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Des partenaires sur le terrain:

CHAPITRE II LES ACTEURS ET LES SCÈNES MULTIPLES DE LA

SECTION 4 S AVOIR - ETRE , SAVOIR - FAIRE , SAVOIR … ET POUVOIR ?

1.2. L’Etat dans la « Croix Rouge » :

1.2.2. Des partenaires sur le terrain:

D’autres formes de collusions avec l’Etat existent et concernent les actions internationales, mais cette fois, non plus seulement comprises dans le cadre législatif des pouvoirs publics du pays concerné, mais prise dans les démarches propres de l’Etat français intervenant lui aussi à l’international. En effet, en influant sur certaines tâches de la CRF dans ses activités internationales, les facilitant d’abord, les lui délégant ensuite, l’Etat marque sa présence dans la CRF.

D’abord, l’Etat français, en tant que partenaire régulier et privilégié de la CRF, lui assure, dans certaines situations, une présence sur le terrain qui peut être le cas échéant entravé par un acteur concurrentiel.

Une illustration de cette situation nous est donnée par la concession faite à la CRF par l’Etat français lui permettant d’obtenir un accès à la zone la plus touchée du Sri Lanka, dévasté sur sa côte Est par le Tsunami en décembre 2004. Ces quelques éléments peuvent dores et déjà surprendre. En effet, pourquoi la CRF ne pourrait accéder à certaines région du monde, alors même que l’Etat a émis une demande d’aide internationale et que toutes les grandes ONG d’urgence telles que MSF, MDM, le Secours Catholique, AMI, Care sont à pied

d’œuvre ? En l’occurrence ce fut une discorde interne au « Mouvement Croix Rouge», discorde séculaire opposant le CICR et la FICR, qui fut une entrave à l’intervention de la CRF auprès des populations touchées. Comme l’indique P.Ryfman, « la question de la répartition des tâches entre CICR et FICR a toujours été délicate, et a suscité des tensions plus ou moins fortes, chacun suspectant l’autre d’une tendance à l’hégémonisme. »

En dépit des accords de Séville conclu le 26 novembre 1997 sur « l’organisation des activités internationales de la Croix Rouge et du Croissant Rouge », les problèmes dus à la rivalité des entités subsistent. Cet accord prévoit d’abord une répartition hiérarchique plus précise avec la notion de « rôle directeur » (« lead role ») qui attribue des compétences précises à chaque composantes du Mouvement, l’un décidant de la stratégie, les autres collaborant à sa réalisation. Puis, il prévoit une répartition fonctionnelle des tâches en prévoyant d’une part que le CICR soit l’ « institution directrice » (« lead agency ») dans les situations de conflits armés, de troubles internes et de leur suites directes, ainsi que de conflits armés concomitants de catastrophes naturelles ou technologiques. D’autre part, la FICR est consacrée « institution directrice », d’abord dans les situations de « suite directe d’un conflit » lors desquelles persistent les besoins de secours mais où le rétablissement de la paix ne demande plus l’intervention du CICR, et, dans les situations de catastrophes naturelles ou technologiques en temps de paix, situations qui excèdent les capacités de la société nationale.

Il est enfin prévu que les deux entités puissent intervenir en même temps puisque la Fédération apporte son expertise au CICR si la catastrophe se produit dans une situation de conflit où il est déjà engagé.

Lors de l’opération Tsunami, les luttes d’influence entre le CICR et la FICR se sont à nouveau fait sentir aux dépends de la CRF.

La présence du CICR sur le territoire du fait de la guerre civile qui sévissait jusque là, occasionna quelques lenteurs dans la procédure qui devait permettre à la FICR de prendre le relais des opérations relevant d’une urgence suite à une catastrophe naturelle.

Ces complications ont obligé la CRF, dépendante de la FICR dans ce genre d’opération, à apporter dans un premier temps son aide dans le Sud-Ouest du pays, aux alentours de l’aéroport de la capitale Colombo dans lequel ses équipes ont atterrie.

Mais, voulant intervenir dans les endroits les plus touchés par le Tsunami, et, aussi les spots les plus prisés par le flot de journalistes venus couvrir l’événement afin de justifier de son efficacité en actes, auprès du public, la CRF trouva en l’Etat une possibilité de contournement du CICR.

Ce dernier a effectivement cédé à la CRF une structure hospitalière précédemment gérée par les équipes de la Sécurité Civile dans la zone Est encore sous responsabilité du CICR.

L’intérêt de cet exemple est de montrer que la « Croix Rouge », en discorde avec elle même lorsqu’elle oppose le CICR et la FICR, peut contourner ces problèmes en sollicitant l’Etat prêt à lui déléguer la charge d’un hôpital dont il avait la gestion.

D’une autre façon, la CRF peut se voir tout simplement déléguer une tâche, à l’international, par l’Etat français. Comprenons bien que, dans ces circonstances, l’Etat français délègue des tâches à la CRF, comme il le fait pour certaines tâches au niveau national (prestation de service ‘humanitaire’ dans le camp de réfugiés de Sangatte ou en Zone d’Attente pour Personnes en Instance), mais au niveau international. C’est à dire que l’Etat français mandate la CRF dans des opérations relevant de la politique étrangère française.

C’est bien ce qui s’est produit à l’occasion de la « crise ivoirienne » de novembre 2005 lors de laquelle les expatriés français présents en Côte d’Ivoire subissaient les menaces et encourraient des risques d’agressions des ‘patriotes’, principal soutient du Président Gbagbo désavoué par la France dans sa capacité à maintenir la paix.

Après que certains crimes portant atteinte aux intérêts français en Cote d’Ivoire aient été commis (attentat à la vie de quelques français, destruction d’avions militaires français tuant aussi leurs pilotes), J.Chirac a décidé d’organiser, sans le consentement du président Gbagbo, un pont aérien afin de rapatrier les ressortissants français. Pour ce faire, il mis à contribution le MAE afin qu’il suive les affaires politiques en cours, le Ministère de la Défense pour qu’il contribuent à la dimension logistique de l’opération.

Mais, en plus de ces acteurs ministériel, l’Etat français a sollicité la Sécurité Civile et la CRF devant se rendre sur place, participer à la coordination des activités et apporter un soin aux personnes le nécessitant. C’est ainsi que durant les quelques jours qu’a duré ce pont aérien, les équipes de secouristes de la CRF ont été acheminé sur place par les avions mis à disposition par l’Etat et faisant équipe avec l’armée.

Au siège, les membres de la CRF s’occupaient certes de la coordination des équipes de secouristes, mais ils étaient également tenus d’être l’interface entre les services du MAE et les équipes de terrain. Ils transmettaient donc les consignes de sécurité, organisaient le relais des équipes suivant les besoins en « hommes » déterminés par ce dernier, se chargeaient du conditionnement, acheminement et distribution de matériel acheté par les pouvoirs publics. Afin de suivre chaque évolutions possibles des demandes du MAE, les membres du « programme Préparation et Réponse aux Catastrophes » et ceux de la « Direction Nationale de l’Urgence et du Secourisme » effectuaient de constants allers retours entre le siège de la CRF et la cellule de crise du MAE.

Cet extrait d’observation montre ainsi la CRF intervenant à l’extérieur des frontières de l’Etat français, aidée de l’intérieur par lui, faisant ingérence en Côte d’Ivoire dans un but

« humanitaire ».

Cet exposé de la bureaucratisation de la CRF par les formes de mimétismes administratifs qu’elle connaît, nous montre bien « qu’il est parfois malaisé de distinguer la frontière entre intérêts, organismes ou institutions publiques et privées. »1 A tel point d’ailleurs qu’on peut dire que ces deux organisations que sont l’Etat et la CRF « se conjugue pour effacer les frontières anciennes et créer une dynamique d’imbrication et d’osmose ; il n’y a plus de démarcation nette entre les sphères publique et privée qui tendent à se superposer, s’interpénétrer, voir à se confondre. »2.

§ 2. L’association face à l’entreprise :

Poursuivant l’analyse du processus de technocratisation de la CRF, il s’agit maintenant de décrire les rapports qu’elle entretient avec le pôle de l’entreprise. Il peut certes, sembler contre-intuitif de comparer la CRF, association caritative à but non lucratif, à une entreprise, pourtant, elle peut être définie comme telle si l’on y voit, avec M. Weber, une « sociation comportant une direction administrative à caractère continu, agissant en finalité » 3. De plus, par la rationalisation croissante des activités du siège comme du terrain, la CRF connaît une redéfinition identitaire comme « entreprise associative »4.