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Présentation de la première partie

2. Langues et dénominations

3.2. Le statut de l’arabe institutionnel

L‟arabe institutionnel est dit aussi « littéraire », « moderne », « littéral », « standard », « coranique », « classique » et « scolaire ». Il occupe le statut de langue nationale et officielle de la république algérienne, et ce, depuis 1962, date à laquelle le pays a accédé à son indépendance. La politique linguistique prônée par l‟Etat algérien visait alors à remplacer le français par l‟arabe. Car le français, langue officielle de l‟Algérie colonisée était de fait perçu comme « la langue du colonialisme, introduite par lui, langue des chrétiens oppresseurs de

l’Islam et négateurs de l’identité algérienne: aspect ressenti, mais aussi inculqué sans cesse par la propagande officielle et les partisans d’une arabisation monolingue »271

.Opter pour l‟officialité de la langue arabe, revenait également à imposer un modèle linguistico-culturel puissant face à l‟ancien colonisateur. Un modèle fort car partagé par un ensemble de « pays

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Grandguillaume G., 2000, « langue et nation: le cas de l‟Algérie » in, l’Algérie contemporaine. Bilan et solutions pour sortir de la crise. Paris, L‟Harmattan, p.89.

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Cuq J-P., 2003, op.cit in Article: Culture, p. 63.

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arabes » formant la « Oumma »272, équivalent du mot « nation », qui revendique les mêmes appartenances idéologiques, linguistiques, culturelles et religieuses. Ce projet, objet d‟une lutte ancienne273, participait de « la restauration rapide de la civilisation arabo-musulmane

au Maghreb »274 dont la finalité était d‟inverser la donne identitaire qui se voulait emblématique du recouvrement de la souveraineté nationale.

En effet, le premier sous-bassement idéologique ayant fortement interféré dans le choix de la politique linguistique est ce nationalisme panarabe dit aussi « nassérisme »275, du nom de son promoteur, l‟ancien président égyptien Djamel Abdel Nasser. Le second sous-bassement, est le courant baathiste, pour qui « le nationalisme arabe est difficilement

concevable sans l’Islam »276. D‟après l‟ouvrage dirigé par Ambroise Queffélec, « la

manipulation psychologique est évidente, elle consiste à instrumentaliser et à utiliser les représentations mentales populaires liées aux notions « langue arabe » et « islam » et leur pouvoir légitimant et sacralisant profondément intériorisé dans le mental et la conscience du peuple algérien »277. Ces représentations sont toujours exploitées et diffusées sous forme d‟assertions dans les discours officiels.

Dès 1962, ces deux conceptions se reflèteront dans les textes officiels algériens. Elles seront considérées comme des constantes de l‟Etat algérien, ainsi que le montre « la chronologie de l‟arabisation, précédemment évoquée, datant de 1962 à 1989. « Dans

l’administration, l’arabisation est impulsée par décisions autoritaires: ordonnance du 26 Avril du président Boumediene en Algérie, décrétant une arabisation totale pour 1971. Ce ne

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« La seconde référence identitaire est, elle, fortement marquée, par l’espace national, en tant qu’espace unificateur de tous les Algériens, non seulement dans l’espace national restreint (l’Algérie), mais aussi dans l’espace de la Nation (Oumma) arabe, et enfin, dans celui plus large de la communauté islamique, alimentée par la solidarité islamique et le mythe de l’unité arabe. Elle contribue à fortifier le sentiment d’appartenance à une aire civilisationnelle spécifique dont le plus beau fleuron est la langue arabe ». Taleb-Ibrahimi Kh., 1995, op.cit, p.79.

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Cité par Y. Lacoste, A Noushi et A .Prenant (1960) dans l’Algérie passé et présent, p.276, et rapporté par Taleb Ibrahimi Kh., M Emerit mentionnait que la langue arabe classique était la langue officielle de l‟Etat algérien fondé par l‟Emir Abdelkader, elle fut par la suite revendiquée par tous les partis du Mouvement national (AML, UDMA, PPA, MTLD, PLA), Taleb-Ibrahimi Khaoula note cependant que c‟est « l’association des Oulémas musulmans qui en revendiquait l’officialité, a développé un vaste programme culturel pour la restauration de tous les attributs de l’identité nationale, et a concentré son action sur le plan éducatif et religieux pour la réhabilitation de la langue arabe(…) le consensus s’est établi autour des revendications concernant la langue.» in, Taleb-Ibrahimi Kh., 1995, op.cit, p.177.

274

Yelles M., op.cit, p.26.

275

Laroussi F., in, http://www.asays.com/article=203, (Consulté le 02/05/2009).

276

« Pour Nasser, l’union du monde arabe est un objectif sacré et la langue joue dans ce domaine un rôle fédérateur. Dans ce contexte, l’arabe littéraire, idiome commun à tous les Arabes, et le seul capable d’assurer cette fonction unificatrice » Laroussi F., idem.

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sera évidemment pas le cas, et la généralisation de l’arabisation fera l’objet de décrets ou lois successifs jusqu’en 1998 »278

. Mais cette volonté de généralisation de l‟usage de la langue

arabe s‟oppose presque naturellement, et ce, même dans les domaines qui jusque là lui étaient acquis, un usage de plus en plus décomplexé des langues premières279 et de la langue française. Le découpage fonctionnel s‟avère de moins en moins évident dans certains domaines.

Aujourd‟hui encore, l‟enseignement du français au niveau du palier primaire se trouve confronté à des écueils et à des considérations de cet ordre.

Donc officiellement, l‟arabe institutionnel est réservé au domaine formel « prêches

religieux, administration, école et université, médias audio visuels, diplomatie internationale arabe »280. Pour Dourari Abderrezak, « l’arabe scolaire est (…) la langue du culte, du

théologique d’aujourd’hui (…), elle est censée être celle du pouvoir, de son administration et de toutes les institutions de l’Etat, c’est la langue officielle de la république algérienne »281

. Le problème semble moins se poser pour la dénomination « officielle », qui, pour le linguiste Abdou Elimam consiste en un « statut idéologique »282 qu‟aucun critère objectif d‟ailleurs n‟autorise à l‟être pour une langue au détriment d‟une autre, que pour l‟appellation « nationale qui apparaît comme problématique, cette dernière devrait en toute logique référer à la langue » ou aux langues parlées sur l‟ensemble du territoire national283. Or, l‟arabe institutionnel n‟est la langue première d‟aucune communauté linguistique et elle n‟a de ce point de vue là aucun locuteur natif.

Le législateur ayant conscience de ce fait, tendra à édicter au moyen des textes officiels, des lois qui se substitueraient aux lois naturelles qui régissent l‟évolution des langues. En effet, la « généralisation » de la langue arabe est un des termes dont l‟usage est récurrent dans les textes officiels. Ceci montre, d‟après Foudil Chériguen que « s’il ne s’agit

pas d’une langue tout à fait étrangère à ce peuple, celle-ci n’est pas pour autant

278

Grandguillaume, G., 2004, op.cit, p.92.

279

Chériguen évoque la volonté politique de substituer l‟arabe au français dans les domaines formels et de le substituer aux langues premières pour le considérer « comme langue du quotidien, domestique et de la rue, c‟est précisément sur ce terrain qui est déterminant sinon d‟une importance capitale que « l’arabe dialectal résiste efficacement en faisant apparaître son concurrent l’arabe officiel, pour ainsi dire, comme inadapté, inefficace, voire étranger », 2008, op.cit, p.106.

280

Dourari A., op.cit, p.8.

281

Idem.

282

Elimam A., 2005, op.cit.

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fondamentalement la langue de ce peuple »284 . D‟ailleurs le terme en arabe, selon Khaoula

Taleb-Ibrahimi « (arraba, tariban) se traduit littéralement par « rendre arabe ce qui ne l’est

pas »285. Sa « maîtrise » ainsi que sa « généralisation » font partie des missions assignées à, entre autres institutions, l‟école algérienne comme l‟indique ces deux passages extraits de la loi n° 08-04 du 15 Moharram 1429 correspondant au 23 Janvier 2008 portant loi d‟orientation sur l‟éducation nationale, et où s‟exprime clairement cette volonté de substitution. Il s‟agit d‟« assurer la maîtrise de la langue arabe, en sa qualité de langue nationale et officielle, en

tant qu’instrument d’acquisition du savoir à tous les niveaux d’enseignement, moyen de communication sociale, outil de travail et de production intellectuelle »286. Une langue qui serait exploitable « dans des situations authentiques de communication »287 . Il s‟avère donc

que le choix s‟opère in abstracto, car faisant abstraction des langues réellement parlées et qui sont utilisées, au quotidien, par leurs locuteurs natifs dans le but de communiquer dans les situations ordinaires et mêmes formelles, comme je le rappellerai en traitant de l‟usage des langues qui est fait des langues premières en société.

Arguant dans ce sens, Sayad écrit qu‟ainsi conçue, la langue se présente comme « une

réalité totalement autonome, qui pourrait être dissociée de l’état social, de la condition et du sort des hommes qui la parlent »288 . Une inadéquation qui creuse de plus en plus le fossé entre l‟école et la société, qui crée des hiatus, précédemment décrits (Voir Supra), car opposant, par des logiques de stigmatisation, ce qu‟appelle Abdou Elimam « la norme

sociale »289 et « la norme institutionnelle »290, une attitude qui n‟est pas sans déboucher sur des préjudices psycholinguistiques, intellectuels et financiers soulevés par Chérifa Ghettas, Malika Boudalia-Greffou, Gilbert Grandguillaume, Nourredine Thaâlbi, Khaoula Taleb-Ibrahimi…ainsi que d‟autres chercheurs et spécialistes en sciences du langage .

Ce constat est partagé par nombre de sociolinguistes algériens et autres « L’arabe

littéral reste toujours la langue intra muros des écoles, comme toujours, il n’a pas gagné la rue et la vie quotidienne, car sérieusement concurrencé voire éliminé, par l’arabe algérien, le

284 Chériguen F., op.cit, p.104. 285 Taleb-Ibrahimi Kh., op.cit, p.182. 286

La loi n° 08-04 du 15 Moharram 1429 correspondant au 23 Janvier 2008 portant loi d‟orientation sur l‟éducation nationale ,passage I, Chapitre 2, article 4, p.8, in: Journal officiel de la république algérienne (JORA).

287

Idem.

288

Cité par Taleb-Ibrahimi Kh., op.cit, p.52.

289

Elimam A., 2006, op.cit, p.124

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berbère et le français »291 . C‟est cette concurrence imposée à l‟arabe institutionnel par les langues premières que la politique volontariste de l‟Etat algérien avait pour objectif d‟éliminer afin de prémunir contre le morcellement linguistique redouté du pays. En effet, devant la pluralité des usages effectifs des locuteurs algériens, considérée comme une menace, seule l‟unification aurait permis « de maintenir unité et cohésion nationale »292

. La pluralité linguistique était perçue comme menaçant l‟unité de la nation. C‟est là où on retrouve l‟héritage jacobin de la conception de l‟Etat-nation, centralisant le pouvoir et réprimant toute velléité de revendication d‟une quelconque diversité.

Mohamed Benrabah note à cet effet que les formations culturelles et idéologiques des dirigeants étaient influencées par le modèle jacobin français, il cite les résultats d‟une enquête concernant « la formation des élites révolutionnaires qui ont mené la guerre de libération

entre 1954 et 1962 »293, il en résulte que « sur les 69 dirigeants, 5 seulement avaient une

formation d’arabisants (souvent au Moyen-Orient) alors que 64 étaient francophones (Mansouri, 1991,60) »294. Il avance par ailleurs que la politique linguistique panarabe a subi l‟influence du jacobinisme français et de sa culture linguistique fortement centralisatrice. Ceci est à même d‟expliquer le processus selon lequel c‟est le nationalisme qui a préparé le lit de l‟islamisme dans les pays arabes, et non l‟inverse. Certaines lois sur l‟arabisation sont de l‟aveu même de leurs promoteurs inspirées par des textes de lois français.295

D‟après Foudil Chériguen, l‟enjeu en ce qui concerne l‟Algérie, aurait été « un projet

de société démocratique »296 que portait une « élite francophone du pays de souche

kabyle »297. Quant aux aspects inhérents à la démagogie panarabiste, ils ne servaient, en réalité, qu‟à légitimer la politique du pouvoir en place, et à contrecarrer la tendance qui y était opposée. Mohamed Miliani écrit dans ce sens qu‟aujourd‟hui encore « plus que jamais les «

décideurs » semblent ne pas se résoudre à lâcher la planification linguistique du pays,

291 Chériguen F., 2008, op.cit, pp.126-127. 292 Grandguillaume G., 2004, op.cit, p.92. 293

Benrabah M., 2007, « Politique linguistique en Algérie, sécurité au sommet, ouverture à la base » in, Thierry Bulot., 2007, Les codes de la ville: cultures, langues et formes d’expression urbaines, Paris, L‟Harmattan, p.57.

294

Idem.

295

Bebrabah M., 2007, « La Loi n° 91605 du 16 Janvier 1991 portant généralisation de l’utilisation de la langue arabe» le promoteur de ce texte législatif a reconnu s’être inspiré de la Loi française n° 75-1349 du 31 Décembre 1975 (Loi Bas Lauriol) relative à l’emploi de la langue française » p.60, in, Politique linguistique…» op.cit.p.60.

296

Chériguen F., op.cit, p.136.

297

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domaine sensible s’il en est, car étroitement lié au pouvoir »298

. Ce dernier puise sa légitimité dans des référents sacralisés et récupérés à des fins idéologiques. « Voilà pourquoi l’équilibre

linguistique en Algérie reste instable où le politique domine les débats dénaturant complètement la vraie nature du problème, en dépit de la réalité prégnante »299. Preuve en est que les problèmes d‟ordre identitaire demeurent toujours posés et que la situation de « mixoglossie »300 ne cesse d‟avoir des incidences négatives sur les plans scolaire et universitaire.