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Niveaux de formulation : diminuer le degré d’abstraction

Chapitre 3. Adapter des supports écrits de classe ordinaire aux difficultés des élèves allophones

1.2. Niveaux de formulation : diminuer le degré d’abstraction

Une fois que les objectifs d’apprentissage ont été fixés par l’enseignant de classe ordinaire, il peut alors réfléchir au meilleur moyen de transmettre ses connaissances. En effet, pour pouvoir apprendre, il faut avant tout comprendre. L’enjeu est donc de rendre accessible le support écrit initial aux EANA post-alpha. Pour ce faire, il est recommandé, notamment par Vigner (2015) et Cornu (2017), d’adapter un support en jouant sur les niveaux de formulation. Le concept des « niveaux de formulation » est emprunté à la didactique des sciences. Il est question de construire progressivement un savoir scientifique, en utilisant des niveaux de formulation successifs (Giordan & De Vecchi : 1998). Vigner (2015) reprend cette idée de progressivité pour dire que la formulation d’un concept évolue en fonction du degré d’abstraction auquel on se situe. Plus le degré d’abstraction est grand, plus la formulation est complexe et inversement. Nous avons vu dans l’enquête de terrain que l’abstraction était tendanciellement difficile pour les élèves allophones (et également pour de nombreux francophones). Ainsi, rendre accessible un document écrit pour les élèves allophones post- alpha pourrait être de simplifier le langage utilisé dans celui-ci afin d’en diminuer le degré d’abstraction.

Selon Vigner (2015), il existe trois types de formulations différentes : – du particulier au générique, de l’empirique au théorique – du simple constat à l’expression d’une relation logique – d’un énoncé figuratif, centré sur soi, à un énoncé abstrait

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Agir sur ces trois niveaux de formulation permet de faciliter la compréhension des EANA post-alpha.

Tout d’abord, préférer le particulier au générique permet de prendre pour point de départ un exemple précis, connu de tous. L’objectif étant de parvenir, à partir de plusieurs exemples, à trouver des caractéristiques communes à ces exemples et de conceptualiser. À partir de plusieurs exemples est tirée une règle, que les EANA arrivent souvent à déduire d’eux-mêmes. Par exemple, plutôt que de donner la définition d’un « aliment microbiologiquement très périssable », donner des exemples de ce type d’aliments (viandes, fruits, poisson, etc.) leur permet de faire des liens, en identifiant des caractéristiques communes à ces aliments. Les élèves prendront ainsi conscience que ces aliments appartiennent à une même famille, qu’ils auront eux-mêmes créée : c’est un premier pas vers la conceptualisation. Il semble également pertinent d’aller de l’empirique au théorique pour des élèves peu ou pas scolarisés antérieurement. Le fait de partir de leur expérience et de leurs observations (surtout dans les matières professionnelles) pour arriver à un raisonnement permet de susciter leur attention et de favoriser leur compréhension. Le degré d’abstraction est alors réduit, puisque les élèves s’appuient sur une situation connue :

Ils ne connaissent pas les mots de la langue, certes, mais ils ont une connaissance des situations. C'est pourquoi nous avons intérêt à partir de l'expérience réelle ou imaginaire des élèves car les mots renvoient à des expériences singulières et culturelles — pouvoir de connotation — sur lesquelles nous pouvons prendre appui dans notre enseignement (Médioni, 2011 : 36).

De même, pour favoriser la compréhension des élèves allophones peu scolarisés antérieurement, il semble pertinent de partir d’un simple constat pour arriver à l’expression d’une relation logique. Par exemple, en travaux pratiques, l’enseignant peut commencer par constater que la viande, qui est restée hors du réfrigérateur plusieurs jours, a moisi. Ainsi, la relation logique qui en découle est que : les aliments périssables doivent être conservés au frigidaire, sinon ils moisissent.

Dans le même ordre d’idées, il est sans doute préférable pour les EANA NSA de partir d’un énoncé figuratif pour arriver à un énoncé abstrait. Il semble que les apprenants aient besoin de visualiser le contenu d’une information, d’en percevoir la représentation réelle et connue, avant d’envisager l’abstrait.

Toutes ces opérations sur les niveaux de formulation d’un énoncé peuvent permettre aux EANA non seulement une meilleure compréhension mais également une plus grande

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mémorisation des informations du cours. C’est également le point de vue de Gillardin (2008), pour qui la mémorisation d’une information passe par son association à une forme visuelle concrète et connue.

Pour conclure, il semble judicieux de diminuer le degré d’abstraction des supports distribués en classe ordinaire. En effet, la conceptualisation et l’abstraction sont deux opérations mentales complexes pour des élèves allophones peu ou pas scolarisés antérieurement. Il est possible de contourner cette difficulté en agissant sur les niveaux de formulation utilisés par les enseignants dans leurs supports. Prendre pour point de départ le connu, le concret, l’empirique et l’exemple permet aux EANA de faire des liens entre les éléments et d’apprivoiser peu à peu la conceptualisation et l’abstraction. De plus, en simplifiant la formulation et en proposant de partir du connu, la lecture du support est sans doute également facilitée. En effet, pour des élèves post-alpha, on peut penser que les mots connus servent à apprivoiser de nouveaux mots et de nouveaux concepts. Selon Perrenoud (2002), c’est en réussissant à mobiliser ses acquis qu’un élève peut développer de nouvelles compétences. Les propos de Meirieu (2005) vont dans le même sens : « il n'y a de savoir authentique que parce qu'un sujet construit des connaissances en réinvestissant progressivement ses acquis pour accroître sa capacité à apprendre et à apprendre encore ».

2. Accessibilité d’un support écrit : l’importance du visuel, de la forme et le