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Chapitre 1 Du folklore au musée de société

3. Création et évolution des musées d’ethnographie

Cette section va me permettre de brosser rapidement l’histoire et l’évolution des musées d’ethnologie. Il s’agit pour moi de décrire les conditions historiques, économiques, sociales et scientifiques qui ont permis la création des premiers musées d’ethnographie et de société et qui ont encouragé ou, au contraire, défavorisé leur devenir. Il apparaît surtout, mais peut-on s’en étonner ?, que le musée est une chose éminemment politique ; tantôt au sens noble du terme, tantôt nettement moins. Les musées qui nous intéressent ici semblent, davantage encore que les institutions consacrées aux beaux-arts et à l’archéologie, aux sciences et techniques et aux sciences naturelles et peut-être même à l’histoire134

, contraints de prouver leur utilité publique et surtout politique. Les idéologies des créateurs et des conservateurs de musées, autant que celles des personnalités ou des administrations qui leur permettent de (sur)vivre et, d’une façon générale, « l’air du temps » jouent clairement un rôle de premier plan dans l’histoire de ces institutions, grandes ou petites, et sont forcément perceptibles dans les projets muséaux135

. A nouveau, mon intention n’est pas d’atteindre l’exhaustivité mais de présenter un cadre général dans lequel certains aspects vont ultérieurement retenir mon attention. Du reste, ce chapitre n’est pas consacré à l’évolution muséographique, qui fait l’objet du troisième chapitre.

a) De l’utilité d’exposer le folklore

Le XIXe siècle est une période féconde pour tous les types de musées. On assiste à une véritable frénésie dans la création et la diversification des institutions muséales136

. Parmi Daniel, « L’ethnologue et ses sources », dans ALTHABE, Gérard, FABRE, Daniel et LENCLUD, Gérard (dir.), Vers une ethnologie du présent, Paris, (MSH), 1992, p. 39-55, p.40.

133 Lorsqu’il lança les « chantiers intellectuels » durant la Seconde Guerre mondiale, Rivière craignait « de

ne pas avoir le temps d’étudier et documenter la culture rurale avant qu’elle ne soit détruite par la révolution industrielle et la guerre ». GORGUS, Nina, Le magicien des vitrines, Paris (MSH), 2003, p. 137.

134 Celle-ci ne fait-elle pas plus facilement l’objet d’un compromis, notamment parce qu’elle existe déjà de

façon « officielle » dans les manuels scolaires ?

135 Pour une étude approfondie des projets muséaux à travers l’histoire et tous les types d’instititions

muséales, on se reportera à MAIRESSE, François, Le musée, temple spectaculaire. Une histoire du projet muséal, Lyon (P.U.L.), 2002.

136 Voir GOB, André et DROUGUET, Noémie, La muséologie. Histoire, développement, enjeux actuels,

2ème édition, Paris (Armand Colin), 2006 et les ouvrages généraux retraçant l’histoire des musées et notamment POULOT, Dominique, Patrimoine et musées. L'institution de la culture, Paris (Hachette), 2001.

Le sens de la visite - Thèse de doctorat - Noémie Drouguet - Octobre 2007 - 45 celles-ci, on compte plusieurs musées d’ethnographie générale, c’est-à-dire avant tout exotique ou « coloniale »137

, dont certains sont directement issus d’anciens cabinets de curiosités et des musées d’histoire, qui, en cette « génération des revendications nationales »138

, affichaient un contenu souvent identitaire139

. Les musées techniques et les musées d’industries font également leur apparition140

.

La fin du siècle est aussi marquée par les premières tentatives d’exposition des arts et traditions populaires et du folklore. On voit alors se profiler « des enjeux idéologiques entre un musée conçu comme outil d’instruction populaire et un musée réceptacle d’un savoir populaire qu’il s’agit de revaloriser »141

. Que cela soit pour s’adresser aux paysans et aux prolétaires ou pour inventer et figer une image séduisante des campagnes et de leurs habitants, le musée est instrumentalisé : il est mis au service d’une certaine idéologie ou d’une certaine politique.

Pour moraliser et instruire, pour faire régner l’ordre social et pour amener les campagnes vers le progrès, il faut éduquer les paysans. Une cinquantaine de « musées cantonaux » sont fondés

137 Les grandes expositions internationales servent aussi à mettre en vitrine les colonies et les styles de

présentation, comme le goût pour les reconstitutions, ont sans doute inspiré par la suite les créateurs des musées de folklore. Les pavillons des colonies françaises à l’exposition universelle de Paris en 1878 et surtout le village indonésien de l’Exposition internationale d’Amsterdam en 1883, où des autochtones se livraient à divers travaux, ont sans doute joué le rôle de modèles. Ces musées reçoivent donc d’emblée une finalité de développement économique et une idéologie politique : ils doivent valoriser l'expansion coloniale, pour soutenir l'essor du commerce et de l'industrie. (KLEIBER-SCHWARTZ, Liliane, « Du Musée des colonies au musées des communautés », dans Museum n° 175 (vol. XLIV, n°3, 1992), p. 137-141). Voir aussi WASTIAU, Boris, „la reconversion du musée glouton“, dans GONSETH, Marc-Olivier, HAINARD, Jacques et KAEHR, Roland, Le musée canibale, Neuchâtel (MEN), 2002, p. 85-109, sur le Musée royal de l’Afrique centrale à Tervuren (ouvert en 1897 sous le nom „Musée du Congo“, à l’issue d’une expositionn coloniale).

138 DESVALLEES, André, « La muséographie des musées dits « de société » : raccourci historique », dans

BARROSO, Eliane et VAILLANT, Emilia (dir.), Musées et sociétés. Actes du Colloque de Mulhouse Ungersheim (1991), Paris (RMN), 1993, p. 130-136, p. 131.

139 Le Musée des Monuments français d’Alexandre Lenoir, ouvert en 1795 mais fermé en 1816, le Musée

national de Budapest (1802), le Musée patriotique de Prague (1818), etc. L’identité pouvait aussi s’affirmer dans les musées d’« antiquités nationales », comme celui de Saint-Germain-en-Laye (1862) ou plus généralistes comme le Germanisches national Museum de Nuremberg (1852).

140 En France, le Conservatoire national des Arts et Métiers de Paris, musée révolutionnaire ouvert au

public en 1799, bien qu'il fut créé par décret en 1794, avait déjà montré la voie. Dès 1848, de nombreux projets de « Musée polytechnique », « Musée populaire de l’industrie », « Musée des travailleurs » sont lancés, destinés à stimuler l’économie, à valoriser le travail industriel, à inspirer les travailleurs et les étudiants. Ils ne verront pas tous le jour. Ils sont d’abord soutenus par les associations et ensuite, progressivement, par les municipalités et par l’Etat ; parallèlement, s’estompent dans ces présentations la place de l’homme et la dimension sociale (VAILLANT, Emilia, « Les musées de société en France : Chronologie et définition», dans BARROSO, Eliane et VAILLANT, Emilia (dir.), Musées et sociétés. Actes du Colloque de Mulhouse Ungersheim (1991), Paris (RMN), 1993, p. 16-38, p. 18). Fondé dans le sillage de l’Exposition Universelle de Londres en 1851, le Victoria & Albert Museum de South Kensington, autre « musée économique », ouvre ses portes en 1952 avec l’ambition de développer l’industrie anglaise (MAIRESSE, François, Le musée, temple spectaculaire. Une histoire du projet muséal, Lyon (P.U.L.), 2002, p. 49-50).

141 COLLET, Isabelle, « Les premiers musées d’ethnographie régionale en France » dans Muséologie et

Le sens de la visite - Thèse de doctorat - Noémie Drouguet - Octobre 2007 - 46 en France à partir de 1876142

, à l’initiative de l’avocat Edmond Groult : « le musée cantonal (…) se plie très intimement aux besoins divers de chaque région. Avec ses sections patriotiques, agricoles, industrielles, commerciales, maritimes, scientifiques, artistiques, d’hygiène et de philanthropie, il explique tout ce que les paysans et les ouvriers ont intérêt à connaître du coin de terre qu’ils habitent »143

. Ces musées pédagogiques se développent sur le modèle des musées scolaires, formés de petites collections rassemblées par les professeurs et destinés à appuyer les « leçons de choses »144

. Un autre projet, qui ne vit jamais le jour, fut celui d’un « Musée populaire » à Bruxelles, imaginé dès les années 1860 par Charles Buls, futur bourgmestre de la capitale. La mission de ce musée, destiné au prolétariat, était basée sur l’éducation : « éveiller le désir d’apprendre, mettre à la portée de tous les moyens d’acquérir facilement les sciences, répandre des idées claires et précises sur toutes les connaissances humaines »145

. Ce projet ne se destinait en aucun cas à abolir les différences de classes entre le paysan ou l’ouvrier et le savant, mais bien de frapper l’imagination du peuple et forcer son respect vis-à-vis de l’ « élite »146

. Chacun reste à sa place… Dans ce type de musées, autant sinon davantage que dans les autres, sous ses dehors progressistes et éducatifs, ce sont les valeurs bourgeoises qui s’exposent et s’imposent ; le prolétariat n’a d’autre choix que d’accepter sa position par rapport à l’élite147

. Notons qu’on retrouve également, en cette fin de XIXe siècle, des musées ou projets de musées témoignant des mêmes visées populaires (« le musée pour tous ») et utilitaristes (le musée répondant aux besoins des diverses professions) aux Etats-Unis notamment148

.

Un tout autre objectif est par ailleurs assigné au musée, ou plutôt à l’exposition ethnographique ou folklorique. Pour faire face à l’exode rural qui menace un certain équilibre

142 On comptait 75 musées cantonaux en 1890 (MAIRESSE, François, Le musée, temple spectaculaire.

Une histoire du projet muséal, Lyon (P.U.L.), 2002, note 50, p. 169.)

143 M. V. « Les musées cantonaux », L’Action régionaliste, janvier-mars 1905, p. 371. Cité par COLLET,

Isabelle, « Les premiers musées d’ethnographie régionale en France » dans Muséologie et ethnologie, Paris (RMN), 1987, p. 68-99, p. 85.

144 On compte à cette époque plus de 13.000 musées scolaires en France (MAIRESSE, François, Le

musée, temple spectaculaire. Une histoire du projet muséal, Lyon (P.U.L.), 2002, p. 47)

145 MAIRESSE, François, Le musée, temple spectaculaire. Une histoire du projet muséal, Lyon (P.U.L.),

2002, p. 45.

146 MAIRESSE, François, Le musée, temple spectaculaire. Une histoire du projet muséal, Lyon (P.U.L.),

2002, p. 46.

147 « Tous les moyens sont mis en œuvre pour que la visite contribue à ce programme, autant au niveau de

l’architecture que par les collections ou les moyens d’exposition. Certains projets de musées se spécialisent sur l’une ou l’autre de ces valeurs, notamment les musées d’hygiène, qui s’adressent à un public spécifique, mais tous participent au grand rappel des valeurs bourgeoises. La fin du XIXe siècle est ainsi marquée par le triomphe du capitalisme bourgeois ». MAIRESSE, François, Le musée, temple spectaculaire. Une histoire du projet muséal, Lyon (P.U.L.), 2002, p. 48.

148 Voir MAIRESSE, François, Le musée, temple spectaculaire. Une histoire du projet muséal, Lyon

(P.U.L.), 2002, p. 54 et suivantes, qui présentent différentes tendances des musées américains de cette époque. Ceux-ci ont généralement privilégié la fonction éducative de l’institution, en plaçant le public au centre de la démarche, en accordant plus ou moins d’importance au statut des collections, et en renforçant l’American Way of Life. On peut encore ajouter que la Russie, après la Révolution de 1917, a aussi utilisé le musée comme un instrument d’éducation populaire. MAIRESSE, François, Le musée, temple spectaculaire. Une histoire du projet muséal, Lyon (P.U.L.), 2002, p. 64.

Le sens de la visite - Thèse de doctorat - Noémie Drouguet - Octobre 2007 - 47 des campagnes, l’ambition est de revaloriser l’univers provincial de façon à enraciner les populations dans leur région. Les expositions universelles offrent les premières mises en spectacle du monde rural qu’elles entendent valoriser. Elles exposent le charme pittoresque (comme les costumes149

) et les qualités de la campagne et des paysans, ainsi que leurs compétences spécifiques et la modernisation des régions, parfois surestimées, en matière d’agriculture principalement150

. Les courants régionalistes de plus en plus présents vont marquer l’évolution de l’image des campagnes. Lors de ces événements, l’exposition de la vie rurale et traditionnelle montrait une image de stabilité nationale et de préservation des coutumes. La présentation idéalisée, voire idyllique, des scènes populaires « offrait la vision d’un peuple comblé et inspirait confiance à la bourgeoisie »151

. De plus, ces tableaux de la vie traditionnelle devenaient des arguments touristiques dans la mesure où ces régions préservées commençaient à être accessibles par le chemin de fer : « Au cours du XXe siècle, l’industrie touristique a pris grand soin de maintenir l’image de la vie populaire que les artistes et les fondateurs de musées du XIXe siècle avaient créée »152

.

Néanmoins, la qualité et la valeur des savoir et art populaires restent intimement liés à la nature même du paysan, à sa « race » comme on aime à le souligner. Le folklore est présenté comme étant collectif et inné, ôtant par là même le mérite qui pourrait être rendu au paysan. C’est pourquoi Isabelle Collet se demande « si la naissance des musées d’ethnographie régionale ne vient pas confirmer ce processus de dépossession et d’exclusion, en attribuant une valeur scientifique ou artistique à des objets détachés de leur contexte socio-culturel d’origine, afin de légitimer leur entrée au musée et de les soumettre aux regards des autres »153

. Cette question n’est, à mon sens, pas pertinente uniquement pour l’objet « folklorique » mais pour l’objet ethnographique au sens large, comprenant aussi les productions extra-européennes, et elle est, du reste, encore d’actualité dans les musées.

b) Premières institutions spécialisées

149 Voir MARTINET, Chantal, « L’objet ethnographique est un objet historique » dans Muséologie et

ethnologie, Paris (RMN), 1987, p. 31-36, p. 34.

150 COLLET, Isabelle, « Les premiers musées d’ethnographie régionale en France » dans Muséologie et

ethnologie, Paris (RMN), 1987, p. 68-99 et COLLET, Isabelle, « Le monde rural aux expositions universelles de 1900 et 1939 », dans Muséologie et ethnologie, Paris (RMN), 1987, p. 100-139.

151 DE JONG, Adriaan et SKOUGAARD, Mette, « Les intérieurs d’Hindeloopen et d’Amager : deux

exemples d'un phénomène muséographique », dans SCHIELE, Bernard, Les dioramas, Publics et Musées, n° 9, Lyon (P.U.L), 1997, p. 17-33, p. 26.

152 DE JONG, Adriaan et SKOUGAARD, Mette, « Les intérieurs d’Hindeloopen et d’Amager : deux

exemples d'un phénomène muséographique », dans SCHIELE, Bernard, Les dioramas, Publics et Musées, n° 9, Lyon (P.U.L), 1997, p. 17-33, p. 26.

153 COLLET, Isabelle, « Les premiers musées d’ethnographie régionale en France » dans Muséologie et

ethnologie, Paris (RMN), 1987, p. 68-99 et COLLET, Isabelle, « Le monde rural aux expositions universelles de 1900 et 1939 », dans Muséologie et ethnologie, Paris (RMN), 1987, p. 100-139.

Le sens de la visite - Thèse de doctorat - Noémie Drouguet - Octobre 2007 - 48 On considère que le premier musée d’ethnographie consacré uniquement au domaine régional est le Nordiska Museet, créé en 1873 par Hazelius154

à Stockholm. Cette institution connut un retentissement important dans toute l’Europe car Hazelius présenta des « images vivantes » de scènes rurales scandinaves (« dioramas » avec des meubles authentiques et des mannequins habillés de costumes traditionnels) dans le cadre des expositions universelles, notamment155

. En 1877, dans la même veine, une exposition historique de la Frise à Leeuwarden fut l’occasion de présenter l’intérieur d’une pièce typique de Hindeloopen, qui connut un grand succès, au point que l’année suivant elle fut représentée à l’Exposition de Paris156

. A côté des espaces consacrés aux cultures exotiques, une Salle de France est inaugurée au Musée d’Ethnographie du Trocadéro157

en 1884, suite au succès de l’exposition suédoise de 1878158

. Cet espace regroupait des intérieurs mobiliers typiques de chaque région, tandis que des mannequins en situation, habillés des plus beaux costumes159

, présentaient les différentes « races » françaises, distinguées par la forme de leur crâne160

. En 1885, Bernhard Olsen fonda

154 Artur Hazelius (1833-1901) était issu d’une famille de la bourgeoisie aisée de Stockholm, dans laquelle

on était très patriote (NORDENSON, Eva, « Au commencement était… Skansen », dans Museum n° 175 (vol. XLIV, n° 3), 1992, p. 149-150). En 1891, c’est encore Hazelius qui inaugure le premier musée de plein air, Skansen, à Stockholm ; cette présentation de la Suède « en miniature » (GORGUS, Nina, Le magicien des vitrines, Paris (MSH), 2003, p. 84) rassemblait une centaine de bâtiments issus des différentes régions du pays et était associée au Nordiska Museet. En outre, ce musée possédait un fond vivant : il abritait des hommes et des animaux. Le programme du musée comportait de multiples manifestations : présentations artisanales, groupes de musiciens et de danseurs, groupes folkloriques. Il connut rapidement un grand succès et devint le prototype des musées de plein air en Europe. Voir aussi : DE JONG et SKOUGAARD, « Les premiers musées de plein air. La tradition des musées consacrés aux traditions populaires», dans Museum, n° 175, (vol. XLIV, n°3), 1992, p. 151- 157.

155 DESVALLEES, André, « La muséographie des musées dits « de société » : raccourci historique », dans

BARROSO, Eliane et VAILLANT, Emilia (dir.), Musées et sociétés. Actes du Colloque de Mulhouse Ungersheim (1991), Paris (RMN), 1993, p. 130-136, p. 131.

156 DE JONG, Adriaan et SKOUGAARD, Mette, « Les intérieurs d’Hindeloopen et d’Amager : deux

exemples d'un phénomène muséographique », dans SCHIELE, Bernard, Les dioramas, Publics et Musées, n° 9, Lyon (P.U.L), 1997, p. 17-33, p. 17-18.

157 En plus des collections provenant des pays extra-européens, le Musée d’Ethnographie du Trocadéro

possédait des collections européennes, provenant essentiellement de collectes en Europe centrale et orientale, constituées par Ernest-Théodore Hamy et son assistant Armand Landrin. GORGUS, Nina, Le magicien des vitrines, Paris (MSH), 2003, p. 68.

158 Le public parisien put découvrir au Trocadéro lors l’exposition de Paris en 1878, « la section suédoise

(qui) avait été préparée par le nouveau musée ethnographique scandinave, le Nordiska Museet, (…)(qui) avait amené à Paris une partie de ses collections de costumes et d’objets populaires pour reconstituer au Trocadéro, comme ils étaient présentés en Suède, des scènes de la vie du peuple et ses mœurs. (…) On pouvait observer une demande en mariage, le retour des chasseurs lapons, une scène de foire au village de Mora ». Ces « dioramas » rencontrèrent un succès immédiat auprès du public populaire. COLLET, Isabelle, « Les premiers musées d’ethnographie régionale en France » dans Muséologie et ethnologie, Paris (RMN), 1987, p. 68-99, p. 75

159 « Arnaud Landrin, conservateur à la Salle de France du Trocadéro incite à la collecte de costumes

régionaux qu’il estime être en voie de disparition et donne à cette recherche un sens patriotique ». VAILLANT, Emilia, « Les musées de société en France : Chronologie et définition», dans BARROSO, Eliane et VAILLANT, Emilia (dir.), Musées et sociétés. Actes du Colloque de Mulhouse Ungersheim (1991), Paris (RMN), 1993, p. 16- 38, p. 23.

160 Zeev GOURARIER, « L’échange symbolique entre le musée et la société », Constituer aujourd’hui la

mémoire de demain, p. 14-44, p. 42. Les têtes des mannequins avaient été « moulées sur nature ou modelées d’après nature par M. Hébert », LANDRIN, A, « Les musées d’ethnographie », Revue des Traditions populaires, n°5, mai 1888, p. 241-246, cité par COLLET, Isabelle, « Les premiers musées d’ethnographie régionale en France » dans Muséologie et ethnologie, Paris (RMN), 1987, p. 68-99, p. 80.

Le sens de la visite - Thèse de doctorat - Noémie Drouguet - Octobre 2007 - 49 le Musée danois d’Art populaire dans lequel il installa un intérieur provenant de l’île d’Amager161

. La mode était lancée… Cette façon de placer des mannequins dans une mise en scène prenant place dans un intérieur reconstitué représentait l’attrait principal des premiers musées et des sections ethnographiques des grandes expositions, notamment parisiennes. De nombreux pays, ou plutôt des régions culturelles et des groupes ethniques, voulurent leur musée de folklore et ceux-ci se multiplièrent : Cardiff au Pays de Galles, Cluj en Transylvanie roumaine, Zagreb, Innsbruck, Cologne…

Le premier musée ethnographique dans les pays francophones est le très provençal Museon arlaten ou Palais du Félibrige, fondé par Frédéric Mistral en 1896. Suivent le Musée dauphinois (1906) et le Musée alsacien (1907). En Belgique, le poète Max Elskamp et Edmond de Bruyn entreprennent de rassembler une collection d’ « objets de folklore » dès la fin du XIXe siècle. Ils créent une « association amicale », le Conservatoire de la Tradition populaire. La collection est présentée au Palais de Justice de Bruxelles en 1903 lors de l’ « Exposition d’objets d’art, d’industrie et d’usages populaires et traditionnels ». Elle forme le noyau du premier musée consacré au folklore, qui est celui d’Anvers, fondé par en 1907162

. Le Musée de la Vie Wallonne, inauguré en 1913, s’en inspire163

. En Italie, quelques expositions ethnographiques sont organisées dans différentes villes (Palerme, Turin, Milan, Florence) à la fin du XIXe siècle et le Musée italien d’ethnographie de Florence est créé au tournant du siècle. Cependant, ces premières expériences restent des cas isolés ; il faut attendre les années 1960 et 1970 pour que se développent les musées d’art et traditions populaires164

.

c) L’entre-deux-guerres

Durant l’entre-deux-guerres, les musées se multiplient ; davantage que des musées consacrés uniquement au folklore, il s’agit de musées régionaux, locaux, qui s’intéressent et présentent globalement une région, un territoire. Les aspects historiques, voire archéologiques, sont présentés, de même que la géographie physique et humaine. Les popularités du coin

161 DE JONG, Adriaan et SKOUGAARD, Mette, « Les intérieurs d’Hindeloopen et d’Amager : deux

exemples d'un phénomène muséographique », dans SCHIELE, Bernard, Les dioramas, Publics et Musées, n° 9, Lyon (P.U.L), 1997, p. 17-33, p. 20. En 1897, Olsen établit le premier musée danois de plein air, le Frilandsmuseet qui se déplaça quelques années plus tard à Lyngby.

162 Guide illustré au Musée de Folklore (sic), Anvers (De Vos et van der Groen), 1913.

163 REMOUCHAMP, Edouard, « Le Musée de la Vie wallonne », dans LEJEUNE, Rita et STIENNON,

Jacques (dir.), La Wallonie. Le pays et les hommes. Lettres – arts – culture. Tome IV : compléments, Liège (La Renaissance du Livre), 1981, p. 384-389.

164 « Dans les années 50, la moitié environ de la population italienne était encore employée dans

l’agriculture. Les sciences ethnographiques et les sciences du folklore, bien entendu, se développaient

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