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La standardisation des procédures : la fondation des ERU:

CHAPITRE II LES ACTEURS ET LES SCÈNES MULTIPLES DE LA

SECTION 4 S AVOIR - ETRE , SAVOIR - FAIRE , SAVOIR … ET POUVOIR ?

2.2. La technicisation des tâches :

2.2.1. La standardisation des procédures : la fondation des ERU:

Une fois la DOI fondée en 1997, les programmes de « développement » étaient définis et pris en charge par les desks qui employaient des Délégués CRF autonomes du CICR et de la FICR. Toutefois, la rationalisation des services destinés à intervenir en situation d’urgence internationale, demanda davantage de temps et fut au centre de tensions entre la FICR, l’UNIR et la CRF.

On vient de le voir, avant la création de la DOI, le personnel CRF envoyé pour les mission de développement était très réduit et ne sollicitait q’un nombre limité de personnel salarié au siège. En revanche, celui intervenant en situation d’urgence était lui nettement plus nombreux et sous la responsabilité d’un service très structuré. L’UNIR, sous la responsabilité de la DNUS, consistait en un réseau de bénévoles CRF spécialisé dans les urgences nationales et coordonné par un service précis du siège. Ils se sont notamment illustrés lors des

inondations dans le Var ou de l’explosion de l’usine AZF. Par ailleurs, ils étaient ceux auxquels on faisait appel lors des urgences internationales et même après la fondation de la DOI, la réponse aux urgences internationales était de leur ressort.

Néanmoins, assez rapidement, des discordes vont apparaître opposant la FICR ayant défini une procédure de réponse aux urgences standardisée, et l’UNIR voulant préserver son autonomie en évoluant sur le terrain sans s’y référer. Aussi, sous la pression de la FICR et la volonté manifestée par les salariés de la DOI de voir se concrétiser un dispositif coordonné pour les urgences, l’UNIR sera dissoute laissant place aux « Emergency Response Unit » (ERU). Cet extrait d’entretien de la salariée précédemment en charge du desk « préparation et réponse aux urgences » évoque assez bien ces différentes contraintes. Par exemple, lorsqu’elle conditionne la capacité et la légitimité de l’action d’urgence à la mise en place des ERU : « si on veut être présent sur le terrain de l’urgence », « si on veut être admis à faire de l’urgence ». Ou encore, lorsqu’elle accorde le primat à la stratégie décidée par le

‘Mouvement’ : « le mouvement veut une réponse coordonnée », « il faut qu’on passe par les règles définies par le Mouvement ».

Si on veut être présent sur le terrain de l’urgence, bah, il faut qu’on ait des outils pour ça, l’UNIR qui est en fait…enfin…qui a été dissoute entre guillemets, ou qui s’est auto dissoute… enfin bon, à un moment donné, l’UNIR n’existait plus, il y avait les gens qui étaient là mais l’entité n’existait plus… et puis…euh…la compréhension aussi du fait que le mouvement veut une réponse coordonnée,… qu’il y a toute une stratégie opérationnelle qui se met en place aussi au niveau du mouvement Croix Rouge et… que si on veut… à un moment donné aussi être admis entre guillemets à faire de l’urgence, il faut aussi qu’on passe par les règles qui sont définies par le Mouvement… donc l’idée c’est de monter l’ERU.

De plus, le discours sur l’UNIR tenu a posteriori par cette même personne est assez significatif du sentiment, d’ailleurs partagé par les salariés de la DOI, d’inadaptation de l’UNIR aux canons de l’urgence internationale. Ainsi, on peut relever que ce discours insiste sur les caractères d’amateurisme : « épisodique », « bande de cow-boys », et de manque : « ne parle pas anglais », « ils ont pas la formation qui va pour », « ils n’ont pas la connaissance des procédures et mécanismes ». Notons qu’en regard de ces discours, nous envisagerons aussi les frustrations ressenties par les anciens membres de l’UNIR lorsque nous aborderons les formes de rejet du mimétisme entrepreneurial.

Oui parce que l’UNIR avait peut être montré ses limites, ses carences ?

Oui enfin, l’UNIR c’était très ponctuel, c’était le Rwanda, je suis pas sûre qu’on est envoyé l’UNIR comme telle en Iran, c’était des gens de l’UNIR mais pas l’UNIR…enfin bon…c’était épisodique… si tu veux, on part se faire remarquer parce que on est arrivé comme une bande de cow-boy dont la moitié parlait pas anglais (rires) enfin…voilà quoi.

Et tout ça, ça fait vraiment la différence par rapport à l’UNIR.

Oui, si tu veux, l’UNIR ça fonctionnait…un peu pareil dans le sens où…bon…ils ont du matos qu’ils rassemble, les mecs se préparent, ils prennent l’avion, ils atterrissent et vas y que j’me démerde quoi…mais par rapport aux ERU, ils ont pas la formation qui va pour, ils ont la formation technique mais pas la formation sur le reste, ils ont pas la connaissance de la procédure et des mécanismes de coordination de la fédé…euh… ils sont pas anglophones donc euh…voilà…

Ces jeux d’influences se cristallisent, on le voit, sur des enjeux techniques qui montrent bien l’importance accordé non plus seulement au savoir-être de l’engagement, mais au savoir-faire de la compétence. Celle-ci se décline sur le registre de la capacité à effectuer certaines tâches et celui de l’aptitude à suivre des procédures standardisées. Aussi, définis par la FICR, la prégnance de ces deux registres, lui permette d’accéder à une position déterminante dans la conduite des opérations d’urgences internationales dont les opérateurs sont les Sociétés Nationales.

D’abord, il est clair que l’activité des équipes d’urgence humanitaire se spécialise en domaines d’exercice aux contours bien délimités dont les tâches atteignent un degré de technicité extrême. On compte par exemple trois équipes, médicale dite « Med », logistique dite « Log » et de traitement des eaux dite « Watsan »1. A l’image de l’activité médicale, celle les deux autres équipes repose sur des tâches techniques exigeant, pour les « Log », la maîtrise de formulaires types (« dédoinemenent » en aéroport, « traçabilité des marchandises » en stock, comptabilité et « avance financière ») et de matériel technologique de pointe (mise à disposition d’un ordinateur lap top, camera vidéo, « valise sat » avec radio et téléphone satellite/Internet « Thuraya »). Les « Watsan » mettent en œuvre des procédés chimiques d’épuration de l’eau (« chlorage », « floculation ») et des procédés techniques (« pompage », « rampe de distribution »…). Il en résulte que, par un effet de division et de technicisation de l’activité impliquant l’usage d’un vocabulaire précis, celle-ci est de moins en moins accessible au profane, même dévoué et doté d’une expérience de terrain. Cet extrait d’entretien avec la même chargée de programme laisse clairement comprendre l’enjeu de

1 Abréviation pour « Water Sanitation », traduction anglaise de « épuration des eaux ».

conciliation du savoir-faire « des dédouanements, […] du fret aérien » et du savoir être quand elle affirme « c’est pas parce qu’ils ont plus de diplômes qu’ils sont moins engagés ».

Oui, toutes les nouvelles tâches dont tu me parlais.

Oui, en logistique en particulier. Avant, la logistique à l’UNIR c’était de la logistique de terrain…

donc si t’étais pas un professionnel de la logistique mais que t’avais une bonne expérience de terrain en France, sur les interventions, bon il y avait des choses que tu savais faire quoi. Là, par rapport à ce que la fédé demande, c’est plus la même chose, c’est de la logistique aéroport, il faut savoir faire des dédouanements, il faut savoir…faire du fret aérien… c’est un petit peu plus complexe… Après, je pense que l’engagement…il est le même, c’est à dire que des gens qui viennent chez nous au ERU, c’est pas parce qu’ils ont des diplômes en plus qu’ils sont moins engagés que les autres.

La mise en place des ERU se traduit également par une standardisation accrue des procédures sous la tutelle de la FICR qui après avoir été leur concepteur, est dorénavant déclencheur, coordinateur et contrôleur des opérations.

En effet, la FICR est aujourd’hui chargée de l’évaluation des besoins sur le terrain via le

« Fédération Assesment Coordination Team » (FACT), déclenche alors l’ « Appeal » qui demande la mobilisation des opérateurs Sociétés Nationales, suit l’état des stocks de matériel disponible sur la « table de mobilisation », et coordonne les équipes sur le terrain en organisant des conférences téléphoniques entre les sièges des différentes Sociétés Nationales impliquées. Cet extrait d’entretien donne la mesure du rôle de la FICR auprès des salariés des Sociétés Nationales.

« Oui ça…aujourd’hui quand tu regardes une opération de la fédé, même si c’est toujours chaotique et que t’as toujours des gap et que…ça marche jamais parfaitement, t’as quand même si tu veux…une machine.

[…]

Si c’est moins vrai pour la création de la DOI, ici avec les ERU il y a une place de la fédé qui veut aussi agir sur le dispositif d’urgence.

Oui, oui…l’objectif de la fédé en créant les ERU c’est d’avoir un outil qui soit standard de façon à optimiser la coordination et la coopération sur le terrain…euh…donc il y a le format ERU en se disant, si une équipe française est déployée, il y a une coordination qu’est faite pour qu’on travail ensemble avec d’autres unités avec un matériel standards, il y a l’aspect qualité en se disant si il y a une réponse qui est donnée de la fédération, qu’elle soit donnée via les autrichiens, ou les français ou les espagnols, elle doit être de la même qualité, et puis au delà de l’outil ERU il y a un certain nombre de procédures opérationnelles qui font que la fédé va pouvoir coordonner sur le terrain, parce que la fédération, vraiment son rôle c’est la coordination, comme ça elle sait exactement ce qu’elle peut attendre de chaque équipe. »