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La standardisation ou la redéfinition du volontariat:

CHAPITRE II LES ACTEURS ET LES SCÈNES MULTIPLES DE LA

SECTION 4 S AVOIR - ETRE , SAVOIR - FAIRE , SAVOIR … ET POUVOIR ?

4.1. Le rejet de l’entreprise :

4.1.1. La standardisation ou la redéfinition du volontariat:

Une première forme d’hostilité à l’assimilation par la CRF de références entrepreneuriales est perceptible chez les personnels de terrain expérimentés souvent VMI et parfois anciens de l’UNIR. Cette réaction, loin de consister en un rejet tous azimuts, se cristallise souvent sur le phénomène de standardisation par comparaison à une forme d’imprévu et d’aventure qu’ils ont connu par le passé. Mais ce discours n’est compréhensible que si on le rapporte à leur statut particulier de « volontaire », statut charnière entre bénévolat et salariat.

Les critiques acerbes des VMI à l’encontre du mimétisme entrepreneurial sont à considérer mais pour autant, il ne s’agit nullement d’un rejet en bloc de ce processus. Il est

1 BRAUD Philippe, L’émotion en politique, op. cit

2 LAVILLE Jean-Louis, SAINSAULIEU Renaud, op. cit., p. 38.

dès lors important de rendre compte de ce positionnement en porte-à-faux plus qu’en opposition radicale.

D’abord, le type particulier d’engagement « neutre » intériorisé par les membres associatifs et que l’on a décrit plus haut comme « militant de l’humanitaire » plutôt que

« dans l’humanitaire », constitue un terrain favorable à l’adhésion au caractère technique du mimétisme entrepreneurial. En effet, lorsque l’on fréquente les personnels de terrain, il est extrêmement rare d’être témoin d’un débat sur des sujets polémiques de l’actualité en générale ni même sur les thématiques relatives au secteur humanitaire. On s’étonnera par exemple de l’absence totale de débat interne lorsque MSF a décidé de suspendre sa collecte de dons sans prévenir les autres organisations. Cette décision créant alors un tollé général dans le milieu humanitaire et suscitant les foudres de plusieurs organisations, avait laissé la CRF muette. Ainsi, les discussions entre membres de terrain sont souvent orientées soit sur un registre émotionnel, on l’a vu, soit sur un registre technique. Ce registre se traduit par exemple par le récit d’anecdotes relatant les péripéties et imprévus dans le déroulement matériel d’une mission puis les arrangements trouvés grâce à la maîtrise d’un outil précis.

Les équipiers réunis dans le travail rivalisent ainsi volontiers d’une connaissance technique d’un véhicule, d’un matériel informatique… Il en résulte que le processus de technisation qui accompagne le mimétisme entrepreneurial est assez bien reçu voir intériorisé comme condition de réussite d’une mission et justifier par une opérationnalité accrue.1

Néanmoins, plusieurs VMI ont violemment critiqué le processus de standardisation des procédures en manifestant explicitement leurs regrets d’une époque « héroïque » de l’humanitaire qui leur donnait l’occasion de se débrouiller et d’inventer des solutions adaptées à des situations toujours nouvelle. Cette contradiction révèle une certaine nostalgie d’une époque révolue où l’engagement, l’esprit d’initiative et la « gestion des emmerdes » étaient de rigueur. L’extrait d’observation suivant illustre ce point et témoigne de leur volonté de distinction par rapport aux nouvelles recrues dotées, selon eux, du diplôme ad-hoc plutôt que de « l’esprit » humanitaire.

Lors de la formation des ERU à Modane, trois VMI et anciens membres de l’UNIR, discutent isolés à une table de leur conception du travail humanitaire.

Non mais le vrai travail c’est pas ça…sur le terrain c’est la gestion des emmerdes en fait, voilà… en résumé la formule c’est celle là… la gestion des emmerdes, rien ne se passe jamais comme

1 SIMEANT. J, DAUVIN.P, Ibid, p.196 et suivantes.

prévu, il faut vraiment pas s’attendre à ce que tout se passe dans l’ordre…Mais bon…il y a un problème quand même, on dit aux mecs ouais vous allez être formé, vous allez être des pro, vous verrez ça se passera bien, vous pourrez tout faire.

Et heureusement que c’est ça attends…sinon ils nous appelleraient pas, ils prendraient des types qu’ont les diplômes comme il faut, des écoles de maintenant.

Ouais, et ça c’est un autre boulot et… c’est pas celui qui m’intéresse… c’est un boulot carré, ennuyeux ou tout est toujours pareil.

On le voit ici, s’ils incriminent le « on » ou le « ils » qui est à l’origine de cette mutation des références légitimes, leur rejet se cristallise surtout sur les nouveaux profils « les types qu’ont les diplômes comme il faut » avec lesquels ils sont placés en concurrence. Cette réaction est à saisir à la lumière de leur statut de volontaire figure intermédiaire, au centre d’une tension entre le bénévolat et le salariat dont le positionnement, là encore en porte à faux, renseigne sur la dynamique de professionnalisation du travail humanitaire.

Le statut de « volontaire », en voie de définition sur le plan juridique, soulève également des questionnement identitaire chez ceux qui à la fois vivent du travail humanitaire là bas parce qu’ils sont en rupture ici. En effet, ils sont souvent recrutés chez les bénévoles de la CRF et font même partie des bénévoles les plus anciens et les plus expérimentés aussi. Ils sont souvent entrés en humanitaire assez jeunes, vivant un temps leur démarche sur le mode de la vocation et du don de soi sans contrepartie financière tel que l’on a déjà décrit l’idéalisation du bénévolat. Mais, avec le temps cet engagement a pris le pas sur leur vie professionnelle ou personnelle qui connaissait une rupture ou une réorientation les incitant alors à s’investir dans la vie associative. Puis, progressivement, à force d’y investir, cette voie est devenue le seul investissement possible. Par exemple, parmi les trois VMI présent au stage de formation ERU, deux étaient au chômage dont un célibataire de 35 ans et l’autre en train de divorcer, le troisième n’avaient jamais eu d’autre activités que celle de VMI.

Toutefois, la rémunération à laquelle donne droit le statut de volontaire même faible leur permet de s’investir dans cette activité, et, en s’élevant avec l’ancienneté, leur permet même de s’y maintenir longtemps. Dès lors, les volontaires quittent l’univers du bénévolat puisqu’ils jouissent d’un statut juridique et donc d’un contrat de travail et vivent parfois de leurs indemnités s’élevant avec le temps au niveau d’une rémunération. Au regard de ce constat, on comprend mieux pour quelles raisons leur critique de la standardisation se cristallise sur les nouvelles recrues plutôt que sur les décideurs de cette redéfinition du travail humanitaire. Effectivement, il s’agit pour eux de conserver une activité qui représente leur

unique source de revenu alors que pour les autres il s’agit d’une activité bénévole extra-professionnelle. On peut remarquer que réprouvant apparemment une forme du mimétisme entrepreneurial, ils l’encouragent en se positionnant en concurrence avec d’autres personnels sur un marché d’une activité humanitaire rémunératrice dont on peut vivre.

On voit ici comment le passage de « vivre de » son engagement à « vivre pour » son engagement est présent chez certaine catégorie de personnels dont les « volontaires » sont un exemple flagrant. Ce passage, assez périlleux et presque inavouable dans le monde du

« désintéressement » de l’association décrit plus haut, les conduit à rejeter la standardisation des procédures en se situant du côté de l’engagement associatif et non à réclamer leur salarisation et une condition stable évitant de se situer du côté de l’employé face à son entreprise.