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CHAPITRE 4- RÉSULTATS ET INTERPRÉTATIONS

4.2 L’expérience des participants et des participantes

4.2.2 Les motivations des participants et des participantes

Parmi les éléments importants soulevés dans les écrits pour comprendre l’évolution des personnes participant à une cuisine collective, l’un s’intéresse aux raisons qui ont amené les personnes à intégrer un groupe de cuisine collective. Cet élément est important puisque les motivations à participer peuvent influencer directement l’importance des retombées des cuisines collectives sur les participants et participantes. En effet, cet élément nous permet de connaitre quels besoins les participants visaient à combler en s’engagent dans cette activité sociale. Les trois motivations principales soulevées dans les écrits ont été rapportées dans les propos des répondants et répondantes en entrevue et durant les observations, soit la motivation reliée aux aspects relationnel, symbolique/identitaire et financier. Toutefois, un autre type de motivation a été rapporté par les participants : la motivation éducative, c’est-à- dire de développer des habiletés culinaires et une connaissance nutritionnelle.

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Trois des quatre personnes rencontrées en entrevue sont considérées à faible revenu et sont prestataires de la sécurité du revenu. Cela n’est donc pas surprenant qu’une des raisons importantes à s’engager dans un groupe de cuisine soit l’apport financier et la sécurité alimentaire que cela apporte. En effet, la participation a comme objectif une économie d’argent par la confection de repas économiques, mais aussi une économie de temps pour les personnes qui ont de la difficulté à se mobiliser pour se rendre dans les épiceries ou qui ont plusieurs enfants à charge. Le gain d’argent et de temps devient donc source de motivation.

C’est pour finir la fin de mois, il y a en a qui sont au début du mois. C’est sûr que ça aide quand même. Mais ça aide à finir le mois, parce que quand tu n’as pas beaucoup et au prix que la nourriture est, je voulais acheter un morceau de bœuf en fin de semaine passée, et à 16$ (soupir), ce n’est pas possible. Albert

C’est difficile d’arriver financièrement et c’est plate de cuisiner seule à la maison. C’est pour ça que j’aime venir ici. Participante du groupe 3

Toutefois, cette motivation financière n’a pas été évoquée dans le groupe 4. Le gain économique ainsi que la production d’une grande quantité de nourriture semblent secondaires dans ce groupe, les orientations du groupe de cuisine ont été modifiées en cours de route à la suite des commentaires des participantes. Les membres voulaient davantage que le groupe permettre d’échanger avec les autres et ne voulaient pas terminer la journée épuisée, car la majorité des participantes sont de jeunes mères. Nous soulevons donc que les objectifs des cuisines et leurs orientations semblent directement liés aux motivations des participants et des participantes. Si les objectifs des groupes se concentrent sur la lutte contre la faim et la lutte à l’insécurité alimentaire, les motivations des participants seront davantage orientées vers la motivation financière par la production de repas économiques.

La motivation éducative

La cuisine collective est pour une petite partie des gens rencontrés dans cette étude un lieu pour développer de nouvelles habiletés culinaires, pour apprendre à mieux se débrouiller en

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cuisine et pour connaitre de nouvelles recettes. Cela était pour Caroline la motivation première à s’engager dans un tel groupe et cette motivation est toujours présente.

Apprendre de nouvelles recettes, des manières de cuisiner. Comme là, mon gars a l’air tanné des légumes que je cuisine, donc j’aimerais ça savoir comment faire pour cuisiner autre chose. Caroline

Toutefois, cette motivation a été peu évoquée en entrevue et lors des observations. Cela peut être relié à la structure des groupes. En effet, lors de la préparation des repas, les participants de trois des cinq groupes observés acquittent une tâche d’une recette sans procéder à l’ensemble des étapes. Cela est donc plus difficile pour les participants de transférer les apprentissages dans leur quotidien.

Quelqu’un qui n’a jamais cuisiné de sa vie, c’est une bonne manière de connaitre un petit peu, je ne dis pas qu’elle va être capable de cuisiner chez elle, parce qu’en vérité, elle ne fait pas toutes les fonctions qu’il faudrait pour apprendre à cuisiner. Mais pour apprendre à éplucher, ça elle va apprendre. Johanne

En conséquence, malgré l’ouverture des participants à apprendre de nouvelles recettes et d’acquérir de nouvelles compétences, cela n’est pas une motivation première pour s’engager dans un groupe de cuisine collective. L’ensemble des gens rencontrés avait toutefois un certain intérêt au départ pour la cuisine.

La motivation relationnelle

La motivation relationnelle a été décrite par Fournier et ses collègues (1998) comme le besoin de sortir de chez soi et de se retrouver dans un espace de vie sociale. L’isolement social décrit par les participants est une motivation à rejoindre un groupe de cuisine collective. Nous remarquons deux fonctions de la motivation relationnelle, la première étant de diminuer la solitude, le réseau de soutien n’étant pas assez développé et de qualité. Le groupe de cuisine devient donc un moyen pour contrer cette forme de souffrance psychosociale. Une participante en entrevue nous explique la motivation de son copain à joindre un groupe de cuisine depuis qu’il est exposé aux répercussions positives des cuisines.

Pour quelqu’un qui est tout seul […], je crois que c’est quelque chose de motivant. Il veut embarquer avec nous autres l’année prochaine. Moi, il me connait, mais il ne

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connait pas autant de monde que moi. Il a demandé d’être dans mon groupe. [Cela a] été accepté. Pour lui, comme c’est un homme solitaire et qu’il n’a pas beaucoup d’amis, je suis certaine que ça va être profitable pour lui. Johanne

Pour certains, la cuisine devient secondaire, le sentiment de solitude est si présent que le besoin premier est la présence du groupe.

C’est ça qui m’a amené là. Le plaisir de côtoyer des gens, le besoin aussi. Robert

En effet, en entrevue et lors des discussions pendant les observations, un des aspects le plus appréciés des cuisines collectives est le groupe. Cela concorde avec la recherche de Fano et de ses collègues (2014) qui soutiennent que 75 % des répondants de leur étude ont évoqué le soutien et les interactions sociales vécues dans le groupe comme l’aspect le plus apprécié des cuisines collectives. Comme l’indique Johanne : « Moi, le premier aspect c’est d’être en groupe ».

Toutefois, l’isolement peut aussi être situationnel, à la suite d’un évènement de la vie chez le participant, comme la perte d’un emploi, la venue d’un enfant, une maladie ou tout autre évènement. Les participants se tournent donc vers le groupe de cuisine pour chercher un soutien afin d’apprivoiser cette phase de changement. En effet, une participante explique qu’après un arrêt de travail à la suite d’une blessure, elle a réintégré son ancien groupe de cuisine pour lui permettre de contrer ce nouveau sentiment de solitude.

J’étais tannée de regarder les murs de mon chez-moi, j’ai donc rappelé [la responsable] et elle avait une place de libre. Je suis donc revenue. [...] Ça nous fait sortir de chez nous, ça nous brise de notre isolement. Participante du groupe 2

Cet isolement situationnel transparait énormément dans le discours des participantes du groupe 4. En effet, la venue de leur enfant demande une adaptation à la parentalité et cette transition familiale nécessite une mobilisation du réseau de soutien qui n’est pas toujours présent. Les femmes qui, par exemple travaillaient, se retrouvent pour une bonne partie d’entre elles dépourvues de ce contact humain quotidien.

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Si je n’avais pas allaité, j’aurais dit à mon chum : « Reste à la maison et je retourne travailler ». Ici, ça me permet au moins d’avoir un contact humain. Participante du groupe 4

Quand tu es en hiver toute seule avec un bébé, ça peut être long en maudit. J’aime mon enfant, mais on devient isolé et le groupe ici permet de sortir de chez nous et de notre quotidien. La dépression post-partum c’est vraiment plus commun qu’on le pense, et je pense que ce genre d’activité peut vraiment aider. Participante du groupe 4

J’ai déménagé récemment à Québec pour le travail de mon chum, et je n’ai donc pas de réseau ici. C’est une collègue de mon chum qui m’a parlé de ce groupe. J’étais réticente au début […] Mais quand je suis venue, j’ai vraiment aimé ça. Des fois, je vais au centre d’achats juste pour voir des gens, je suis quelqu’un de très active et cela est difficile de rester seule à la maison avec le bébé. Participante du groupe 4

La motivation symbolique identitaire

La motivation symbolique est décrite comme une occasion de développer son estime de soi et un sentiment d’appartenance au groupe. C’est une activité valorisante qui permet le développement de l’estime de soi et l’importance de faire partie d’un groupe. C’est l’idée de faire partie d’une petite communauté et de s’y sentir bien.

Moi je suis arrivée dans le groupe par erreur, je pensais que c’était une activité de poterie. Je n’ai pas d’enfants et on m’a acceptée quand même. Cela me permet d’apprendre mon français et de sortir de chez moi. J’aime être entourée d’enfants comme je n’en ai pas, donc c’est une belle occasion pour moi de venir jaser et m’occuper d’enfants. Participante du groupe 4

La motivation à participer peut donc venir de l’accueil chaleureux reçu par le groupe, le sentiment d’être accepté tel qu’on est ou de la recherche d’un contact avec des personnes vivant une situation similaire à la nôtre.

C’est de l’implication personnelle. […] On jasait comme ça et je disais que je m’ennuyais et que je cherchais des activités. Apprendre à connaître des gens qui vivent la même situation que moi, comment ils font pour se débrouiller, du côté social, du côté de la débrouillardise, pour manipuler des ustensiles, des couteaux. Robert

La motivation peut venir aussi d’une curiosité, de s’épanouir dans quelque chose de nouveau, de vouloir faire partie de cette communauté attrayante.

Il y avait beaucoup de personnes qui aimaient faire la cuisine collective, comme j’en ai entendu parler, j’ai décidé d’essayer. Johanne

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Enfin, pour résumer, certaines motivations sont ancrées dans les bénéfices concrets et immédiats des cuisines collectives et d’autres motivations sont davantage d’ordre symbolique. Les gains économiques, de temps et le développement de connaissances en cuisine sont pour certains participants et participantes ce qui les animent à venir au groupe. Pour d’autres, les raisons sont plus d’ordre relationnel. L’entretien de relations à l’extérieur du réseau habituel et le développement d’un sentiment d’appartenance au groupe comblent chez certains participants un besoin fondamental. Les types de motivation sont toutefois interdépendants et mutuels, les participants joignent souvent un groupe de cuisine collective avec une ou plusieurs motivations premières, et celle-ci évolue au cours du temps.

4.2.3 La perception de sa situation personnelle