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CHAPITRE 5 : L'EXPÉRIENCE DES PROCÉDURES PÉNALES

5.1.1 D ÉPÔT DE LA PLAINTE

5.1.1.3 Motivations et attentes lors de la collaboration avec les policiers

Bien que les motivations des jeunes femmes à collaborer avec les policiers soient multiples, c’est incontestablement le besoin de protection qui est mentionné par la majorité. En portant une plainte formelle contre leur proxénète, neuf femmes s’attendent à ce qu’il soit arrêté puis détenu pour avoir le temps de se protéger. Elles veulent couper tout contact avec le proxénète et ainsi mettre un terme définitif à la relation. La détention préventive est considérée comme un élément déterminant qui favorise leur protection.

(...) J'voulais juste... être sûre qui m'arriverait pas rien pis yé en dedans pis y va être en dedans jusqu'à temps qui passe en cour (...) Jennie, 24 ans.

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(...) Quand qu'ils vont le mettre en prison, y pourra pu me courir après. J'savais que... y serait pas en dedans toujours, y'a pas fait un meurtre mais au moins que ça l'arrête (...) Katia, 24 ans.

Léa perçoit le fait de porter plainte comme une façon de couper tous les liens avec le proxénète. L’action judiciaire maintenue confirme qu’une autonomisation est amorcée et peut-être va-t-elle contribuer à renforcer celle-ci.

(Faisant référence à sa déclaration-vidéo) J'ai témoigné contre lui, y sait que je ne veux plus rien savoir de lui, y sait que j’suis passée à autre chose (...) Léa, 26 ans.

Leila confie qu’une des motivations principales au dépôt de sa plainte est liée au besoin d’éviter l’escalade de la violence. Elle ne veut pas mourir sans que personne ne sache ce qu’elle a réellement vécu, c’est pourquoi elle décide d’avoir recours à l’aide des policiers.

(…) I was scared of being pushed to the point where I would defend myself one day and I would do something. But then, that would happen and if I hadn't reached out or told anybody or say anything to anybody, they wouldn’t understand the situation. I didn't want to be like that. I didn't want him to have that easy way out of him hitting me the wrong way and me end up dying and nobody knowing what happened to me (…) Leila, 24 ans.

Alik explique qu’elle ne veut pas vivre avec le regret de n’avoir rien fait, ce qui la pousse à revenir au Canada et à s’investir dans la démarche judiciaire. C’est donc après six mois d’extradition qu’elle en vient à la conclusion qu’elle ne pourra être en fuite indéfiniment et décide d’affronter ses peurs.

(…) I said to myself that I'm not always gonna run away from my life I might as well do this, get over it and... instead of always keeping it in me and be like : pourquoi j'l'ai pas fait ? Like, I should have done it. And I mean, instead of being to late than never doing it, I said, I'm gonna do it (…) Alik, 20 ans.

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Le désir de protéger d’autres jeunes femmes est également un facteur nommé par Eva et Chloé. Elles estiment que ce qu’elles ont vécu est grave et elles souhaitent s’assurer que le proxénète ne fasse revivre cette expérience à aucune autre jeune femme.

(...) Parce qu'il le faisait pas juste avec moi. Tsé... j'me disais qu'y avait peut-être des petites filles de 14 ans qui se faisaient faire ça pis qu'y fallait que ça arrête. Pis c'tait quand même grave là (...) Eva, 20 ans.

Il est intéressant de constater que la protection d’autres femmes ne constitue pas une motivation pour Julie et Claire car elles se disent convaincues que la poursuite judiciaire n’empêchera pas le proxénète de recommencer dans le futur. Bien que Julie considère que ce n’est pas la prison qui dissuadera le proxénète de récidiver, elle décide de signaler la dangerosité que représente cet individu aux autorités en vue d’une éventuelle prévention.

(...) Même si y va en prison, y va quand même continuer pis va les prendre plus jeunes pis plus naïves tsé. Pis ça je trouve ça un peu plate parce que je sais qu'il va continuer à faire ça. Tsé, faque c'est pas moi qui va avoir fait en sorte que ça arrête ou que y'a pas d'autres filles qui vivent la même affaire que moi, tsé ça va rien changer pour personne là-dedans. Mais au moins, je me dis que la prochaine fille, ça sera pas de ma faute, je vais avoir fait mon possible pour montrer au monde qu'il est débile (...) Julie 26 ans.

Six des jeunes femmes décident de porter plainte car elles veulent être délivrée de cette relation, retrouver une vie normale être enfin libre de leurs propres choix.

(...) Pour moi, c'qui m'a poussée à témoigner c'est vraiment... être libre, recommencer ma vie comme moi j'avais envie (...) Léa, 26 ans.

Certaines, comme Alik, s’attendent à ce qu’il subisse les conséquences de ses actes pour créer une certaine équité dans les séquelles vécues, elles-mêmes devant encore composer avec les conséquences de cette expérience au moment de la réalisation de nos entretiens.

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(…) To make him realize what he did was wrong and he's gonna suffer for it 'cause my life until now, I think about it (…) Alik, 20 ans.

Enfin, plusieurs jeunes femmes s’attendent à recouvrer une partie de l’argent qu’elles ont donné au proxénète à l’issue des procédures. Dans le cas de Chloé, c’est le policier qui induit cette attente chez elle lors de leur première rencontre.

(Le policier) m'a dit : si tu vas témoigner, je peux toujours m'arranger pour te remettre l'argent que je puisse saisir. C'tait un pour pis un pour. Tsé, tu vas mettre quelqu'un en prison pis en plus, j'peux faire ça en même temps, tsé (...) Chloé, 26 ans.

En résumé, bien que certaines disent souhaiter que leur proxénète paie pour les actes qu’elles ont vécu, la motivation centrale de la majorité des répondantes est de se libérer de son emprise. Comme nous l’avons vu dans le premier chapitre, toutes ont enduré différentes formes de victimisation durant leur relation avec le proxénète et une majorité a tenté de rompre avec lui à plusieurs reprises avant de recourir à l’aide des policiers. Bien que l’intervention des représentants de la loi ne résulte pas de l’initiative de trois jeunes femmes en relation de couple avec le proxénète, sept répondantes ont fait le choix de demander leur aide. Elles ressentent le besoin d’être protégées par les policiers qu’elles rencontrent, d’éviter une éventuelle escalade de violence et de prévenir la victimisation d’autres jeunes femmes. Le recours à l’aide des représentants de la Loi est perçu par une majorité comme l’ultime chance de reprendre du contrôle sur leur vie. Pour ce faire, elles ont besoin d’une protection temporaire afin d’avoir le temps de reprendre leurs esprits, envisager leur futur et prendre les moyens nécessaires pour se réapproprier le contrôle sur leur vie.