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Chapitre 2 Sur la spécificité des musées d’ethnologie

1. L’ethnologie et les autres sciences humaines

Il me semblait, tout d’abord et en dehors de tout contexte muséal, qu’il devait bien exister des différences avérées entre la science ethnologique et ses proches cousines et que, si elles parvenaient bien à jouer parfois ensemble ou à se disputer quelque bac à sable, chacune possédait son aire de jeu propre. Aux ethnologues et apparentés (ethnographes, anthropologues), les entretiens et les collectes de témoignages ; aux sociologues, les enquêtes systématiques ; aux historiens, les archives. Aux ethnologues, les terrains restreints arpentés

239 On peut classer l’ethnologie aussi bien dans les sciences sociales que dans les sciences humaines ; je

Le sens de la visite - Thèse de doctorat - Noémie Drouguet - Octobre 2007 - 71 en solitaire ; aux sociologues, les larges investigations et les grandes équipées ; aux historiens, l’étendue du passé. Aux ethnologues, les petites gens, le peuple, les vieux ; aux sociologues, les ensembles représentatifs de la population ; aux historiens, les hommes passés ou passant à la postérité. Et tant d’autres évidences du même tonneau, qui furent rapidement battues en brèche dès les premières lectures sur le sujet. Les frontières entre ces quelques disciplines sont fluctuantes et poreuses : les terrains, les objets et les méthodes se recoupent indiscutablement. De mes études, j’ai retenu – entre autres – que l’histoire concerne les civilisations possédant l’écriture et qu’elle se base principalement sur des documents écrits pour retracer l’évolution de l’humanité depuis lors, c’est-à-dire depuis l’Antiquité. Les civilisations antérieures à l’écriture sont, quant à elles, du ressort de l’archéologie uniquement et celles qui demeurent en dehors de l’écriture, de l’ethnographie. Ces démarcations héritées du XVIIIe siècle sont, faut-il le souligner, bien pratiques : elles permettent d’organiser aisément le champ des connaissances entre le monde civilisé réservé à l’histoire et le monde sauvage, domaine de l’ethnographie. Seule l’histoire naturelle a le droit d’intervenir sur tous les tableaux240

. Malheureusement, cette organisation est un peu trop simple pour être réellement efficace et l’on s’y casse les dents lorsqu’on veut caser l’étude des sociétés traditionnelles « de chez nous » puisqu’elles sont basées sur l’oralité sans être complètement en dehors de l’écriture ni parfaitement sauvages…

Au niveau des sources, l’historien travaille sur des ensembles constitués : accumulations raisonnées de descriptions homogènes, inventaires, corpus, atlas, dictionnaires. L’ethnologue de l’Europe peut également avoir recours à ces données mais, dans la mesure où sa discipline est fondée sur la pratique du terrain et sur l’enquête, il « sécrète » ses propres sources241

. Certains voient dans les sources et dans les méthodes utilisées par l’historien plus d’objectivité et de sérieux que dans le travail de l’ethnologue. Celui-ci et sa discipline semblent encore victimes d’une image véhiculée par les débuts de l’ethnologie au XIXe siècle, folklore et amateurisme, opposée à la méthode plus rigoureuse de la critique historique. C’est le cas par exemple de Joëlle Mauerhan, conservatrice du Musée du Temps à Besançon, qui juge l'histoire plus pertinente, « plus dérangeante » et plus rigoureuse242

que l'ethnologie. Celle-ci serait-elle victime de ses questionnements, de la complexité des appellations (ethnologie, ethnographie, anthropologie), par rapport à l’histoire qui paraît moins changeante, plus solidement – historiquement - constituée ? Souffrirait-elle d’être un « carrefour » de disciplines?

240 LENCLUD,Gérard, « Le grand partage ou la tentation ethnologique » dans ALTHABE, Gérard,

FABRE, Daniel et LENCLUD, Gérard (dir.), Vers une ethnologie du présent, Paris, (MSH), 1992, p. 9-37, p. 13.

241 FABRE, Daniel, « L’ethnologue et ses sources », dans ALTHABE, Gérard, FABRE, Daniel et

LENCLUD, Gérard (dir.), Vers une ethnologie du présent, Paris, (MSH), 1992, p. 39-55.

Le sens de la visite - Thèse de doctorat - Noémie Drouguet - Octobre 2007 - 72 L’ethnologie, comme la sociologie, se penche sur la vie des hommes et des femmes en société en étudiant les générations vivantes et non décédées243

– toutes deux pouvant être du ressort de l’histoire. L'approche chronologique, diachronique, si elle n'est pas absence, est souvent secondaire par rapport à l'approche synchronique et ce que l’on a appelé le « présent ethnographique ». L'ethnographie a longtemps représenté l’évolution des sociétés traditionnelles (qu’elles soient « sauvages » ou « civilisées ») comme ayant lieu sur un très long terme et somme toute de façon insensible, en développant une idéologie de la permanence et de la survivance des traditions. Depuis les années 1950, le courant dynamique, attaché au changement social, se rapproche de l'histoire sociale ou de la « sociologie diachronique244

». D'autre part, les travaux de certains historiens, tel Emmanuel Leroy- Ladurie, qui propose une monographie de la vie quotidienne dans un village du Languedoc au XIVe siècle245

, rejoignent l’ethnographie, de même que l’approche socio-historique de l’Ecole des Annales et l'histoire des mentalités (Pierre Nora, Georges Duby). Ces courants qui rapprochent histoire, ethnologie et sociologie n'ont malheureusement pas encore passé la porte de certains musées, comme nous le verrons.

Le recueil et le traitement du témoignage différencient les disciplines historique et ethnographique. La critique du témoignage ne se pratique pas de la même façon puisque l'ethnologue produit lui-même ses enquêtes sur son terrain, sauf quand il travaille sur des corpus anciens. Dans ce dernier cas, son travail se rapproche plus étroitement de celui de l'historien. Les conditions de production des données (situation de l'entretien ou de l'observation, relation enquêteur/enquêté) sont prises en compte dans leur interprétation. En ethnologie, on cherche plus souvent à retracer la « mémoire » des acteurs et des faits observés246

. Peut-être à cause de l'empathie de l'ethnologue pour le terrain, que j'évoquais au premier chapitre à propos de l'immersion et de l'observation participante? Parce qu'il recueille le témoignage de personnes vivantes, qui n'a pas encore été sanctionné par le passage à l'écrit? En ce qui concerne les limites entre l'ethnologie et la sociologie, on peut se demander pourquoi les séparer « au point que chacune caricature allégrement l’autre tout en empruntant, sans vergogne, quelques-unes de ses techniques, méthodes ou idées ? »247

. Effectivement, il n’est pas facile de les distinguer l’une de l’autre. Hier, une frontière institutionnelle séparait les deux disciplines : l’une s’occupait des sociétés primitives et l’autre des sociétés modernes.

243 Les musées d’ethnographie ne tiennent pas compte de cette spécificité disciplinaire puisqu’ils

s’intéressent, parfois prioritairement, aux générations passées.

244 GERAUD, Marie-Odile, LESERVOISIER, Olivier et POTTIER, Richard, Les notions clés de

l'ethnologie. Analyses et textes, Deuxième édition, Paris (Armand Colin), 2002, p. 156-159.

245 LEROY-LADURIE, Emmanuel, Montaillou, village occitan de 1294 à 1324, Paris (Gallimard), 1975

(non-consulté).

246 La question de la différence entre histoire et mémoire a fait l'objet de nombreuses publications,

notamment NORA, Pierre, « Entre histoire et mémoire », dans Les lieux de mémoire, t. I, Paris (Gallimard), 1984 ; RICOEUR, Paul, La mémoire, l’histoire, l’oubli, Paris (Seuil), 2000 ; HALBWACHS, La mémoire collective, Paris (P.U.F.), 1968 (ouvrages non-consultés).

Le sens de la visite - Thèse de doctorat - Noémie Drouguet - Octobre 2007 - 73 Mais aujourd’hui leurs objets de recherche se confondent. L'histoire de ces disciplines est fondée sur des différences qu’on a définies longtemps comme étant de nature mais qui semblent n’être que de degré248

. L’ethnologie procéderait selon une démarche qualitative, s’inscrivant dans la durée et sur le terrain, tandis que les sociologues seraient plus enclins à utiliser des méthodes quantitatives et les données chiffrées. En réalité, les mêmes méthodes sont partagées et revendiquées par les deux disciplines et, du reste, on ne peut réduire une science humaine à des méthodes. « D’aucuns suggèrent que ce qui différencie l’ethnologue du sociologue serait que, dans l’ensemble, ils ne se réfèrent pas aux mêmes figures intellectuelles. Ce n’est guère pertinent : rappelons que de nombreux auteurs peuvent être légitimement revendiqués par les deux disciplines »249

… Bref, leurs évolutions parallèles ne font que favoriser leur rapprochement ; par conséquent, je m’en tiendrai à constater qu’il n’y a pas de différence très marquée entre les deux disciplines.

Les limites semblent a priori plus nettes entre archéologie et ethnologie; il n’y a pas matière à les confondre. On n’imagine pas un archéologue pratiquer l’immersion dans une tribu gauloise (au Parc Astérix ?) ou réaliser des enquêtes auprès de serfs du XIIe siècle… Les méthodes sont clairement distinctes : la fouille est l’apanage de l’archéologue tandis que l’immersion et l’entretien sont ceux de l’ethnologue. Par contre, les objets peuvent être très semblables selon la nature du site et ce que l’on y trouve. Que l’on songe, par exemple, à Hippolyte Müller au début du XXe siècle, qui associe recherches ethnographiques et préhistoriques250

, aux recherches de la New Archaeology comme Millie's Camp par Robson Bonrichen en 1973, aux travaux de Leroi-Gourhan251

, aux fouilles de sites lacustres, comme celles de Charavines au Lac de Paladru, qui ont révélé les habitudes alimentaires autour de l’An Mil252

; tous se situent à la limite de l’ethnologie et de la préhistoire (paléoethnologie ou ethno-archéologie). Les différences entre les deux disciplines semblent moins marquées aux Etats-Unis, où elles sont rapprochées sous l’étiquette « anthropology », et, d’une manière générale, sur le continent américain ou elles se rejoignent pour l’étude253

d’un terrain

248 COPANS, Jean, Introduction à l’ethnologie et à l’anthropologie, Paris (Nathan), 1996, p. 5.

249 GERAUD, Marie-Odile, LESERVOISIER, Olivier et POTTIER, Richard, Les notions clés de

l'ethnologie. Analyses et textes, Deuxième édition, Paris (Armand Colin), 2002, p. 16.

250 Müller, par ailleurs fondateur du Musée dauphinois, monte par exemple une exposition d’ethnographie

préhistorique alpine en août 1904 à Grenoble. TRABUCCO, Karine, « Hippolyte Müller : sa biographie », dans Hippolyte Müller 1865-1933. Aux origines de la préhistoire alpine, Grenoble (Musée Dauphinois), 2004, p.19- 29, p. 25 et DUCLOS, Jean-Claude, « Hippolyte Müller et le Musée Dauphinois » dans Fondateurs et acteurs de l’ethnographie des Alpes. Le Monde alpin et rhodanien, 1er-4e trimestres 2003, p. 91-107. Müller fait des allers-

retours dans le temps, comme le prouve l’exemple de la hache polie, dont un « usage » ethnographique perdure dans les Alpes comme l’explique Duclos, p. 100.

251 Voir CUISENIER, Jean, « Que faire des arts et traditions populaires ? », dans Le Débat n° 65, 1991, p.

150-164, p. 156.

252 L’exposition « Les mangeurs de l’An Mil » à l’Alimentarium, était basée sur des fouilles lacustres,

effectuées par Michel Colardelle : RIPPMANN, Dorothée et NEUMEISTER-TAROMI, Brigitta (dir.), Les mangeurs de l’an 1000. Archéologie et alimentation, Vevey (Fondation Alimentarium), 2000.

253 Le traitement muséographique est lui aussi particulier : les présentations sont tantôt dans la tradition

des musées d’archéologie, tantôt typiquement ethnographiques. La galerie « Les premières nations » au Musée de la Civilisation à Québec en est un exemple éloquent.

Le sens de la visite - Thèse de doctorat - Noémie Drouguet - Octobre 2007 - 74 particulier : les amérindiens, indiens ou premières nations. C’est somme toute le regard que l’on porte sur le produit de la fouille ou des investigations archéologiques qui peut en permettre une lecture ethnologique. La constitution des collections de ces musées, en revanche, est liée à l'approche méthodologique de la discipline, dans la mesure où elle est fondée sur la collecte de terrain. Pour pouvoir être utilisé, le matériel récolté doit être documenté par l'existence du terrain. En ce sens, la liaison entre le musée et la recherche est très forte254

.

Il y a également des recoupements en ce qui concerne les périodes récentes : le champ d’investigation de l’archéologie du bâti de même que l’archéologie industrielle et contemporaine offrent bien des attraits aux ethnologues qui interrogent également ce terrain, à leur façon. L’architecture dite traditionnelle, surtout dans le monde rural mais également en ville, intéresse autant les archéologues, soucieux des styles et techniques de construction, de la provenance des matériaux, de la datation des différents éléments etc., que les ethnologues qui vont y étudier davantage l’adaptation des espaces de vie, les éléments d’art populaire, le respect de rituels ou de coutumes dans la construction et tenter de reconstituer les savoir-faire d’antan à travers des témoignages notamment. Les musées de plein air, comme le Musée de la Vie rurale en Wallonie à Saint-Hubert, ou les écomusées situés dans les campagnes, illustrent (ou devraient illustrer) ce partage des compétences. Le patrimoine industriel et contemporain « comprend non seulement le bâti mais aussi les aménagements du territoire : routes, chemins de fer, canaux, ponts, tunnels, ports, travaux hydrauliques de toutes sortes, etc. A cela on doit ajouter tous les vestiges de la civilisation technique, de la machine au petit objet fabriqué. (…) Par archéologie industrielle, on peut entendre l’étude des transformations techniques et des témoignages matériels relatifs à l’industrialisation »255

. Les ethnologues et les sociologues, eux, se penchent entre autres sur le vécu quotidien des travailleurs, à travers des enquêtes orales, sur le « folklore ouvrier », sur le vocabulaire spécifique, sur les changements de sociétés liés à l’industrialisation puis à la désindustrialisation256

.

A première vue, l’art populaire régional pourrait figurer à l’intersection entre l’ethnographie et l’histoire de l’art européen. Cependant les sabots peints, les meubles sculptés et les outils décorés de symboles n’ont pas grand chose à voir avec l’art « savant », pas même avec les arts

254 Cette liaison avec le terrain de recherche est importante pour les ethnologues qui travaillent dans le

cadre d'un musée; les autres ne se soucient pas forcément de constituer des collections.

255 BARRAL I ALTET, X., « Recherche en archéologie industrielle et sensibilisation du public au

patrimoine industriel : Angleterre, Etats-Unis, France », dans Constituer aujourd'hui la mémoire de demain, Actes du colloque de Rennes (décembre 1984), s.l. (Musée de Bretagne et M.N.E.S.), 1988, p. 37.

256 Les musées de sites industriels, même lorsque l’équipement est démonté comme au Musée de la

Viscose à Echirolles (Grenoble), et les écomusées tels ceux du Creusot-Monceau-les-Mines, de Fourmies ou du Bois-du-Luc montrent que l’archéologie et l’ethnologie, mais aussi l’histoire des techniques ou la sociologie, combinent leurs approches complémentaires dans les institutions muséales de ce type, qui offrent réellement un caractère pluridisciplinaire. En outre, il arrive fréquemment qu’une section « archéologie » agrémente le parcours dans les musées ethnographiques, en particulier dans les musées régionaux qui sont volontiers pluridisciplinaires.

Le sens de la visite - Thèse de doctorat - Noémie Drouguet - Octobre 2007 - 75 décoratifs ou appliqués, qui sont toujours le fait d’artistes ou d’artisans qui ont été instruits, formés dans les académies ou dans les ateliers de maîtres. Ils créent en fonction des modes et des styles de leur époque, ils répondent aux goûts des bourgeois ou de la noblesse. Même les plus novateurs ou contestataires d’entre eux le sont en référence à des canons qui leur sont bien connus.

L’art savant est envisagé comme une évolution ou une progression, l’art populaire comme un savoir-faire traditionnel. Il n’est pas sans personnalité dans la mesure où chaque individu s’approprie les modèles et les techniques qui lui ont été transmis pour réinventer cette tradition mais, au-delà de ces limites dans l’interprétation, il est donné pour statique. L’art populaire est quelque peu situé « hors du temps », figé lui aussi dans un « présent ethnographique » immuable, dans lequel nombre d’ethnologues se sont longtemps complus, négligeant la recherche des évolutions ou des transformations… qui sont précisément l’objet de quêtes entamées par les historiens de l’art. Les productions d’art populaire, quand bien même elles seraient d’une qualité exceptionnelle, restent bien souvent anonymes et on ne cherche pas à identifier ou à attribuer des oeuvres au « Maître de Ceci ou Cela ». Lorsque l’on connaît le nom de l’exécutant, on peut le signaler mais l’ « œuvre » est avant tout attribuée à la communauté, à l’ethnie, à une culture régionale257

. Le statut de l’artiste « savant » est bien différent de celui de l’artisan, y compris sur le terrain des arts décoratifs ou appliqués (faïence, ébénisterie, orfèvrerie, etc.), qui suivent des modes et doivent plaire à la bourgeoisie voire à la noblesse258

. Les objets de l'art populaire sont avant tout traités comme des documents et non comme des oeuvres d'art.

Pour toutes ces raisons, je crois que les études et recherches sur l’art populaire et sur l’art « savant » européen sont des spécialités totalement distinctes, qui ne peuvent se rejoindre qu’à condition de hisser le travail de certains artisans au rang de chef d’œuvre, notion quasi contre- nature pour cet art modeste, complètement intégré dans la vie sociale et spirituelle. Cependant, ce pas a parfois été franchi par quelques ethnologues et/ou conservateurs, au premier rang desquels on retrouve GHR. En effet, ses réflexions sur l’art populaire s’orientaient plutôt vers l’histoire de l’art que vers les théories sur le « folklore »259

. Cette conception de l’art populaire n’est pas étrangère au style muséographique instauré par le « magicien des vitrines » ; celui-ci sera développé dans le chapitre suivant.

257 Dans les musées d’ethnographie, lorsque le nom de l’artisan est indiqué sur un cartel, cela demeure une

information anecdotique, moins importante à la limite que le village d’où provient l’objet. Cette attribution n’a, dès lors, pas du tout le même statut que dans un musée d’art.

258 Bien que ces artisans, que je qualifierais de « savants » afin de les distinguer des artisans

« populaires », demeurent souvent anonymes. Une exception notable est celle de Boule, ébéniste du XVIIIe siècle, qui signait ses meubles et fut élevé au rang d’artiste.

Le sens de la visite - Thèse de doctorat - Noémie Drouguet - Octobre 2007 - 76 Pour le reste et pour revenir à des modes d’expression populaires plus proches de nous, peut- on qualifier les tags et les graphs d’art populaire260

? Les décorations de Pâques et Noël, voire d’Halloween depuis peu, qui se perpétuent et s’amplifient, poussées par les commerçants et le merchandising ? Les ornements de façades et de jardins (girouettes, boîtes aux lettres, bonshommes et animaux) réalisés par les occupants de la maison261

? A quoi correspondent ces manifestations, relativement spontanées (exception faite des graphs réalisés par de « vrais » artistes et étudiants en beaux-arts, qui peuvent être considérés comme de « vraies » œuvres d’art et qui font parfois l’objet de véritables commandes, ôtant leur caractère spontané et contestataire) ? Peuvent-elles être englobées dans la définition de l’art populaire que j’ai proposée dans le chapitre précédent, celle-ci se référant aux productions anciennes, datant globalement d’avant la Seconde Guerre mondiale ? Cette définition est-elle adaptée aux productions actuelles? Par ailleurs, peut-on encore parler d’art populaire devant les productions en série d’objets destinés au commerce et au tourisme262

? Les points communs et les différences entre l’ethnographie européenne263

et l'ethnographie exotique ont déjà été abordés dans le chapitre précédent, dans la mesure où la première découle de la seconde et lui emprunte une bonne partie de ses méthodes. En ce qui concerne la vulgarisation et la muséalisation de l’une et l’autre, les techniques se confondent largement. Ce qui diffère, c’est la distance, le recul par rapport à la société qu’on présente. Est-il plus simple de parler de « soi », de groupes relevant de sa propre société, sachant que la proximité peut devenir un biais ? Est-il plus simple de parler de l’ « autre », ne risque-t-on pas de tomber facilement dans le piège de l’ethnocentrisme264

?

Ces disciplines « descendent » toutes de l’histoire, science beaucoup plus ancienne, jusqu’à ce qu’elles soient devenues des disciplines autonomes dans le courant du XIXe siècle, époque à laquelle l’histoire a, par ailleurs, elle aussi construit des fondements méthodologiques propres. L'ethnologie emprunte à l'histoire comme aux autres disciplines; celles que je viens d'évoquer ou encore d'autres, plus ponctuellement peut-être, comme la géographie, la dialectologie. Elle

260 La culture hip-hop, pour ne citer qu'elle, a déjà fait l'objet de recherches ethnologiques et d'expositions

(Hip-Hop dixit : le mouv' au musée, à l'Ecomusée du Val de Bièvres à Fresnes 1991, et Hip-hop, art de rue, art de scène au MUCEM en 2005).

261 Expositions L'Eden, côté jardin au Musée Mc Cord à Montréal et Faire de l'air au Musée québécois de

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