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CHAPITRE 5 : L'EXPÉRIENCE DES PROCÉDURES PÉNALES

5.2 L’EXPÉRIENCE DU TRAITEMENT JUDICIAIRE

5.2.3 S OUTIEN REÇU PENDANT LES PROCÉDURES JUDICIAIRES

5.2.3.3 Les sources de résistances au soutien

Pendant l’analyse de nos résultats, nous nous sommes aperçue que la plupart des jeunes femmes avaient des réticences à recevoir du support des proches ou de professionnels. Dans la section qui suit, nous tentons de comprendre les sources de ces résistances. Le sentiment de honte est une source de résistance que soulève quatre jeunes femmes qui ont préféré de pas demander d’aide à leurs proches.

(...) J’ose pas raconter la vérité à mes amies pis à ma famille. J’veux pas avouer avoir dansé pis m’être faite manipulée par un pimp. J’ai ben trop honte (...) Julie, 26 ans.

Il ressort des propos de Katia et Alik que c’est la crainte de blesser leur entourage qui a constitué un frein à ce qu’elles leur demande de l’aide.

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(...) Mes parents ne le savent pas et j'espère qu'ils ne le sauront jamais. Ça ferait trop de peine à ma mère. Sa petite fille qui fait ça ? (…) Faque j'veux pas qu'ils le sachent (...) Katia, 24 ans.

Quant à Eva, elle ne sollicite pas le soutien de ses proches par souci de se conformer aux règles du milieu criminalisé.

Non... j'en ai pas parlé à mon entourage vraiment. J'me tiens pas avec du monde qui euh... du monde normal comme on peut dire... des citoyens normals là faque j'me voyais pas en parler à mon monde alentour de moi là. (…) Tsé dans ce monde-là, ça se règle entre nous autres (...) Eva, 20 ans.

Il appert donc que pour certaines jeunes femmes, c’est non seulement la peur d’être jugée et de blesser leurs proches qui les amène à taire certaines facettes de leur expérience mais également le désir de se conformer aux règles du milieu dans lequel elles évoluent.

En ce qui concerne l’aide professionnelle, les sources de résistances sont d’un autre ordre. Trois raisons principales sont identifiées pour comprendre ces résistances ; la perception de la démarche thérapeutique, la résilience ainsi que l’utilisation de moyens alternatifs.

Bien que huit jeunes femmes sur dix disent avoir vécu des séquelles importantes, seule la moitié de ce groupe a entrepris une démarche thérapeutique. L’expérience est mitigée puisque deux femmes ont abandonné la démarche faute de résultat. Les deux autres sont les seules qui semblent avoir profité de ce soutien.

Quatre des jeunes femmes considèrent que ceux qui n’ont pas vécu la même expérience qu’elles ne sont pas à même de comprendre exactement ce qu’elles ressentent et ne peuvent en conséquence pas être aidants.

(…) I think that even with the psychiatrist, nothing is gonna help me 'cause she's not gonna... she's only there to talk to me and... but she doesn't feel the same way as I'm feeling (…) Alik, 20 ans.

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Leila nous confie que même après avoir raconté son histoire à différents intervenants judiciaires, elle n’a pas l’impression qu’ils ne peuvent réellement l’aider au niveau de son rétablissement psychologique. Il est à noter qu’elle a déjà consulté une psychiatre dans le passé et n’en garde pas un bon souvenir. Cette expérience négative antérieure avec une professionnelle est sans aucun doute à la base de sa résistance à consulter aujourd’hui.

(…) I just didn't feel like anybody really understand what I'm going through. So I haven't gotten any help or anything, even to this day (…) Leila, 24 ans.

Pour la moitié des interviewées, les résistances à recevoir de l’aide thérapeutique proviennent principalement de leur conception du rétablissement. En effet, ces dernières se fient essentiellement à leur résilience pour reprendre le contrôle de leur état psychologique.

(...) J'ai c'te faculté là depuis que j'suis jeune, j'ai eu un passé de merde. De, de, d'avancer là naturellement, pis d'oublier pis de mettre ça en arrière pis de ça sert à rien de garder ça à côté de toi pis de traîner ça avec toi (...) Jennie, 24 ans.

Les deux répondantes qui ont abandonné leur démarche thérapeutique parce qu’elles n’en percevaient pas les effets, se tournent elles-aussi vers leur résilience afin de faire face à épreuve de vie. En effet, Alik et Julie préfèrent s’en sortir seules plutôt que de persister à consulter des professionnels qui ne les aident pas réellement.

(…) So I told myself like you take the pills for nothing. I might as well get through this like... my way (…) Alik, 20 ans.

Quant à Léa, même si elle avance que sa thérapie lui a été bénéfique, elle attribue une part importante de son rétablissement à sa résilience.

(...) Je vais me donner le crédit, que c'est pas beaucoup de filles qui ont cette force-là, de faire ça, parce que j'en ai pas vu beaucoup dans ma vie, là. Je vais me donner ce crédit-là (...) Léa, 26 ans.

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Enfin, mentionnons que huit jeunes femmes sur dix utilisent des moyens alternatifs à la thérapie pour reprendre du contrôle sur leur vie. Quatre jeunes femmes collaborent présentement avec les policiers dans un programme de prévention du proxénétisme, ce qui les amène à faire des conférences auprès de différentes populations. Elles affirment toutes percevoir ce projet comme une démarche thérapeutique leur permettant de retirer du positif de l’expérience vécue avec le proxénète.

(...) Dans l'fond ma thérapie c'est d'en parler à d'autres pour éviter, d'en parler à d'autres pour aider pis d'en parler à d'autres qui comprennent qu'y'a douze millions de manières de vivre c't'affaire là. Pis bon, c'est pour ça que j't'avec le SPVM (...) Jennie, 24 ans.

Quatre autres se sont tournées vers la drogue pendant un certain temps pour étouffer la souffrance qu’elles vivaient.

(...) D'la drogue, j'ai commencé à en prendre plus quand que ça, ça c'est passé avec le proxénète là. Pour oublier que ça c'est passé là, tsé (…) c'est pas des expériences que t'aime là que ça se soye passé... tu veux oublier que ça c'est passé. Tsé... Faque j'prenais plus de drogue (...) Eva, 20 ans.

5.3 En conclusion

Lorsque les jeunes femmes quittent leur proxénète et prennent l’initiative de contacter les policiers afin de porter une plainte formelle, c’est parce qu’une prise de conscience s’est amorcée. Elles réalisent que leur situation ne changera pas en restant sous le joug du proxénète et décident de prendre les moyens nécessaires pour reprendre du contrôle sur leur vie. Ce faisant, elles enclenchent un processus d’empowerment avant même de s’investir dans l’expérience pénale et deviennent les instigatrices de leur propre autonomisation face au proxénète.

Alors que l’éloignement temporaire du souteneur permet d’entamer la démarche psychologique, c’est généralement l’aide d’une personne bienveillante qui les incite à concrétiser le recours à l’aide des forces policières. Les répondantes pour qui l’arrestation du proxénète ne relève pas d’un choix personnel démontrent plus de résistances à

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collaborer avec les policiers. Ces dernières sont dans un premier temps hésitantes à collaborer parce que le proxénète a toujours une emprise sur elles et/ou parce qu’elles craignent les conséquences que cette démarche occasionnera sur leur vie. La distance imposée par la détention préventive leur permettra d’analyser plus froidement leur situation et de peser les pour et les contre liés à une action judiciaire. À l’instar des jeunes femmes qui ont sollicité l’intervention des forces de l’ordre, elles en viendront à coopérer avec les policiers après l’amorce d’une prise de conscience des torts causés par le proxénète.

Qu’elles aient initié ou pas la démarche pénale, les jeunes femmes qui se sentent soutenues par les policiers et les intervenants judiciaires seront plus enclines à maintenir leur plainte jusqu’à la fin des procédures judiciaires. Le soutien et l’attitude compréhensive des intervenants à leur endroit sont perçus comme des éléments qui facilitent l’implication judiciaire et sont sources de satisfaction face à la démarche. À l’inverse, le manque d’empathie et l’attitude négative des agents du système pénal sont considérés comme des embûches à la participation pénale et peuvent constituer un frein au rétablissement.

Les jeunes femmes qui reçoivent l’aide de leurs proches et/ou d’organismes professionnels perçoivent plus rapidement les effets bénéfiques de leur implication pénale. Toutes les répondantes ont eu l’occasion de recevoir différentes formes d’aide de leur entourage. Celles qui n’ont pas bénéficié de soutien ont volontairement fait le choix de ne pas en recevoir par crainte d’être jugées ou de blesser des membres de leur famille. Bien qu’essentiellement prodiguée par les deux mêmes organismes publics, toutes les jeunes femmes ont reçu l’aide d’organismes professionnels suite au dépôt de leur plainte. Peu sont celles qui sont allées jusqu'au bout d’une démarche thérapeutique malgré leurs séquelles psychologiques. Cet état de fait s’explique par différentes résistances à s’investir dans une thérapie. Plusieurs estiment ne pas être prêtes à se lancer dans une telle démarche et d’autres ont l’impression que personne ne peut réellement les aider et préfère s’en remettre à leur résilience ou utiliser des moyens alternatifs pour passer au travers de certaines épreuves de vie. Toutes celles qui ne sont pas investies dans leur démarche thérapeutique admettent qu’elles sont encore aux prises avec des conséquences de leur relation avec le proxénète.