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CHAPITRE 4- RÉSULTATS ET INTERPRÉTATIONS

4.3 Les types de soutien social

4.3.1 Le soutien émotionnel

Certains participants affirment que le partage de leur vie personnelle aux membres de leur groupe de cuisine permet de combler certains besoins liés au soutien émotionnel. Les observations ont démontré que les membres expriment leurs frustrations, inquiétudes, succès, joies et obstacles pendant la préparation des repas, mais à divers degrés pour chacun des membres. Nous ne pouvons pas présumer que tous les membres se livrent émotionnellement

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au groupe. Toutefois, dans tous les groupes, il a été soulevé des exemples qui permettent d’illustrer cette révélation de soi. Durant les entrevues, les participants et participantes affirment qu’ils se livrent peu au groupe et que les discussions plus délicates et émotives représentent des situations isolées.

Ça peut arriver, j’essaye de ne pas le faire [se livrer], parce que c’est quand même mes problèmes. Je ne veux pas poser mes problèmes. Mon problème de santé, je le dis. […] Je pense qu’ils le savent. Je leur ai dit que j’ai un fils […] en leur disant qu’il a des problèmes de drogue. Johanne

Un peu, on n’ouvre pas trop là-dessus. Aujourd’hui avec le nouveau style de vie, les familles recomposées, il y en a qui sont divorcés. Il y a de tout maintenant. Cela arrive à l’occasion qu’il y a des personnes qui arrivent et qu’ils ont le cœur gros […] Donc ça arrive qu’on parle de ça. Robert

En réponse aux gens qui se livrent émotionnellement au groupe, les participants et les participantes ont affirmé démontrer de l’empathie et du soutien envers la personne qui vit une situation difficile. Le soutien émotionnel se démontre par des manifestations de confiance, d’empathie, d’amour, de bienveillance et d’écoute chez l’autre (Ruiller, 2007). Les observations et le discours des participants et des participantes en entrevue ont démontré qu’une personne se livrant émotionnellement au groupe est accueillie et encouragée à parler de ce qu’elle ressent. Les membres et l’intervenant du groupe manifestent de l’encouragement et ce n’est pas une situation qui est dissuadée.

On se sent écoutée, je dirais qu’on se sent écoutée 10 sur 10. Caroline

De plus, en parlant des autres membres du groupe, les participants leur octroient une caractéristique familiale :

Quand quelqu’un a de la peine, tout le monde en prend soin et s'occupe de lui. C'est comme des frères et des sœurs, c'est beau. Albert

Cependant, il a été remarqué une différence entre le discours en entrevue et les observations des groupes en lien avec le soutien émotionnel. Les observations ont démontré plusieurs moments de partage entre les membres sur différents sujets sensibles tels que les problèmes de drogues d’un proche, les problèmes de santé, les problèmes financiers, les inquiétudes par

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rapport aux enfants, les problèmes de violence conjugale et autres. Cela concorde avec les résultats de l’étude de Engler-Stringer et Berendaum (2007) qui ont fait ressortir que lors de la cuisine et lors d’un partage de repas les participants parlent aussi de problèmes très personnels. Les données recueillies en entrevue ne font pas ressortir ces échanges sur des sujets personnels. Les observations démontrent que les discussions personnelles sont intégrées dans la cuisine et ne sont pas des « interventions » distinctes qui monopolisent le groupe. Nous supposons donc que les membres ne distinguent pas ces discussions de partage aux autres discussions moins émotives comme elles sont intrinsèquement inséparables de la dynamique de groupe. Les membres des groupes de cuisine ne percevraient donc pas qu’il y a création de cet environnement de soutien émotionnel qui transcende toutes les étapes de la cuisine. Cela vient donc atténuer les résultats des études qui affirment que la participation à un groupe de cuisine collective augmente la perception du soutien émotionnel compte tenu que les participants ont eu de la difficulté à nommer le soutien émotionnel comme source de soutien (Engler-Stringer et Berenbaum, 2007; Fano et al., 2004; Mundel et Chapman, 2010; Racine et St-Onge, 2000). Nous pouvons toutefois affirmer que la participation à un groupe de cuisine collective augmente le soutien émotionnel reçu chez les participants et participantes.

En effet, lors des observations, nous avons observé plusieurs situations où les membres semblent devenir des personnes-ressources pour d’autres membres. Nous pourrions donner l’exemple d’une participante du groupe 2 qui discute de la mort d’une ancienne participante du groupe et de la difficulté de passer au travers ce deuil. La discussion est très émotive et un des membres décide de lui faire l’accolade. Le groupe se remémore des souvenirs de cette participante pour ceux qui la connaissaient et chacun des membres est sensible et réceptif au chagrin de cette dernière. L’intervenante partage aussi ses émotions face à cette situation et l’ensemble du groupe navigue vers un autre sujet après avoir pris en charge cette confidence.

Pour certains membres, l’intervenant ou l’intervenante dans le groupe représente une source de soutien émotionnel. En effet, pour la plupart des membres, l’intervenant ou l’intervenante

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est une personne qui est informée de leur situation personnelle et les membres sont ouverts à se confier à cette personne. Les intervenants donnent du soutien aux membres pendant le groupe, cependant lors de situations plus délicates, les membres seront pris en charge individuellement. Nous avons entendu les intervenants demander à des membres de rester quelques minutes après le groupe ou leur mentionner qu’ils les appelleront plus tard pour discuter d’une situation. Le soutien de l’intervenant transcende donc le groupe et se transpose à l’extérieur de celui-ci. Ceci est concordant avec les constats de Fano et ses collègues (2004) qui affirment que les coordonnateurs, intervenants et responsables d’un programme de cuisine collective sont des personnes significatives et une importante source de soutien émotionnel.

S’il y a un intervenant comme aujourd’hui, c’est [son prénom] qui fait à manger et il est intervenant, je pense que [la responsable] arrive aussi. Je parlerai [de mes problèmes] à eux. […] Mais quand ça ne va pas, ils ne sont pas fous, ils le voient dans mes yeux. Ils disent : « Toi, viens ici. Ça ne va pas. Qu’est-ce qui ne va pas? » Albert

Dans ces propos, Albert indique que les intervenants sont proactifs pour déceler un moment difficile chez un membre. La formation des intervenants et la relation qu’ils entretiennent avec les membres semblent des facteurs d’aide importants et seront reprises plus loin dans la section sur les facteurs d’influence sur la participation. Nous soulevons seulement qu’Albert est un membre depuis plusieurs années dans cette même cuisine et qu’il interagit avec ces intervenants depuis longtemps. Cela n’est donc pas surprenant qu’une relation de confiance et de proximité se soit développée entre eux et par conséquent qu’elle soit une source de soutien émotionnel.