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Le phénomène de victimisation secondaire fait référence aux conséquences indirectes du crime. Selon Symonds (1980), l’un des précurseurs en matière de « blessures secondaires », la victimisation secondaire peut avoir pour effet d’aggraver les symptômes déjà présents et, parfois même, de favoriser l’apparition de l’état de stress post- traumatique. Alors que bon nombre d’écrits associent la poursuite criminelle au processus d’empowerment, plusieurs autres recherches avancent qu’au contraire, elle peut être source de victimisation secondaire pour les victimes d’actes criminels (Brown, 1991 ; Davis, 1988 ; DuBow et Becker, 1976 ; Gaudreault, 2002 ; Jordan, 2004 ; MacLeod et Picard, 1989 ; Wemmers et Cyr, 2006). Il est d’ailleurs aujourd’hui reconnu dans la littérature victimologique que certaines attitudes telles que le blâme, la banalisation de l’impact du crime et l’insensibilité peuvent provoquer des souffrances supplémentaires aux victimes d’actes criminels (Gaudreault, 2002).

Le système de justice pénale constitue une source importante de victimisation secondaire pour les personnes ayant subi un crime (Gaudreault, 2002). En effet, plusieurs chercheurs remarquent que les séquelles de la victimisation peuvent s’accentuer lorsque les victimes font appel aux instances judiciaires (Gaudreault, 2002 ; Wemmers et coll., 2004). Premièrement, parce que le système en place n’en est pas un qui est axé sur les besoins et les préoccupations des victimes, ces dernières sont plus souvent qu’autrement reléguées à un rôle de second plan. Le peu d’information qui leur est fourni concernant le déroulement de la poursuite pénale, la méconnaissance de leurs droits, les pressions faites afin de les inciter à témoigner, les particularités du langage juridique, le traitement rapide des dossiers et les délais excessivement longs sont autant d’exemples de facteurs qui contribuent à rendre le système de justice complexe et intimidant (Jordan, 2004 ; Gaudreault, 2002 ; Wemmers et coll., 2004). Selon Wemmers et coll. (2004), le système pénal amène une source supplémentaire d’insécurité à la victime qui ressent déjà de l’anxiété face à la situation de victimisation vécue.

Outre l’incompréhension, le stress, la peur des représailles et le sentiment d’exclusion que les victimes peuvent ressentir lors des procédures pénales, mentionnons également que certaines décisions judiciaires peuvent avoir pour effet d’entraîner une seconde victimisation. Par exemple, le report des audiences, la réduction des chefs d’accusations, l’abandon des poursuites ou encore l’imposition de sentences légères peuvent leur

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paraître arbitraire et, par le fait même, les amener à ressentir de la frustration et de l’insatisfaction à l’égard du système pénal (Gaudreault, 2002). De plus, parce que les procédures les exposent directement à l’agresseur et leur donnent très peu de contrôle, le témoignage devant les tribunaux peut aussi constituer une source de victimisation secondaire non-négligeable. (Gaudreault, 2002 ; Jordan, 2004).

Les victimes doivent raconter leur expérience à plusieurs étapes du processus et sont contraintes, chaque fois, de revivre l’acte criminel et les traumatismes qui y sont associés. On leur demande de raconter l’épisode violent dans un environnement qui n’est ni supportant ni particulièrement sécurisant : qui plus est, à un avocat de la défense qui a pour fonction de questionner leur crédibilité, jouer avec leur mémoire et mettre en doute le fait qu’elles disent la vérité (Jordan, Nietzel, Walker et Logan, 2004). Malgré divers changements récemment apportés au Code criminel afin de faciliter leur témoignage, certaines pratiques, telles les contre-interrogatoires abusifs et agressifs, semblent toujours être monnaie courante dans les tribunaux (Gaudreault, 2002).

La victimisation secondaire s’explique également par le manque de considération et l’indifférence de certains intervenants dans le système pénal. Elle peut être causée par l’ignorance des besoins de la victime dans le système de justice et ainsi, avoir des conséquences anti-thérapeutiques sur leur rétablissement. Selon Gaudreault (2002), le manque d’empathie et d’écoute est l’un des reproches les plus souvent mentionné à l’endroit des juges, avocats ou policiers. Et, comme le mentionne Symonds (1980), les réactions insensibles des autorités du système de justice peuvent augmenter la détresse des victimes et ultimement, aggraver leurs traumatismes (Symonds, 1980). Dans leur recherche portant sur les besoins des victimes au sein du système de justice criminelle, Wemmers et Cyr (2006) ont constaté que la façon dont les autorités traitaient les victimes pouvait aider ou nuire à leur rétablissement. Lorsque les victimes avaient le sentiment d’avoir été traitées justement et ne ressentaient pas que leur crédibilité avait été remise en doute, cela avait tendance à avoir un effet thérapeutique sur leur rétablissement alors qu’inversement si elles ressentaient ne pas avoir été traitée justement et/ou que leur crédibilité avait été questionnée par les autorités judiciaires, elles étaient alors plus propices à souffrir des symptômes de l’état de stress post-traumatique ainsi qu’à avoir une faible estime de soi.

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Alors que l’intervention pénale est perçue par MacLeod (1987) comme une forme de domination dépossédant encore plus les victimes de leur pouvoir, Ford (1991) spécifie que c’est lorsque les procureurs prennent le contrôle total du dossier que les victimes perdent du pouvoir. Lorsqu’elles n’ont pas leur mot à dire pendant les procédures, il s’ensuit que la seule forme de contrôle qu’il leur reste est celle de ne pas porter plainte ou de ne pas collaborer avec les instances judiciaires (DuBow et Becker, 1976 ; Gauthier, 2003). Parce que les intervenants judiciaires ont traditionnellement été insensibles aux besoins des victimes, celles qui recherchaient de la protection au sein du processus judiciaire, se retrouvaient plutôt dans une situation où elles étaient revictimisées par le système (Field et Field, 1973). Browne (1991) abonde dans le même sens et avance que le système en place ne répond pas aux attentes des victimes ou néglige leurs besoins de sécurité et de justice. Gaudreault (2002) remarque, quant à elle, qu’étant mal protégées contre l’intimidation ou contre la perpétration de nouvelles agressions, les victimes ont souvent l’impression que les intervenants pénaux sont peu préoccupés par leurs craintes et leurs besoins. Selon Davis (1988), parce que les intervenants pénaux prennent des décisions qui vont à l’encontre des intérêts et des volontés des victimes, le recours au système ne constitue que le remplacement d’un contrôle par un autre.

En bref, la victimisation secondaire peut prendre plusieurs formes. Quelle que soit sa manifestation, elle entraîne inévitablement de la souffrance, de l’insatisfaction, de l’incompréhension et de la détresse chez les victimes. Selon Gauthier et Laberge (2000), la conséquence la plus grave de cette « double-victimisation » est que les victimes peuvent hésiter à recourir à l’intervention judiciaire, et ce, même si elles ont besoin d’aide et de protection. Pour que la victimisation secondaire soit évitée, il doit s’opérer un changement profond des mentalités des intervenants pénaux, un meilleur soutien aux victimes pendant les procédures ainsi que des réajustements importants des pratiques pénales. Car, comme le mentionne Gaudreault (2002), elle résulte essentiellement de la méconnaissance des différentes difficultés auxquelles les victimes doivent faire face suite à un acte criminel.

CHAPITRE 2 :