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2.1. Le profil post-alpha : définitions

Le profil post-alpha désigne des personnes allophones ayant été peu ou pas scolarisées dans leur pays d’origine et qui ont donc une maîtrise de l’écrit dans leur langue première (ou de scolarisation) très fragile, voire presque nulle. Ces personnes ont cependant développé des rudiments de la langue écrite en français. Elles ont « acquis des savoir-faire en lecture – écriture, et dans d’autres compétences de base » en français à l’école dans leur pays d’origine ou en France, par leurs propres moyens, dans le cadre de cours d’alphabétisation ou d’ASL26 au sein d’associations (Barrot, 2010). Elles ne sont pas pour autant autonomes à l’écrit.

Il convient de définir ce que signifie « être peu scolarisé ». En effet, selon le référentiel de profils linguistiques d’adultes des Centres Ressources Illettrisme Auvergne-Rhône-Alpes (2017 : 1), cela signifie avoir été scolarisé moins de deux ans alors que selon celui élaboré par Aurore Barrot (2010), ce n’est pas la durée de la scolarité qui détermine qu’on est peu scolarisé mais le niveau de compétences à l’écrit. On peut effectivement avoir été scolarisé cinq ans (en langue française dans un pays francophone ou dans une autre langue) sans pour autant être autonome à l’écrit dans cette langue de scolarisation. C’est le cas par exemple si la scolarité a été interrompue, si les conditions de scolarité n’étaient pas propices à un apprentissage solide ou si le système scolaire était très différent du système français, comme à l’école coranique par exemple où l’apprentissage de la lecture et de l’écriture n’est pas prévu (Carraud, 2005 : 2).

Le profil post-alpha illustre donc un niveau particulier d’acquisition de compétences écrites de personnes allophones. Peu de travaux de recherche ont été consacrés à ce profil car le rapport à l’écrit est souvent abordé selon une approche binaire : soit on est alphabétisés soit on est analphabètes. Or, il existe un niveau intermédiaire qui correspond aux personnes ayant entamé un processus d’alphabétisation sans pour autant être autonomes à l’écrit : le niveau post-alpha.

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Ce profil linguistique est difficile à définir en termes d’acquis à l’écrit, puisqu’il peut correspondre, comme déjà expliqué précédemment (cf. p. 23), à deux niveaux du CECRL : le niveau A1.1 et le niveau A1. On dit qu’une personne est post-alpha si elle a validé le niveau A1.1 (avec le DILF27 par exemple) mais qu’elle n’a pas dépassé le niveau A1. Le profil post- alpha révèle donc une certaine hétérogénéité concernant le niveau de compétences à l’écrit. Comment définir le niveau A1.1 ? Il se situe « à mi-chemin entre un "savoir zéro" et une compétence de niveau A1 à l’écrit » (Beacco et al., 2005 : 16). On pourrait d’ailleurs s’interroger sur la pertinence de la notion de « savoir zéro », car lorsque les élèves allophones arrivent pour la première fois en cours d’alphabétisation sans savoir lire ni écrire, ils ont déjà souvent des repères à l’écrit (ils peuvent par exemple identifier une lettre ou une facture, grâce à l’organisation spatiale de ces genres textuels).

Ainsi, le profil post-alpha correspond à des personnes allophones ayant été peu ou pas scolarisées dans leur pays d’origine mais qui sont déjà entrées dans l’écrit. Ces personnes présentent cependant des difficultés à lire et à écrire et ont besoin de consolider leurs compétences écrites : leur maîtrise du code graphique est très faible. L’enjeu est donc double : il s’agit d’apprendre à lire et à écrire pour la première fois dans une langue étrangère et d’être autonome à l’écrit. Le niveau à l’oral de ces personnes est cependant très variable d’un apprenant à l’autre. Il se peut que les apprenants soient débutants complets en français ou qu’ils aient déjà une maîtrise assez avancée de l’oral. C’est d’ailleurs le cas des élèves allophones de CAP APR, qui ont tous atteint le niveau A2 à l’oral. La consolidation de l’écrit est d’autant plus aisée que le niveau des apprenants à l’oral est élevé (Vigner, 2015).

2.2. Le niveau de compétences à l’écrit à travers les référentiels

Pour être plus précis quant au niveau de compétences écrites acquises des personnes post-alpha, appuyons-nous sur les descripteurs des niveaux A1.1 et A1 du CECRL, tels que résumés dans la figure 8 ci-dessous :

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55 Compétences à l’écrit Compréhension Production Niveau A1.1 L’apprenant :

- reconnaît des mots, expressions ou données chiffrées les plus courants dans des situations simples de la vie quotidienne ou dans un texte court - identifie globalement (à leur aspect, leur typographie, leur localisation…) la fonction de certains textes ordinaires de l’environnement quotidien ou du milieu scolaire

L’apprenant :

- peut recopier des mots ou des messages brefs

- reconnaît différentes formes de graphies : caractères imprimés, scripts, majuscules et graphies manuscrites lisibles

- peut remplir un formulaire d’identité - peut écrire un message très simple et court relatif aux activités de la vie quotidienne partiellement en phonétique

Niveau A1

L’apprenant :

- comprend de courts textes simples sur des sujets courants

- peut se faire une idée du contenu d'un texte informatif assez simple, surtout s'il est accompagné d'un document visuel - découvre les spécificités du français écrit (e muet, liaisons, etc.)

L’apprenant :

- peut copier de courtes expressions sur des sujets courants

- comprend et produit des textes simples sur sa vie personnelle/son environnement

Figure 8. Compétences à l’écrit : descripteurs des niveaux A1.1 et A1 du CECRL Bien que les personnes post-alpha soient déjà entrées dans l’écrit, leur maîtrise du système graphique reste globalement fragile : difficultés liées au graphisme, ponctuation non conforme ou absente, écriture phonétique, etc. Une personne post-alpha sait néanmoins déchiffrer les mots, réussit à lire des phrases simples et commence à différencier la prononciation orale de la retranscription écrite. Elle peut écrire simplement et a déjà acquis de premières habitudes d’apprentissage. Les apprenants les plus à l’aise commencent à comprendre globalement des documents écrits informatifs avec l’aide d’un support visuel. Pour revenir au contexte de mon stage, deux des six élèves allophones post-alpha qui composent la classe de CAP APR dans laquelle j’interviens correspondent plutôt au niveau A1.1 et les quatre autres au niveau A1.

Au-delà de cet apprentissage de la lecture et de l’écriture, l’enjeu pour des personnes peu familières avec l’écrit est de se constituer une « culture de l’écrit », surtout lorsqu’elles viennent de cultures dites « orales ». Pour Vigner (2009 : 78), « Lire ce n'est pas seulement déchiffrer. C'est aussi comprendre ce que l'on déchiffre et avoir une culture de l'écrit ». En effet, un lecteur doit savoir distinguer les différents types d'écrits (lettre, roman, formulaire, leçon scolaire, etc.). Il s’agit alors d’identifier la fonction et le contexte d’utilisation des

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différents types d’écrits : « on n’apprend plus à lire, mais à lire quelque chose quelque part » (Barré-de Miniac, 2004 : 59). Selon Goody (1997) cité dans Portelette (2011 : 1), l’entrée dans « l’univers de l’écrit » excède largement la maîtrise du code linguistique. Ainsi, il s’agit pour les personnes post-alpha de s’approprier la culture écrite et ses codes et de prendre la mesure de son importance dans nos sociétés occidentales. Les élèves allophones sont notamment confrontés à cette omniprésence des documents écrits à l’école française.

3. Français langue de communication, français langue de scolarisation,