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Présentation de la première partie

4. Conclusion partielle

Dans ce premier chapitre il a été question de présenter les perspectives théoriques dans lesquelles s‟inscrit ce travail ainsi que les sous-bassements méthodologiques qui l‟orientent. Il a importé de dire dès l‟entame de cette thèse la position épistémologique que j‟ai adoptée et dans le mouvement de laquelle j‟ai mené mes réflexions. Il s‟agit d‟une précaution contre d‟éventuelles critiques qui pourraient être « faites du point de vue d’autres référents

scientifiques »66 à ce travail.

J‟ai tenté de dire en quoi les méthodes empirico-inductives recouvrent des paradigmes qui correspondent à l‟idée que je me fais de la sociolinguistique et de son rôle en tant que discipline appartenant aux sciences humaines et sociales. Il s‟agit principalement de la compréhension et de la contextualisation. Deux éléments majeurs pouvant œuvrer à l‟émergence d‟éléments sociolinguistiques ou d‟une sociolinguistique adaptée au terrain algérien en particulier, et maghrébin en général, nécessitant un recadrage théorique et conceptuel. Cette préoccupation apparaîtra tout au long des chapitres qui suivent.

La genèse de la réflexion ayant présidée à cette recherche et l‟ayant accompagnée aussi, a été résumée dans cette partie de la thèse. Je l‟ai exposée brièvement en même temps que j‟ai présenté le corpus, car c‟est ce même corpus qui m‟a donné à observer le phénomène socio-langagier à l‟origine de mon questionnement. Le recueil des deux corpus a correspondu à une recherche en deux temps. Dans un premier temps, l‟intérêt a porté sur les pratiques plurilingues, et dans un second temps, sur les représentations que les enquêtés ont de ces pratiques, et des discours qu‟ils produisent sur elles. Il s‟agissait de démontrer le caractère plurilingue des textes publicitaires qui m‟occupe et de vérifier l‟état d‟évolution des représentations et l‟évolution positive des évaluations ayant pour objet les langues qui y sont employées.

C‟est une analyse qualitative qui a permis l‟élicitation du discours épilinguistique obtenu. Ce discours est celui de jeunes étudiants en Sciences de la Communication et de l‟Information. Deux éléments ont motivé ce choix, le premier a trait à leur domaine de spécialité faisant qu‟ils soient confrontés aux textes publicitaires, le second, non moins relatif au premier, est le fait que ces étudiants n‟appartiennent pas aux départements de Lettres et de

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Langues où la plupart des enquêtes sociolinguistiques concernant les représentations se mènent.

Mon choix épistémologique premier m‟a conduit a opté pour l‟analyse thématique. Les thèmes ont été dégagés à partir des données recueillies sur le terrain, c‟est-à-dire des discours obtenus auprès des enquêtés. Même si les thèmes sont généralement orientés par le questionnaire, n‟ont été thématisés que les points présentant une pertinence avec ma problématique. Conséquemment au choix repris au début de ce paragraphe, l‟élaboration d‟une grille d‟analyse s‟est avérée une nécessité dictée par la spécificité du questionnement et du terrain qui sont les miens67. La grille se voulait autant que faire se pouvait adaptée à un contexte complexe de par la nature des rapports qui y gouvernent le fonctionnement des langues et les représentations y relatives, mais aussi de par l‟évolution de la dynamique des langues et des pratiques réflexives sur ces mêmes langues dans le domaine médiatique et plus particulièrement publicitaire. Certains aspects de cette complexité sont traités dans le chapitre qui suit.

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Blanchet Ph., 2000, « le chercheur crée lui-même sa propre méthodologie en fonction de son terrain d’observation », op.cit, p.31.

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CHHAAPPIITTRREE 22

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1. Introduction partielle

Les diverses études, descriptions et autres monographies dont a fait l‟objet la question des langues au Maghreb convergent vers la mise en évidence du fait selon lequel le plurilinguisme y est une tradition millénaire. Ceci est dû à l‟entrecroisement et à la cohabitation sur ce territoire de plusieurs civilisations ainsi que la coexistence suivi du métissage de différentes cultures. D‟ailleurs, durant l‟antiquité carthaginoise, c'est-à-dire aussi loin que les textes ainsi que les inscriptions nous permettent de remonter et comme l‟atteste la découverte à travers le Maghreb d‟un nombre considérable de stèles dédicatoires, il a été avéré que les bilinguismes punico-berbère et libyco-latin y sont une pratique qui date de vingt cinq siècles environ et ce, du moins, sur le plan de l‟écrit. Quant à celui de l‟oral, et qui serait beaucoup plus ancien, des éléments y afférents furent déduits de la diversité des alphabets, du lexique et de la syntaxe qui tous révèlent, à l‟époque déjà, la multiplicité des langues berbères; notamment dans les massifs du Hoggar où certaines écritures n‟ont pu, à ce jour, être déchiffrées.

D‟ailleurs, les rois berbères pour ne citer que Micipsa, Massinissa et Hiempsal recevaient leur instruction et rédigeaient leurs écrits en punique et en grec. Quant au latin, il fut utilisé comme une langue liturgique jusqu‟au dixième siècle comme l‟indique William Marçais68. Nonobstant les écrits théologiques dont furent les auteurs des maghrébins latinisés tel le philosophe et homme d‟église Saint-Augustin. Cette tradition plurilingue ou du moins bilingue n‟en n‟a pas moins continué après la conquête arabe où les dynasties berbères adoptèrent l‟arabe, mais non sans recourir à des traductions au berbère comme le faisait Ibn Toumert pour dispenser les enseignements de la foi musulmane à une population qui n‟était pas encore complètement arabisée.

La saga des influences linguistico-culturelles se poursuivra avec les conquêtes turque, espagnole et française qui finiront de marquer de leurs sceaux respectifs la configuration sociolinguistique du pays et de confirmer tour à tour son caractère multilingue, de même que la capacité plurilingue de ses habitants assortie d‟une certaine adaptabilité, laquelle relève de la capacité que développe le sujet parlant à s‟adapter à son milieu écolinguistique afin de

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Marçais W., 1938, « Comment l‟Afrique du Nord a été arabisée », Conférence faite à l‟Université de Londres (School of oriental and african studies) le 26 Janvier 1938, publiée par les Annales de l‟institut d‟études orientales de la Faculté des Lettres de l‟Université d‟Alger, p.176.

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survivre aux conditions d‟existence. Ces dernières vont de celles qui s‟imposent à l‟Homme angoissé par les affres de la nature, à celles qui se posent à l‟Homme stressé par les exigences du monde moderne.

Je fais ici appel au concept d‟éco-normativité développé par Philippe Blanchet afin d‟expliquer cette nécessité pour les sujets d‟adapter des outils linguistiques à leurs besoins langagiers et expressifs69. « La langue (…) se réorganise en permanence hors de la volonté et

de la conscience des «structures» de la langue et des usages qu’ils vont en faire. Ceux-ci naissent et évoluent de façon complexe, sans nécessairement l’intervention raisonnée des hommes, par la seule pratique empirique »70. La langue consiste donc en une construction sans cesse à l‟œuvre, et où interagissent de nombreux facteurs, c‟est le résultat de l‟activité symbolique, réflexive et langagière de l‟Homme, mais cet Homme ne développe ses capacités que parce qu‟il évolue dans un environnement duquel on ne peut le considérer isolément.

L‟Homme a donc depuis l‟aube des temps éprouvé le besoin d‟investir l‟espace en se l‟appropriant pour dire et pour se dire en adoptant des modes de représentation et d‟expression que sont le dessin puis l‟écriture; là encore, la saga continue à la faveur de la transmission sociétale qui s‟est continuellement mue par une productivité voire une créativité anthropologico-culturelle, propriété exclusive de l‟Anthropos qui avait, de surcroît, saisi l‟espace en tant qu‟entité définie en partie par rapport à l‟autre, cet autre avec il qui gagnerait à entrer en contact en communiquant, soit en adoptant sa langue, soit en créant des codes à même de permettre l‟intercompréhension. Je cite en exemple le sabir, cette sorte de lingua

franca composée d‟éléments empruntés au berbère, à l‟arabe, à l‟espagnol, à l‟italien et qui

fut en usage tout autour du pourtour méditerranéen et particulièrement « par les habitants

d’Afrique du Nord qui voulaient converser et surtout avoir des relations commerciales avec les Européens sans utiliser de traducteur »71. Je présente en bas de page72 un témoignage

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Lafont R., 1978, Le travail et la langue, Paris, Flammarion.

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Blanchet Ph., 2000, op.cit, p.125.

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Cuq J-P., (éd.), 2003, Dictionnaire de didactique du français langue étrangère et seconde, Paris, Jean Pencreac‟h, CLE International, S.E.J.E.R, p.218.

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«…une autre langue qui est celle dans laquelle s’expriment les consuls, et tous les Européens avec les Algériens, c’est la langue franque, toutes les affaires se traitent en franc. Elle est d’une pauvreté stérile et peut être ne comprend-t-elle pas 150 ou 200 mots différents pour exprimer toutes sortes de choses, le geste, l’inflexion de la voix, l’expression des yeux expliquent mieux quelques fois ce que l’on veut dire que les termes mêmes qui servent d’interprète à la pensée. La langue franque est composée de mots arabes, espagnoles, italiens et quelques uns français. Les mots espagnols dominent, on doit l’attribuer aux longues guerres avec l’Espagne, pendant lesquelles le mélange de deux peuples a donné naissance à un jargon qui nécessitait de part et d’autre le besoin de se faire entendre » in, Kaddache M., 2003, L’Algérie durant la période Ottomane, Alger, OPU, p.201.

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historique qui me paraît très intéressant car caractérisant une situation communicative singulière dans l‟histoire des pratiques linguistiques au Maghreb, alliant à la fois gestes et paroles, on peut supposer sans pouvoir l‟affirmer que cette lingua franca aurait tenu ses stratégies du phénomène de l‟alternance codique, et qu‟elle aurait été caractérisée par des emprunts intégrés et des termes spécialisés qui relèvent principalement du lexique du commerce.

L‟environnement en perpétuelle mutation qui est le nôtre ne cesse d‟influencer son habitant et inversement. Comme je l‟ai signalé dès le début de ma thèse, notre environnement linguistique est de plus en plus façonné par un plurilinguisme qui s‟explique par une globalisation culturelle et économique du monde favorisée par une ouverture à l‟économie de marché. Un libéralisme qui impose ses contraintes notamment linguistiques de même que des choix relevant d‟une stratégie de fragmentation des cultures. Bien que l‟Algérie n‟ait pas adhéré à l‟OMC73, et qu‟elle ne soit pas inscrite dans une concurrence économique réelle fondée sur le rapport qualité/prix, les choix et les contraintes linguistiques correspondent néanmoins à deux marchés, l‟un national /local et l‟autre mondial. Le premier impliquant des choix linguistiques nationaux voire locaux, et le second des contraintes linguistiques internationales. Prenons pour ce dernier cas, l‟exemple du marché de l‟automobile où les grandes firmes recourent au même slogan dans différents pays. Pour Ford par exemple, c‟est Feel the difference74.

Comme son intitulé l‟indique, dans ce chapitre, je ne prétends pas brasser la réalité sociolinguistique en Algérie dans toute sa complexité, mais je me préoccuperai uniquement d‟en évoquer quelques aspects en relation avec mon sujet. Il en est ainsi du plurilinguisme étatique où la hiérarchisation des langues est très accentuée tant sur le plan politique que scientifique. J‟ai tenté de re/lire le tableau fergussonien à la lumière des changements survenus en société et qui attestent de la complexité de la situation tant passée que présente et que j‟évoquerai en termes de continuum d‟usages.

Je m‟intéresserai par la suite au bilinguisme qui en résulte chez les sujets parlants, au réel polyglossique qui ne peut qu‟influer négativement sur l‟apprentissage des langues scolaires, nonobstant les préjudices dont pâtissent les apprenants en milieu scolaire. Enfin, sur

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Organisation mondiale du commerce.

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Vivre la différence. La traduction en français n‟est pas toujours/souvent reprise dans les publicités des voitures Ford.

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le plan linguistique, je l‟ai montré à travers quelques exemples, le contact des langues enrichit les langues algériennes et le français parlé en Algérie.

Ces réflexions m‟amèneront à aborder la question des représentations liées aux langues au travers d‟un certain nombre d‟études qui toutes s‟accordent à confirmer ce hiatus qui existe soit entre les textes/les statuts et les corpus. C‟est le cas du français, de l‟arabe institutionnel et du dit « tamazight », soit entre les représentations et les pratiques, c‟est le cas des langues algériennes. Je m‟interrogerai sur les statuts sociolinguistiques attribués à ces langues par les chercheurs. Un point que j‟approfondirai dans le troisième chapitre de cette première partie.

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