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Le soutien social et les réseaux sociaux

Dans le document LES ÉVALUATIONS EN ÉDUCATION POUR LA SANTÉ (Page 154-158)

2. L'EDUCATION POUR LA SANTE : DEFINITIONS, MODELES ET STRATEGIES

2.2. L'approche sociale et politique de l'éducation pour la santé

2.2.1. Le soutien social et les réseaux sociaux

B.H. GOTTLIEB [58] définit le soutien social (social support en anglais) comme ce que la société renvoie au sujet (feedback) à travers les contacts avec les pairs ou le groupe de référence (primary group) qui a le plus d'importance aux yeux de l'individu. Pour J. CASSEL [29], la déficience de ce feedback en provenance du groupe de référence peut être à l'origine de la survenue d'états pathologiques. Mais il serait illusoire de penser à l'inverse que le groupe de référence dans lequel le sujet est plongé est inconditionnellement positif et bénéfique pour les comportements de ce dernier. P. ORIOL [101] montre par exemple que les facteurs de risque du tabagisme des 11-16 ans résident la plupart du temps précisément dans ces groupes de référence constitués par les parents, les frères et sœurs, les meilleurs copains et copines. En effet, l'enquête de P. ORIOL met en évidence le fait que le tabagisme des jeunes est significativement lié à celui des personnes de ces groupes de référence. En fait, comme le font remarquer P. ORIOL [101] puis R.S. ZIMMERMAN [126], pour les comportements impliquant "les autres", "ces autres" doivent être impliqués dans toute intervention qui cherche à modifier ces comportements. Comme nous le disions plus haut, l'intervention doit viser dans ce cas non plus les individus, mais le réseau social lui-même avec ses processus. Dans son analyse du mécanisme du soutien social, B.H. GOTTLIEB [58] distingue trois niveaux d'approche.

1) Le niveau macrosocial est mesuré en termes d'intégration et participation sociale. A ce niveau, le soutien social est évalué à travers l'implication du sujet dans les institutions, son adhésion volontaire à des associations, les liens tissés au niveau de sa vie sociale informelle. On peut être ainsi amené à construire un "index de réseau social" rendant compte d'un niveau élevé ou bas de contact social et dont on a montré [13] qu'il est

significativement lié au taux de mortalité. Ceux qui sont mieux intégrés socialement se portent mieux que ceux qui ont peu de liens sociaux.

2) Le niveau "mezzosocial" prend en considération les liens qu'entretient le sujet avec ses pairs les plus proches et avec lesquels on peut constater une interaction régulière. Il s'agit du réseau social de proximité constitué par les personnes qui sont amenées à donner au sujet des avis, une assistance matérielle, de l'amitié, des marques d'estime, des motifs d'émotion. Ce sont ceux "qui comptent" (significant others). A ce niveau "mezzosocial", on peut considérer par exemple qu'un groupe d'entraide d'alcooliques anonymes tente de recréer un nouveau réseau social de proximité pour se substituer à l'ancien ayant constitué le lit de l'intoxication, ou au moins ayant favorisé et/ou entretenu celle-ci.

3) Le niveau microsocial part de l'hypothèse que le soutien social repose essentiellement sur ce qui alimente les émotions profondes et qui donc ne peut provenir que de quelques intimes. Ici la qualité du soutien social importe plus que la quantité des liens tissés et que l'organisation structurelle des réseaux sociaux. B.H. GOTTLIEB [58] s'appuie sur les études de B.J. HIRSCH1 d'une part et B.A. ISRAEL1d'autre part, pour remarquer que la qualité des

relations sociales est un prédicteur de l'état de santé plus puissant que la quantité de ces relations. Dans le même ordre d'idée E.P. BETTINGHAUS [15] cite entre autre une expérience de prévention de la conduite en état d'ivresse rapportée par H. MENDELSOHN2

et dans laquelle le message qui disait "amis, ne laissez pas des amis ivres conduire", s'appuyait sur le concept de soutien social en visant des proches et non les sujets cibles directement. H. MENDELSOHN parle aussi de pression sociale. En effet les conseils, les invitations bienveillantes mais pressantes d'un ami, peuvent être classés dans le registre des pressions sociales, à côté du réconfort moral ou physique donné par le même ami et qui nous renvoie au soutien social.

M. BAUMANN [8] retient pour sa part deux niveaux, celui des "relations communautaires ou chaudes où les liens sont chargés d'émotion et d'affection comme les relations familiales,

1 HIRSCH B.J. Natural support systems and coping with major life changes. American J Commun Psychol,

1980, 8, pp. 159-172.

ISRAEL B.A., HOGUE C.C., GORTON A. Social networks among elderly women : Implications for health education practice. Health Education Quarterly, 1983, 10, pp. 173-203.

2 MENDELSOHNH. Some reasons why information campaigns can succeed. Public Opinion Q. 1973, 37, pp.

amicales", et celui des "relations sociétaires ou froides où les liens permettent l'échange d'information et de matière comme les relations professionnelles, de voisinage".

Si on se réfère à certaines recherches qui ont été menées dans le domaine de la publicité, il semble que pour être efficace, il n'est pas utile qu'un message touche tous les individus d'un réseau social, mais au moins certains d'entre eux ayant une influence sur les autres (hommes politiques, leaders d'opinion, parents …). Le message agit ainsi en deux étapes en utilisant secondairement pour sa diffusion les liens plus ou moins forts, selon le niveau envisagé du réseau social.

Un certain nombre d'auteurs ont essayé d'expliciter le mécanisme selon lequel fonctionne le soutien social. Tout le monde s'accorde pour penser que le soutien social permet en fait de gérer les situations de stress. Il y a plusieurs théories sur le stress dont les trois principales se fondent respectivement sur les notions de besoin, de transaction et de transition.

1) Le modèle du stress fondé sur les besoins stipule que tout individu a des besoins qui se manifestent dans ses relations avec les autres : besoins d'attachement et d'affection, besoin d'estime, besoin d'intégration sociale, besoin de conseils, de compréhension etc… L'absence de satisfaction de l'un au moins de ces besoins engendre chez l'individu une douleur psychique et/ou physique.

2) Le modèle du stress fondé sur les transactions énonce que le stress survient quand les demandes perçues (ce que le sujet souhaite ou ce qu'il pense qu'on attend de lui) dépasse les ressources perçues (ce que le sujet se sent capable de faire en réponse à la demande). 3) Le modèle du stress fondé sur les transitions place l'origine du stress dans les "transitions

psychosociales". Un changement brutal au niveau de l'individu ou de son environnement peut affecter sa conception du monde et de sa place dans celui-ci. Mais ce n'est pas tant l'événement qui est générateur de stress que les réajustements conceptuels que l'individu doit produire. En fait, les changements de l'existence peuvent être soudains, alors que les changements cognitifs seront plus lents.

L'approche du stress par les besoins a conduit à distinguer plusieurs types de soutiens sociaux : Les soutiens affectifs ou émotionnels permettant au sujet de se sentir admiré, respecté, aimé et donc d'éprouver un certain confort moral.

mieux comprendre son environnement et de mieux s'adapter à celui-ci.

Les soutiens matériels correspondant à la mise à disposition de biens et services permettant au sujet de répondre aux problèmes pratiques. Ils peuvent être institutionnels comme les prestations sociales ou familiales, les prêts. Ils peuvent être particuliers comme le soutien d'une mère qui garde l'enfant de sa fille, ou le "coup de main" du voisin.

M. BAUMANN [8] en cite deux autres : le soutien d'affirmation qui correspond au renforcement de l'estime de soi (self-esteem) par l'intermédiaire, de l'image valorisante renvoyée par l'autre, le soutien normatif qui définit les us et coutumes sociaux et permet à chacun de trouver sa place dans la société.

Mais D.E. JACOBSON [68] qui reprend à son compte cette typologie des soutiens sociaux, insiste pour sa part sur la chronologie du besoin de ceux-ci. La nécessité de cette dimension temporelle est le plus clairement mise en évidence par l'approche du stress fondée sur les transitions qui lie le stress aux changements de conception du monde et au processus à travers lesquels le sujet substitue un ensemble d'idées, de croyances et de valeurs à un autre. Reprenant R.S. WEISS1,

D.E. JACOBSON [68] propose alors une chronologie des situations de stress illustrée par la figure ci-dessous :

CRISE Pas de changement

soutien émotionnel

TRANSITION Conséquences positives

soutien cognitif

DEFICIT soutien matériel

Figure (2.2.1)1

Chronologie des situations de stress

La situation de crise est caractérisée par

- une survenue soudaine et limitée dans le temps - une menace importante pour le bien-être

1 WEISS R.S. Transition states and others stressful situations : their nature and programs for their management.

In Caplan G., Killilea M. Support systems and mutual help : Multi-disciplinary explorations, New York : Grune and Stratton 1976, pp. 213-232.

- de vives émotions.

Cette situation de crise peut se résorber sans donner lieu à des changements ou au contraire conduire à une situation de transition. C'est le soutien émotionnel qui est le plus utile ici. La situation de transition est une période de changements personnels et relationnels impliquant une modification de la conception du monde qui répond à une situation de crise. Dans cette situation, le sujet a surtout besoin d'un soutien cognitif. Enfin la situation peut évoluer de façon positive vers un nouvel équilibre ou au contraire s'enfoncer dans une situation de déficit. La situation de déficit correspond à un état chronique de "demandes" excessives par rapport aux "ressources" dont dispose l'individu. Cette situation de déficit peut en général être aidée par un soutien matériel pour combler le manque de "ressources".

Enfin, malgré la distinction faite entre les différentes approches du stress et du soutien social, nous pouvons constater avec D.E. JACOBSON [68] que celles-ci plus que différentes, sont complémentaires et s'intègrent les unes aux autres.

Soutien social et réseaux sociaux sont presque toujours évoqués en même temps. Ceci amène S. BRIANCON [24] à remarquer que "le réseau social est en quelque sorte, une disponibilité du soutien" et que "le soutien social semble donc devoir être analysé comme une fonction du réseau, plutôt que comme une structure propre et spécifique". C'est cette fonction du réseau social que nous avons essayé d'analyser en introduisant dans le deuxième questionnaire les questions 6 à 12. Mais le fait que ces questions n'aient pas figuré dans le premier questionnaire et que l'appariement n'ait pas pu être réalisé, a rendu impossible leur exploitation.

Notons enfin, que c'est vraisemblablement au stress engendré par l'action qu'il faut attribuer la plus forte mortalité observée récemment par T.E. STRANDBERG [120] dans le groupe expérimental de l'expérience finlandaise de prévention des maladies cardio-vasculaires. Si cette explication se confirmait, cela prouverait les dangers, ou au moins les inconvénients des actions préventives qui imposent des modèles comportementaux a priori sans se soucier de la façon dont ils sont reçus et intégrés par les sujets auxquels ils sont destinés. Cela nous inciterait encore plus à promouvoir des actions fondées beaucoup plus sur une "autodétermination éclairée" des sujets.

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