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CHAPITRE 5 : L'EXPÉRIENCE DES PROCÉDURES PÉNALES

5.1.1 D ÉPÔT DE LA PLAINTE

5.1.1.1 Résistances à collaborer avec les policiers

Six interviewées affirment avoir été ouvertes d’emblée à coopérer avec les policiers. L’arrestation du proxénète ne relève pas de l’initiative de deux des répondantes réticentes à collaborer. Une autre a contacté les policiers suite à la pression de sa famille. Ces trois jeunes femmes ont démontré plus de résistances à effectuer un dépôt de plainte car le

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recours au policier ne relevait pas d’un choix personnel. Quant à la quatrième répondante, elle a elle-même fait appel aux policiers mais ses précédents démêlés judiciaires l’amène à craindre les répercussions de son action.

Dans les cas de Jennie et Léa, l’emprise du proxénète est telle qu’elles ne sont pas prêtes à collaborer avec les policiers. Malgré la relation abusive que Léa vit avec son proxénète, ce dernier lui procure une certaine stabilité qu’elle perd complètement suite à son arrestation. Ainsi, l’emprise du proxénète et le lien affectif qui les unit font en sorte que son arrestation et sa détention provoque une réaction d’empathie chez la jeune femme.

(...) La première job, le premier travail que j'ai fait dans ma vie, c'était de la prostitution. Donc euh... j'ai rien connu d'autre. Faque pour moi, quand mon proxénète est rentré en prison, c'est comme si on me coupait les deux bras, les deux jambes pis qu'on me disait : débrouilles-toi toute seule (...) Léa, 26 ans.

De plus, Léa perçoit encore des avantages pécuniers dans la poursuite de ses activités prostitutionnelles. Se sentant seule et abandonnée en l’absence de son proxénète, elle tient les policiers responsables de son désarroi. Parce que l’intervention policière la déstabilise sur les plans affectifs et financiers, elle est dans un premier temps réfractaire à toute coopération et va même jusqu’à percevoir les policiers comme des ennemis.

(...) Quand qu'y rentré en prison, j'haïssais la police, j'haïssais euh... tout ce qui touchait aux lois (…) J’voulais juste rien savoir d'eux autres pis j'comprenais pas pourquoi y’étaient venus chambouler ma vie de même. Pour moi y’avaient fait un stop à ma vie, là (…) J'voulais juste être le plus loin possible d’eux autres, continuer ma vie (...) Léa, 26 ans.

Son jeune âge et sa maturité face à la vie peuvent également expliquer pourquoi sa première réaction vis-à-vis de l’intervention policière est négative. Elle ne s’attend pas à un tel bouleversement et se souvient ne pas avoir été prête psychologiquement à y faire face.

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(...) J'tais pas prête à aller témoigner, justement j'tais pas prête à ce qui m'arrivait euh... je venais d'avoir dix-huit ans (…) J'tais pas prête à ça du tout, j'm’attendais pas à ça (…) J’tais pas rendue là du tout dans ma vie quand y sont arrivés (...) Léa, 26 ans.

Contrairement à Léa, Jennie souhaite coopérer avec les policiers mais elle craint les représailles du proxénète. La jeune femme nous confie que sa peur du proxénète est si grande qu’elle n’a jamais même envisagé porter plainte contre lui. Parce que son premier contact avec les policiers ne relève pas de son initiative mais de celle des enquêteurs, elle est déstabilisée par la tournure des événements et ne sait comment y réagir.

(...) C'tait pour me protéger là. Tsé, quand je dis y rentre après une semaine, y'apprend que j'ai parlé, j'ai pas le temps... il va me retrouver, j'va en manger une, pis toute ça (...) Jennie, 24 ans.

Le proxénète l’a préparée à une éventuelle rencontre avec des représentants de la Loi et parce qu’elle est toujours sous sa domination, la jeune femme décide d’agir conformément à ce qu’il lui a dicté de faire. Dans son cas, c’est l’emprise du proxénète couplée au contexte de contrôle qui explique sa résistance.

(...) Durant les huit mois que j'ai été avec le proxénète, il m'avait formée ben comme il faut à une quelconque interrogation des autorités. Comment nier, comment agir pis toute ça là. A pas avoir se gratter, pas regarder sur les côtés, pas euh... Même si on te bouscule, n'importe quoi là. (...) Jennie, 24 ans.

Quant à Alik, la réticence à collaborer avec les policiers se situe à deux niveaux. Elle redoute premièrement le dévoilement de ses activités prostitutionnelles et préfère maintenir la clandestinité par rapport à sa famille.

(…) I didn't want my family to know what I did. 'Cause my family thought that I was dealing with drugs. They didn't think that I was dealing with dancing. Alik, 20 ans.

La vulnérabilité psychologique est également un élément qui ressort de ses propos. Elle vient toute juste de se sauver et n’a pas eu le temps de prendre une décision sur la suite

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des choses. Devant l’insistance de ses parents, elle accepte de rencontrer les enquêteurs mais elle craint que ces derniers ne lui mettent de la pression pour déposer une plainte formelle.

(…) I just ran away so I didn't know how to think and I was scared that they were gonna say that I have to do it when I don't want to do it. So, I wasn't going to press charges for him (...) Alik, 20 ans.

En ce qui concerne Sara, ce sont des expériences négatives antérieures avec les forces de l’ordre qui l’amène à craindre que la rencontre fixée par les policiers soit un guet-apens pour la mettre en état d’arrestation.

(...) J'avais dit à un de mes chauffeur : écoute, j'leur fais pas confiance ben ben faque faudrait vraiment que tu restes... Restes à côté de moi d'un coup qu'ils veulent m'embarquer tsé j'ai un mandat. J'ai peur pis toute (...) Mais c'est quoi qu'y'aurait pu faire ? (rire) Y'aurait pas pu rien faire là mon chauffeur, c'est la police. Tsé, y m'auraient embarquée (...) Sara, 34 ans.

En somme, deux des jeunes femmes ne veulent pas collaborer parce que la relation de pouvoir a prise sur elles. Outre la crainte qu’elles ressentent à l’égard de leur proxénète, la rupture avec ce dernier implique la perte de leurs repères et de leur stabilité. Elles craignent le vide que leur coopération pourrait amener, ce qui constitue un puissant dissuasif à toute participation au dépôt de la plainte. Pour d’autres, le manque de collaboration est en rapport avec les liens familiaux et plus particulièrement lié à la peur de la révélation des activités de prostitution. Elles souhaitent préserver leur moralité et appréhendent une modification de la perception de leurs proches à leur endroit. La maturité et les expériences négatives antérieures avec les forces de l’ordre constituent également des entraves à la collaboration pour certaines. Enfin, l’aspect économique est mentionné par une répondante. Ses réticences à coopérer visent, entre autres, la préservation de ses gains lucratifs.

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