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Chapitre 1. La scolarité des élèves allophones de plus de 16 ans nouvellement arrivés en France :

1. Le lycée professionnel Jacques Prévert à Fontaine : un fort engagement dans l’accueil

2.1. Les entretiens

2.1.1. Les difficultés des élèves allophones

J’ai identifié de nombreuses difficultés chez les élèves allophones en observant les cours du CAP APR et à travers mes entretiens : la maîtrise de l’écrit, l’acquisition du lexique professionnel, l’informatique, la compréhension des consignes, la conceptualisation et l’abstraction, etc. Je développerai ici les trois difficultés principales sur lesquelles je me suis concentrée pour développer mes outils.

❖ L’autonomie à l’écrit

L’absence d’autonomie à l’écrit est la difficulté des élèves allophones qui crée le plus grand obstacle à l’enseignement selon la grande majorité des enseignants (tous sauf les enseignants de sport et d’art plastique). Effectivement, sur 12 élèves allophones de la 1re

année de CAP APR, je considère qu’au moins 6 ne sont pas autonomes à l’écrit. Il est très difficile pour eux de lire et d’écrire (ils déchiffrent plus qu’ils ne lisent et dessinent ou recopient plus qu’ils n’écrivent)22 et ils auraient besoin d’un lecteur-scripteur pour suivre les

cours avec des documents écrits.

Les enseignants sont démunis face à cette très faible maîtrise de l’écrit. En effet, à l’école française, l’écrit à une grande place (y compris en CAP) et les enseignants se retrouvent sans ressource pour savoir comment gérer cette situation :

« Moi je suis complètement démuni face à des élèves qui ne savent pas lire et écrire. Quand ils recopient le tableau, j’ai l’impression qu’ils dessinent. Et si je m’arrête pour eux, ils peuvent parfois mettre une heure à recopier une phrase. Ça me fait de la peine. On peut enseigner des gestes, des pratiques, mais après on a quand même des exigences théoriques, et c’est très dur à transmettre » (M. B).

Au-delà du besoin de maîtriser l’écrit pour suivre les enseignements du CAP, les élèves allophones seront également confrontés à l’écrit dans leur vie professionnelle et personnelle ;

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il semble donc essentiel qu’ils en acquièrent les bases pendant qu’ils sont encore à l’école et avant qu’ils ne soient pris dans un rythme de travail important. Cependant, le programme du CAP est chargé et du point de vue des enseignants, il est difficile de consacrer plus de temps à l’apprentissage pur du français et de l’écrit au sein des classes ordinaires.

❖ L’acquisition du lexique professionnel

Selon les quatre enseignantes de biotechnologie du CAP Agent polyvalent de restauration, la faible maîtrise du lexique professionnel basique constitue une sérieuse difficulté, notamment en travaux pratiques. En effet, sans même parler du lexique professionnel théorique, les élèves allophones connaissent peu le nom des aliments, des ustensiles et du matériel de cuisine et celui des plats français. Ce n’est pas étonnant quand on sait que certains jeunes sont arrivés en France il y a très peu de temps, et même parfois en cours d’année, et que ce lexique est très éloigné de leur culture d’origine. Ici encore, les enseignantes se trouvent démunies car si elles travaillent rapidement au début de l’année sur le vocabulaire du matériel, elles disent ne pas avoir le temps de consacrer plusieurs séances à l’apprentissage du lexique des aliments et des plats car ce sont des choses que les francophones connaissent déjà et de plus, elles ont un programme à terminer. Ces difficultés sont accentuées par le fait que certains EANA arrivent en cours d’année : « En plus cette année, trois élèves allophones sont arrivés en cours d’année, et c’est difficile de rattraper tout le lexique donc ils sont perdus » (Mme A).

Ce point me semble essentiel à travailler car, je l’ai observé, de nombreux élèves allophones sont complètement perdus en travaux pratiques de production et manquent d’autonomie. Pour ceux qui savent très peu lire, la lecture de la recette sur laquelle ils travaillent constitue une difficulté, et ceux qui savent lire ne savent pas à quoi ressemble l’ustensile ou l’aliment dont ils ont besoin. Pour des jeunes qui se dirigent vers le métier d’agent polyvalent de restauration, il me semble essentiel que ce lexique basique soit travaillé.

❖ L’abstraction

Selon les enseignants, une autre des difficultés majeures que rencontrent les élèves allophones concerne l’abstraction. L’abstraction « correspond à une activité de traitement cognitif par laquelle, dans une situation particulière donnée, une personne néglige certains aspects ou certaines caractéristiques de cette situation pour n'en retenir qu'un certain nombre d'autres » (Thomas). Selon une enseignante de mathématique, « le problème pour les élèves allophones c’est l’abstraction. J’essaie de les faire manipuler au maximum et de rendre

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concrètes les choses. Quand on n’a pas eu de scolarité antérieure, c’est très dur l’abstraction » (Mme K). En effet, les élèves allophones peu scolarisés antérieurement ont souvent des difficultés à comprendre une information lorsqu’elle ne touche pas directement à quelque chose de concret, à manier les concepts, généraliser, classer, etc. Il me paraît important de contourner la difficulté liée à l’abstraction voire de les aider à développer leurs compétences dans ce domaine pour permettre aux EANA d’acquérir des connaissances, notamment en facilitant l’accès aux supports écrits distribués en cours.

Ces difficultés seront prises en compte lors de la phase d’élaboration de mes outils. Il est important de noter que, selon les enseignants et d’après mes observations, ces difficultés ne concernent pas exclusivement les élèves allophones, puisque la plupart des élèves francophones présentent d’importantes difficultés scolaires : « Les problématiques sont souvent similaires entre les francophones et les élèves allophones : l’écrit, l’abstraction, la conceptualisation, etc. » (Mme L). En effet, même si les élèves francophones sont autonomes à l’écrit, j’ai remarqué que la fluidité de lecture et la qualité de leur écriture sont fragiles. De même, les difficultés liées à l’acquisition du lexique professionnel ne sont pas réservées aux élèves allophones, bien que la barrière de la langue soit un obstacle supplémentaire à l’accès à ce vocabulaire. Enfin, le degré d’abstraction est une problématique commune aux allophones et francophones du CAP APR, peut-être en raison d’une scolarité souvent chaotique.

2.1.2. Les éléments de réussite