur :  In order to justify your changes, you will need 20 op.cit. 2007

21SOMERS, Nick. Revision  Food for Thought. Translation Journal, janvier 2001, (page consultée le 20 juillet 2008), < http ://accurapid.com/journal/15revision.htm>

22 GOUADEC, Daniel. Révision, 2005, (page consultée le 28 juillet 2008)

a set of categories and a vocabulary for talking about translation. 23. Nous reviendrons sur les paramètres proposés par Mossop dans notre section consacrée aux critères de qualité utilisés en révision.

Nous avons évoqué la révision des traductions sous-traitées, celle du travail des jeunes traducteurs par des traducteurs plus expérimentés, mais d'autres contextes de révision existent : la révision réciproque (ou  relecture croisée ) de deux traducteurs travaillant sur un même projet, dans les PME de traduction n'employant pas de réviseur, par exemple. Dans ce cas, le  rapport de force  est équilibré et une discussion dynamique s'impose entre les deux traducteurs an de s'accorder sur le style ou la terminologie à adopter. Un autre cas de gure se présente régulièrement dans les organisations plus hiérarchiques : sur des projets volumineux, le traducteur en chef ou le réviseur se charge de relire les travaux des traducteurs de son équipe et de produire un document nal harmonisé. Mossop a très bien décrit les rapports entre réviseurs et révisés, ainsi que le partage des responsabilités en fonction des diérentes situations, dans son manuel de révision24.

Si de nombreux auteurs plaident pour un retour de la révision pédagogique, menée en rapport étroit avec le traducteur, voire en  tandem , certains vont plus loin en prônant une inversion des rôles entre le jeune traducteur et le traducteur expérimenté. C'est ainsi que Somers propose un modèle de relation traducteur / réviseur de  troisième génération 25, dans lequel les deux parties se révisent mutuellement. Il argumente en avançant que tout document traduit peut supporter une révision. Cette démarche participe, selon lui, à la formation du jeune traducteur en révision, au développement de sa conance en lui et au renouvellement perpétuel des compétences du traducteur plus expérimenté. Sedon-Strutt26défend, lui aussi, cette approche, en arguant qu'avant une révision faite par le jeune traducteur, le traducteur expérimenté aura déjà eectué l'essentiel du travail de traduction et de terminologie, ce qui peut nalement représenter un gain de temps sur la vérication nale de la traduction. Il rappelle également que les traducteurs expérimentés commettent aussi des erreurs et que leur orgueil peut être stimulé par la perspective d'une relecture par un traducteur novice, les poussant plus encore à rechercher la perfection.

Si les adeptes de cette nouvelle approche sont encore peu nombreux, tous les chercheurs s'accordent à dire qu'une attitude d'ouverture et un respect de l'eort de traduction doivent guider la pratique du réviseur ; mais nous y reviendrons.

23 op.cit. 2001 24 Ibid. 25 op.cit. 2001 26 op.cit. 1990