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Chapitre 2 Sur la spécificité des musées d’ethnologie

2. Le statut des objets

Avant de recentrer la question sur le musée proprement dit et sur la place qu’il donne aux objets dont il a la responsabilité, je voudrais aborder le statut de l’objet ethnographique dans le domaine privé266

où il est également très prisé. Quelle est sa valeur ? A quels besoins autres que fonctionnels répond-il ? Quelle est sa fonction culturelle et symbolique ? Quelles relations entretient-on avec des objets anciens ? Répondre à ces questions déborde naturellement le cadre de cette thèse ; je désire cependant esquisser quelques éléments utiles à la discussion, dans la mesure où ils peuvent expliquer aussi la relation affective ou émotionnelle entre le visiteur d’un musée et les objets qui y sont présentés.

Nous vivons entourés d’objets. Ceux-ci n’ont pas tous la même valeur à nos yeux et ils n’ont pas tous la même fonction. Certains d’entre eux sont purement « fonctionnels », utiles et généralement, ils ne représentent rien d’autre pour nous que ce à quoi ils servent. Leur valeur fonctionnelle est variable et dépend du contexte et des besoins. Bien que certains soient beaux ou luxueux, s’enrichissant de la sorte d’une fonction supplémentaire de l’ordre du prestige, ils demeurent des objets caractérisés par leur capacité à faire ou produire ce que l’on attend d’eux, ce que l’on peut appeler leur fonction objective, par laquelle ils sont habituellement désignés. Pour reprendre l’exemple de Baudrillard267

, un réfrigérateur n’est pas un « objet », c’est d’abord un réfrigérateur car il est utilisé à des fins de réfrigération. Néanmoins, s’il

265 « Le regard porté sur le patrimoine ethnographique vieillit très vite et mérite d’être en permanence

revu, corrigé », déclare Jean Guibal, expliquant que l’exposition temporaire est un dispositif bien adapté pour permettre des approches toujours différentes. A propos de la constitution de collections contemporaines, il dit qu’il s’agit là d’une « réflexion sur la construction perpétuelle du patrimoine et sur le sens que lui donnent au fur et à mesure nos contemporains ». « Quel avenir pour le musée des A.T.P. ?, Entretien avec Jean Guibal », Le débat n°70, p. 158 et 161.

266 Par « objets du domaine privé », j’entends davantage les souvenirs ou les objets anciens faisant partie

de la décoration ou de l’ambiance d’une maison, telles qu’on en trouve chez la plupart des gens, plutôt que les collections de vrais collectionneurs, ceux-ci entretenant un rapport parfois compulsif voire passionnel avec leurs objets et souvent dépendant du « marché ».

Le sens de la visite - Thèse de doctorat - Noémie Drouguet - Octobre 2007 - 78 s’agit du vieux frigo américain qui trônait dans la cuisine de vos (grands) parents et que vous avez récupéré, il est chargé d’une valeur supplémentaire, abstraite de sa fonction. Le réfrigérateur se double d’une fonction subjective : il devient une relique, objet d’intercession avec les temps révolus et l’âme de vos grands-parents, objet de récession vers l’enfance, objet de mémoire.

Les objets anciens, exotiques, marginaux, folkloriques…qui « vivent » à nos côtés échappent aux exigences du calcul fonctionnel et répondent à un besoin d’un autre ordre : témoignage, souvenir, nostalgie, évasion268

. Ils renferment un « supplément d’âme » et nous renvoient à nous-mêmes269

. Dans certains cas (le frigo), il conserve une utilité, tandis que dans d’autres, il n’a plus aucune incidence pratique : il se pare d’un statut strictement subjectif et a pour fonction de « signifier » et d’ « être possédé », devenant un objet de collection. En dehors de la va leur d’usage, il y a la valeur que l’on attribue à l’objet270

. Que peut signifier l’objet ancien ou l’objet ethnologique pour celui qui le possède ? Le message que son propriétaire désire décrypter pour lui-même ou celui qu’il voudrait que l’objet transmette à d’autres personnes (ses invités etc.) dépend de l’origine de l’objet271

.

A-t-il été, par exemple, dégoté chez un antiquaire ou sur un marché aux puces ? L’objet est une référence au passé, il signifie le temps : « L’exigence à laquelle répondent les objets anciens est celle d’un être définitif, un être accompli. Le temps de l’objet mythologique, c’est le parfait : c’est ce qui a lieu dans le présent comme ayant eu lieu jadis, et qui par cela même est fondé sur soi, « authentique ». L’objet ancien, c’est toujours, au sens fort du terme, un « portrait de famille ». C’est sous la forme concrète d’un objet, l’immémorialisation d’un être précédent – processus qui équivaut dans l’ordre imaginaire à une élision du temps. C’est ce qui manque évidemment aux objets fonctionnels, qui n’existent qu’actuellement, à l’indicatif, à l’impératif pratique, s’épuisent dans leur usage sans avoir eu lieu jadis et qui, s’ils assurent plus ou moins bien l’environnement dans l’espace, n’assurent pas l’environnement dans le temps. L’objet fonctionnel est efficace, l’objet mythologique est accompli »272

. Même si rien ne le relie directement et personnellement avec le passé de son propriétaire, l’objet ancien ou

268 Ces objets sont « évasion de la quotidienneté, et l’évasion n’est jamais si radicale que dans le temps [en

note : Le déplacement touristique se double ainsi toujours de la recherche du temps perdu], elle n’est jamais aussi profonde que dans sa propre enfance », BAUDRILLARD, Jean, Le système des objets, Paris (Gallimard), 1968, p. 113.

269 L’objet marginal renvoie au sujet, à celui qui le possède et lui confère une signification particulière.

C’est une explication récurrente chez Baudrillard, qui lui permet d’avancer des interprétations d’ordre psychanalytiques intéressantes mais que je ne me risque pas à reprendre à mon compte.

270 Indépendamment de sa valeur d’usage, on pourrait attribuer à un frigo une valeur esthétique, une valeur

heuristique, une valeur symbolique ou encore une valeur de souvenir. Voir SCHARER, Martin, « La relation homme-objet exposée : théorie et pratique d’une expérience muséologique », dans Publics et Musées, n° 15, Lyon (P.U.L.), 1999, p. 31-42, p. 33.

271 Ajoutons que pour les objets anciens d’une certaine valeur (antiquités et objets d’art, surtout), « la liste

des propriétaires successifs donne aux objets une aura légendaire. L’objet qualifie le propriétaire qui qualifie l’objet » (DAVENNE, Christine, Modernité du cabinet de curiosités, Paris (L’Harmattan), 2004, p. 23).

Le sens de la visite - Thèse de doctorat - Noémie Drouguet - Octobre 2007 - 79 artisanal exerce une sorte de fascination qui lui vient de ce qu’il est passé par la main de quelqu’un et qu’il porte l’inscription de son travail et du moment de la création ou de l’utilisation. L’antériorité des formes et des modes de fabrication, l’allusion à un monde révolu et l’angoisse ou le vertige que cette idée peut provoquer, la présence infime mais sublime et rassurante des générations passées… tout cela intervient dans la fascination exercée par l’objet ethnologique.

Est-il un souvenir d’une personne ou d’une époque que l’on a connue ? Il devient un « objet passeur de mémoire » pour reprendre le titre d’une exposition temporaire montée récemment par le Pass à Frameries273

… Les objets sont le réceptacle de toutes sortes de souvenirs, qui resurgissent du passé, voire des éléments dans lesquels se cristallise la présence devenue tangible d’un être cher ou disparu. La mémoire peut être « vive » ou de première main lorsque l’objet rappelle un épisode vécu à son propriétaire (la lampe utilisée par un ancien mineur). Elle peut aussi être de seconde main, lorsque l’objet ainsi que le récit ont été transmis par la personne ayant vécu un épisode particulier (le fils du mineur éprouve une relation différente à la lampe, qui lui remémore son père et le récit de ce dernier, mais qu’il n’a jamais utilisée personnellement). Cette distinction est valable dans le domaine privé autant que dans les musées d’ethnographie où les personnes réagiront différemment à la vue de certains objets, selon qu’ils évoqueront pour elles un fait vécu ou rapporté.

Une fois infiltré au sein du musée, l’objet ethnographique, tout comme une œuvre d’art ou plus encore comme un document historique ou un objet technique, acquiert un statut particulier, celui d’objet de musée. Il ne peut plus être utilisé, il perd sa valeur d’usage, de même que l’authenticité que lui conférait son milieu d’origine. Il se pare de la valeur patrimoniale « officielle » et d’aucuns lui accordent au passage un surcroît de dignité274

. Au- delà de cela, on peut observer, selon moi, un certain nombre de spécificités par rapport à d’autres types de musées, et singulièrement par rapport aux musées de beaux-arts. Ces spécificités ou ces différences tiennent à la valeur marchande ou de rareté des collections, aux critères esthétiques qui prévalent ou non dans la constitution des collections et, partant, à la qualité même des objets, souvent modestes, d’usage courant, parfois issus de productions en série.

273 Objets passeurs de mémoire, exposition présentée du 21 février au 25 avril 2004 au Pass. Elle a ensuite

été montée au Bois du Cazier à Marcinelle et au Manège à Namur.

274 Pour Pascal Lardellier, à propos du statut de l’objet de musée, « c’est un lieu commun de rappeler que

celui-ci n’est en rien un objet au sens étymologique : il ne gît pas là, inerte. (…) Introduits dans l’enceinte du musée, les expôts sont quasiment sacralisés ; plus qu’objets de culte, ils deviennent les objets mêmes du culte. Elevés en tout cas à une dignité plus haute que celle qu’ils avaient dans leur milieu d’origine, ils sont présentés comme des œuvres d’art à part entière, auxquelles on prête volontiers un regard émerveillé et mélancolique. Et en définitive, il semblerait que les musées d’ATP recueillent surtout des objets afin que devant eux le public se recueille ». LARDELLIER, Pascal, « Dans le filigrane des cartels… Du contexte muséographique comme discours régionaliste : l’exemple du Museon arlaten », dans Publics et Musées, n° 15, p. 63-78, p. 63.

Le sens de la visite - Thèse de doctorat - Noémie Drouguet - Octobre 2007 - 80 Tout d’abord, la valeur marchande ou valeur de remplacement du patrimoine ethnographique, dont les « œuvres » sont souvent des multiples, est beaucoup moins grande que celle du patrimoine artistique ou archéologique, par exemple, qui compte plutôt des pièces uniques. Si cela est, théoriquement, sans incidence sur la valeur scientifique des collections, celles-ci ne recèlent pas le même prestige et n’exercent pas la même fascination sur le public. L’émotion que le visiteur peut ressentir est d’un autre ordre, comme je l’ai évoqué précédemment dans le domaine privé. Néanmoins, certains musées souffrent de la désaffection d’une part du public, qui juge ces collections trop modestes car elles ne donnent pas lieu à des expositions temporaires de prestige ; ils souffrent aussi du désintérêt des instances de tutelle et des sponsors pour les musées de ce type275

.

Par ailleurs, les musées d’ethnographie ne s’intéressent plus seulement à l’objet artisanal mais aussi à l’objet manufacturé et de plus en plus à la production en série. Le souci d’investigation dans la vie contemporaine et leur questionnement de la société d’aujourd’hui poussent certains d’entre eux à collecter des biens de consommation tels qu’on les trouve dans les grandes surfaces, comme au Musée d’ethnographie de Neuchâtel. Néanmoins, ce musée fait encore figure d’exception et la collecte n’a, du reste, rien de systématique276

. La règle générale serait, comme le suggère François Hubert, que « la conservation est inversement proportionnelle à la prolifération »277

. Il faut encore distinguer entre les objets qui peuvent entrer dans la classe de l’art populaire278

et ceux qui en sont exclus mais qui présentent

275 En réalité, rares sont les musées, tous types confondus, qui ne trouvent à se plaindre du manque

d’attention politique et financière qu’on leur porte. Cependant, les musées d’ethnographie semblent réellement mal lotis, si l’on en juge par le contenu de quelques communications prononcées au colloque Les faiseurs de musées au Musée d’Ethnographie de Neuchâtel les 18 et 19 septembre 2004. La palme du désespoir politique aurait pu être attribuée, parmi les orateurs, à Michel Colardelle. Concernant la situation en Italie, Forni oppose les petits moyens accordés aux musées d’ethnographie, qui n’attirent guère « l’attention de nos intellectuels ou des bureaucrates du Ministère de la culture » par rapport aux « institutions et expositions officielles dotées de moyens énormes ». FORNI, Gaetano, « Les musées d’ethnographie en Italie : dix ans d’extraordinaire croissance », dans Museum international n° 204 (vol. 51, n°4), 1999, p. 47-52, p. 50.

276 Tous les objets de ce type ont été acquis à l'occasion d'expositions temporaires, à la suite desquelles ils

ont rejoint les collections permanentes du musée.

277 HUBERT,François, « Avant-propos » dans Constituer aujourd'hui la mémoire de demain, Actes du

colloque de Rennes (décembre 1984), s.l. (Musée de Bretagne et M.N.E.S.), 1988, p. 5. Il ajoute que « plus un objet est produit en quantité et plus il se banalise et perd de son intérêt aux yeux des utilisateurs. Comme la production industrielle et les phénomènes de mode qui entretiennent des relations d’interdépendance à la fois économique et culturelle ont des cycles de plus en plus courts, la conservation n’est pas assurée si l’objet n’est pas prélevé au moment où il est encore en usage ». Il pourrait s’agir, selon un exemple de Veillard, des premiers billets délivrés aux premiers voyageurs en train : ce petit document a été produit à des centaines voire à des milliers d’exemplaires et il n’en reste même pas un à un peu plus d’un siècle de distance. Cela pose la question de la « transmission d’un multiple », VEILLARD, Jean-Yves, « Rareté du quotidien et de l’actualité dans les musées », dans Constituer aujourd'hui la mémoire de demain, Actes du colloque de Rennes (décembre 1984), s.l. (Musée de Bretagne et M.N.E.S.), 1988, p. 17.

278 Jean Cuisenier a établi une liste de critères d’évaluation des objets d’art populaire. Ceux-ci sont repris

par Zeev Gourarier, qui y ajoute la dimension symbolique. Il détermine sept classes d’objets. GOURARIER, Zeev, « L’échange symbolique entre le musée et la société », dans Constituer aujourd'hui la mémoire de demain, Actes du colloque de Rennes (décembre 1984), s.l. (Musée de Bretagne et M.N.E.S.), 1988, p. 43-44.

Le sens de la visite - Thèse de doctorat - Noémie Drouguet - Octobre 2007 - 81 néanmoins une valeur documentaire et qui doivent être conservés, tels que les outils et ustensiles non-décorés.

En effet, dans une collection muséale de type ethnographique ou de société, les objets ne sont pas, en principe, choisis en fonction de critères esthétiques279

, contrairement à la démarche des musées d’art. « Cette distinction est importante car fondatrice », explique Emilia Vaillant. « Il ne s’agit pas là de considérer qu’elles sont moins belles ; elles ont un autre sens et le vocabulaire nous aide. Ce sont des objets ou documents témoins et non des œuvres au sens œuvres d’artistes »280

. Il est vrai qu’on ne parle jamais d’ « œuvre » ethnographique, sauf à considérer un objet selon le strict point de vue de l’art populaire. Même dans ce cas de figure, on ne présente jamais la personne qui a l’a réalisé comme un artiste mais bien comme un artisan, qui reste souvent anonyme. De toute façon, la virtuosité d’un artisan ne sera que rarement envisagée comme telle, sous l’angle d’une personnalité exceptionnelle par exemple, mais elle sera plus volontiers interprétée par les ethnologues comme le résultat d’une tradition particulièrement riche et de la capacité d’une société de transmettre des gestes et des savoir- faire. Ici, l’ethnographie européenne rejoint l’ethnographie exotique en niant les individualités au profit de l’analyse d’une société qu’ils veulent voir homogène. Malgré cela, rien n'empêche d'apprécier les « oeuvres » du patrimoine ethnologique selon les deux espèces : les présenter et les lire à la fois comme des documents et des oeuvres d'art281

.

Les objets ethnographiques sont des « documents », ce qui les rapproche des collections de musées d’histoire : « La frontière est nettement marquée entre musée d’art et musé d’histoire : tandis que le musée d’art s’appuie sur des œuvres d’art, le musée d’histoire, tout comme le musée d’ethnographie, utilise les objets qu’il expose comme témoins matériels et preuves des interprétations de l’histoire »282

. L’objet doit délivrer un message explicatif, des informations, et pas (uniquement) un message esthétique. En effet, « nul n’est empêché d’avoir une jubilation esthétique devant un lit clos breton, un batik mulhousien, une linotype du Quercy ou un puit de chevalement du Nord… et nous sommes nombreux à la partager. Mais, c’est au titre de la construction de la mémoire collective que leur mise au musée est ou a été définie »283

. Les œuvres d’art, qui contribuent aussi à cette construction, sont, quant à elles, conservées et exposées avant tout pour leur valeur esthétique, et beaucoup plus rarement pour

279 Sauf à suivre les conseils de Claude Lévi-Strauss adressés au Musée des ATP : pour lui la question de

la conservation se résume à savoir ce qui est beau de ce qui ne l’est pas. CHIVA, Isac, « Qu’est-ce qu’un musée des arts et traditions populaires ? Entretien avec Claude Lévi-Strauss », dans Le Débat, n° 70, p. 165-173, p. 171-172.

280 VAILLANT, Emilia, « Les musées de société en France : Chronologie et définition», dans BARROSO,

Eliane et VAILLANT, Emilia (dir.), Musées et sociétés. Actes du Colloque de Mulhouse Ungersheim (1991), Paris (RMN), 1993, p. 16-38, p. 16.

281 DUCLOS, Jean-Claude, « Pour des musées de l'homme et de la société », dans Le Débat, n° 70, mai-

août, 1992, p. 174-178.

282 GORGUS, Nina, Le magicien des vitrines, Paris (MSH), 2003, p. 7.

283 VAILLANT, Emilia, « Les musées de société en France : Chronologie et définition», dans BARROSO,

Eliane et VAILLANT, Emilia (dir.), Musées et sociétés. Actes du Colloque de Mulhouse Ungersheim (1991), Paris (RMN), 1993, p. 16-38, p. 16.

Le sens de la visite - Thèse de doctorat - Noémie Drouguet - Octobre 2007 - 82 leur rôle documentaire. Les deux ne peuvent-ils être appréciés simultanément284

? Pour Martin Schärer, les objets « d'histoire » sont « des signes ayant pouvoir de nous mettre en relation avec un monde qui appartient à notre culture mais est disparu ». Il les compare aux objets ethnographiques extra-européens qui « appartiennent à une culture des autres, portant de ce fait toute la distance de l'ailleurs et toute la proximité de certaines pratiques »285

.

« Les sciences humaines qui privilégient la notion de signification confèrent au musée un nouveau rôle : outil d’explication des évolutions et des changements plutôt que sacralisation de l’objet », avance Hubert286

. Cette affirmation, qui devrait concerner tous les types de musée de sciences humaines, comprenant certes les musées d’histoire mais aussi les musées d’art dans la mesure où l’histoire de l’art est aussi une science humaine, n’est pas entendue par tous les musées d’ethnographie et de société : ceux qui se donnent pour objectif d’expliquer les évolutions et les changements ne sont pas légion, même 20 ans après cette communication ! Du reste, certains conservateurs recherchent tout de même l’esthétique des objets – à défaut des « œuvres » - lorsqu’il faut faire des choix d’acquisition et plus encore de présentation. Georges Henri Rivière, dont on sait que l’esthétisation au musée était l’une de ses pratiques muséographiques privilégiées, jugeait les objets muséaux selon des critères esthétiques, il « considérait la culture populaire sous l’angle de l’art populaire287

», ce qui lui fut parfois reproché par ses successeurs.

Ce statut d’objet-document au musée d’ethnographie et la valeur patrimoniale particulière des collections ont des implications sur le plan des fonctions muséales. Du point de vue de la conservation d’abord, et en particulier de la politique d’acquisition. La plupart des objets entrent dans la collection par voie de dons : dans la mesure où tout ou presque peut devenir du ressort d’un musée d’ethnographie ou de société, tout le monde possède des objets potentiellement pièces de collection. La frénésie du patrimoine ethnologique et la création exponentielle de musées pour l’accueillir et le mettre en valeur (voir chapitre 1) amène le commun des mortels, pas ethnologue pour un sou mais riche de ses propres expériences et de son propre patrimoine, à estimer avec un autre regard les objets qui l’entourent. L’obsession ambiante pour la mémoire (collective) et la commémoration pousse ces mêmes personnes, surtout lorsqu’elles sont âgées ou lorsqu’elles ressentent que « tout change » autour d’elles, à

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