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2 Etat de la question

2.3 Souvenir définissant le soi

2.3.1 Définition des souvenirs définissant le soi

En 1993 aux Etats-Unis, Singer et Salovey ont introduit en psychologie le concept de « Self Defining Memories ». Il s’agit de souvenirs qui forment l’identité de la personne et qui lui permettent de se définir en tant qu’individu. Selon les auteurs, la compréhension de soi et du monde social qui nous entoure est structurée par nos souvenirs. D’après Singer (2005) l’individu se remémore des expériences passées, de façon répétitive, afin de générer une conception de soi-même et du monde relativement stable et claire. La capacité de connecter ses souvenirs à son histoire de vie apporte à l’individu un sentiment de continuité et de sens à sa vie. Les souvenirs autobiographiques jouent un rôle dans le développement humain, les interactions sociales et la personnalité. Ce que les personnes pensent d’elles-mêmes et de leurs expériences passées apportent une meilleure compréhension de leurs désirs, de leurs émotions et des buts qui les animent. De plus, selon Singer (2005) il est difficile d’imaginer une cohérence du self ou de l’identité sans le fonctionnement efficace des systèmes mnésiques qui permettent de lier les événements passés à l’identité actuelle de la personne.

Toujours selon Singer (2005) l’individu met en mémoire et récupère les aspects d’un souvenir qui sont concordants avec l’image qu’il se fait de lui-même et du monde qui l’entoure mais également avec ses buts actuels. Le souvenir n’est pas une copie exacte de la réalité mais une construction mnésique de ce que nous croyons avoir vécu et de ce que nous pensons de manière générale. Il arrive parfois qu’un souvenir soit déformé pour mieux convenir à l’image que l’on se fait de la réalité.

Les gens s'allouent des qualités ou des défauts au regard d’expériences passées qui ont infirmé ou confirmé leurs croyances et formé leur identité. Ces expériences passées en lien avec l’identité constituent les souvenirs définissant le soi. Ces souvenirs ont impact important sur la vie de la personne et conduisent parfois à des biais d’interprétation négatif de la réalité.

Certains souvenirs personnels sont extrêmement négatifs et ont une influence délétère sur les buts désirés, l’estime de soi, l’humeur ou encore les relations interpersonnelles des individus dans le présent et le futur (Williams & al. 1996).

Les souvenirs définissant le soi ont été utilisés en thérapie afin de capturer les préoccupations et les conflits principaux des patients. Ces souvenirs peuvent servir de base motivationnelle au changement et permettent à l’individu de mieux se comprendre (Singer, 2005). Par ailleurs, selon Blagov et Singer (2004), la manière dont l’individu raconte ses expériences passées et le degré avec lequel il les a intégrés en lien avec son propre fonctionnement permet de mesurer l’ajustement personnel et l’ouverture à une thérapie potentielle. Par ailleurs, les souvenirs définissant le soi peuvent jouer un rôle de régulateur de l’humeur. En effet, Josephson, Singer et Salovey (1996) montrent que des participants non-déprimés récupèrent un souvenir positif après le rappel d’événement négatif afin de « réparer » leur état émotionnel négatif. En revanche, les participants déprimés n’utilisent pas la même stratégie.

En résumé, les souvenirs définissant le soi constituent une sélection d’événements autobiographiques importants pour la personne qui lui permettent de se définir en tant qu’individu. Selon Conway, Singer et Tagini (2004), les souvenirs définissant le soi changent en fonction de l’accomplissement ou de l’abandon de certains buts et varient en fonction des différentes périodes de vie de l’individu.

2.3.2 Modèle de Conway et Pleydell-Pearce

Le self memory system (Conway & Pleydell-Pearce, 2000) permet la modélisation de la récupération des souvenirs autobiographiques en lien avec le self et les buts actuels de la personne. Dans le processus d’encodage et de récupération, deux dimensions sont en compétition. D’une part, les souvenirs personnels doivent correspondre à l’expérience vécue, c’est-à-dire être proches de la réalité, et d’autre part ils doivent être cohérents par rapport au self. Ces deux processus ne font pas appel aux mêmes exigences, l’un traite des buts à court terme et l’autre des buts à long terme. Afin de combler ces exigences potentiellement contradictoires différents systèmes de mémoire travaillent ensemble.

Tout d’abord, le self de travail permet la réalisation de buts quotidiens en comparant l’état présent du but et l’état à atteindre. Ce système fonctionne également comme organisateur du moment psychologique qui va de la mise en route d’un but à sa réalisation finale. Le moment psychologique est défini par l’installation d’un but, la focalisation de l’attention tout au long de celui-ci et sa réalisation. Cet ensemble constitue un souvenir épisodique. Nous vivons une quantité de souvenirs épisodiques tout au long de la journée qui permettent, en autres, de ne

pas reproduire plusieurs fois la même action et d’en planifier de nouvelles. Toutefois, nous ne pouvons pas garder en mémoire tous ces souvenirs épisodiques. Nous stockons en mémoire seulement ceux qui sont relevant par rapport à nos buts et valeurs et qui sont alors transférés dans la base de connaissances autobiographiques. Ces souvenirs sont cohérents par rapport au self et constituent la mémoire épisodique. Ce système de mémoire contient les expériences proches de l’événement d’un point de vue sensoriel, perceptif, cognitif et affectif.

Afin de prendre en compte les objectifs de l’individu sur une plus longue période, le self de travail doit organiser la réalisation des buts sur le long terme en prenant en compte les caractéristiques autobiographiques et identitaires de la personne. Ces deux systèmes sont intégrés dans le self à long terme. Celui-ci se compose d’une base de connaissances autobiographiques et du self conceptuel qui se réfère aux connaissances sémantiques personnelles comme les valeurs et les croyances sur soi et autrui. Ce dernier système est directement relié et alimenté par la base des connaissances autobiographiques et la mémoire épisodique, et nous informe sur nos caractéristiques identitaires. Selon Conway et al. (2004), lorsque le self conceptuel évolue, l’individu se retrouve dans l’incapacité de retrouver des souvenirs autobiographiques en lien avec son « ancien » self.

Selon le modèle de Conway et Pleydell-Pearce (2000), la récupération volontaire d’un souvenir autobiographique commence dans la base de connaissances autobiographiques et s’organise sur trois niveaux hiérarchiques qui vont du général au particulier. Il y a premièrement la catégorie des périodes de vie qui se réfère à des phases de vie plus ou moins longues comme la première année du collège ou une période de prospérité financière. Ces intervalles de temps contiennent beaucoup de souvenirs qui sont liés par une temporalité commune caractérisant la catégorie. Le niveau suivant renvoie aux évènements généraux.

Cette catégorie est constituée de brèves périodes de temps (une semaine, une journée, quelques heures) qui sont organisées par un thème commun comme les succès académiques ou les vacances préférées. Finalement, le dernier niveau se réfère aux connaissances spécifiques d’un événement. Les souvenirs de ce niveau sont constitués d’images spécifiques associées à un événement unique. Lors de la récupération d’un souvenir spécifique, la personne part du niveau général, par exemple de la période du collège puis accède aux thèmes généraux, par exemple les expériences amoureuses et enfin sélectionne un souvenir spécifique en mémoire épisodique, qui se trouve être un rendez-vous amoureux particulier. L’individu peut alors rapporter des détails sensoriels de l’événement spécifique qu’il a vécu. Le souvenir récupéré doit être congruent avec les buts actuels et les croyances qui sont stockés dans le self

à long terme. Lorsque le self de travail est confronté à un changement dans les buts de l’individu, la recherche en mémoire autobiographique est modulée à son tour (Conway & al., 2004).

2.3.3 Caractéristique des souvenirs définissant le soi

Les souvenirs définissant le soi se définissent en cinq points. Tout d’abord, ils sont liés à l’histoire personnelle de l’individu et se rapportent à des thèmes, des conflits ou encore des problèmes qui sont importants et pas forcément résolus. Leur récupération suscite de fortes émotions positives et/ou négatives et ils sont généralement récurrents et familiers. De plus, ce sont des souvenirs vivaces pour l’individu qui doivent être en lien avec des souvenirs similaires partageant le même thème.

A présent, nous allons définir plus en détails chaque caractéristique mentionnée ci-dessus. En premier lieu, les souvenirs définissant le soi suscitent de fortes émotions. En effet, la qualité affective des souvenirs définissant le soi traduit leur pertinence et le lien qu’ils entretiennent avec les buts les plus désirés de l’individu (Singer & Mofitt, 1994, cité par Conway et al., 2004 ; Singer, 1990 ). L’intensité émotionnelle a fait l’objet de nombreuses recherches, (Singer, 2005 ; Gillihan, Kessler & Farah, 2006). D’une part certaines études montrent que le rappel de souvenirs émotionnel est congruent avec l’humeur et d’autre part qu’il influence celle-ci. Par conséquent, une personne de bonne humeur aura tendance à rappeler plus de souvenirs positifs alors que de mauvaise humeur, cette personne rapportera plus facilement des souvenirs négatifs.

Deuxièmement, ces souvenirs doivent être clairs et encore importants pour l’individu. La vivacité de ce genre de souvenirs permet d’évoquer des images sensorielles très fortes qui donnent l’impression de revivre l’événement tel que l’individu l’a perçu.

Troisièmement, la personne doit avoir pensé de manière récurrente à l’événement. Cette répétition mentale permet la formation d’une association entre un concept et un souvenir (Singer, 2005). Par exemple, un jeune homme qui se sent nerveux avant un examen pourra penser à une réussite académique passée qui lui donnera confiance en lui ou bien une jeune femme n’arrivant pas à faire la paix avec son père, pourrait se remémorer l’absence de celui-ci lorsqu’elle en avait besoin. Ces assocelui-ciations sont parfois bénéfiques mais peuvent

également nuire à la personne. Il est difficile de casser certains patterns cognitifs qui sont automatiques. Il devient alors nécessaire de faire un effort psychique de façon consciente pour ne pas les utiliser.

Quatrièmement, nous distinguons ce type de souvenirs des autres souvenirs autobiographiques, car ils sont connectés à des souvenirs similaires. Les souvenirs similaires permettent la création de catégories que Tomkins (1979) appelle «script » et se réfèrent aux thèmes généraux qui émergent des différents évènements connectés. Les scripts permettent de

« lire » les événements actuels en fonction de ce qu’on a vécu dans le passé. Par exemple, un petit garçon jaloux de l’attention que ses parents portent à sa sœur, aura peut-être vécu de nombreux moments similaires et construira une sorte de script sur sa place au sein de la famille, qui dans ce cas pourrait faire l’objet d’une lecture négative. Avec le temps ce script pourrait avoir une influence négative et filtrer les expériences de rappel afin de donner un sens aux expériences actuelles que cet homme pourrait vivre de la même manière que lorsqu’il était enfant.

Pour finir, ces souvenirs se réfèrent à des conflits non-résolus et des préoccupations qui sous-tendent les buts des individus. Par exemple, une personne pour qui la réussite de son mariage est importante, aura tendance à rappeler des souvenirs émotionnels en lien avec ce thème. En effet, selon Singer (2005) plus une personne attribue de l’importance à un domaine, plus les échecs ou les réussites en lien avec ce sujet auront un impact sur sa vie et son psychisme. Il se peut également qu’une personne puisse avoir envie de résoudre des conflits du passée dans le présent afin d’acquérir une maitrise et un contrôle sur ces événements. Ces souvenirs de conflits non-résolus peuvent apporter une meilleure compréhension des problèmes actuels de la personne et sont utilisés à des fins thérapeutiques dans le but de diminuer leur influence néfaste. Il a été observé lors de thérapies de couples (Singer, 2001 cité par Blagov et Singer, 2004), que les souvenirs définissant le soi étaient liés à des thèmes relationnels critiques qui ressortaient dans les relations intimes des patients et participaient au transfert dynamique thérapeutique.

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