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Les sources de l’hybridation

Dans le document L'organisation hybride et son contrôle (Page 59-62)

Partie 2 - L’Organisation Hybride comme objet d’étude

3 Vers une ontologie de l’hybridité majeure

3.1 Les sources de l’hybridation

Trois principales sources internes ou externes d’hybridité ont été identifiées, dénommées et regroupées autour des trois notions : « Valeurs », « Parties Prenantes » et « Structures ». Ce regroupement n’est pas le fait du hasard, il repose sur l’idée que ces trois sources sont celles qui sont le plus susceptibles de véhiculer des conflits de rationalité. Par exemple, en matière de valeurs, un changement sociétal de leur nature (la condamnation du travail des enfants) et de leur priorité (la protection de l’environnement) peut rendre inapproprié certaines pratiques persistantes considérées jusqu’ici comme parfaitement légitimes au sein de l’organisation. Dans le domaine des structures, l’acquisition par une entreprise très centralisée d’une entreprise conçue autour de l’idée de nivellement hiérarchique est potentiellement riche de conflits de logiques décisionnelles. Enfin la,

57 Référence à des propos de Serge Tchuruk, ancien PDG de Total pour désigner la tentation externalisatrice de certaines entreprises, poussée à ses limites.

58 C’est ce type de constatation qui a poussé les théoriciens comportementalistes de la firme à analyser cette dernière comme lieu de règlement de tensions et conflits dans un univers organisationnel exprimant le plus souvent des confrontations de rationalités. Ce fut le cas, comme le pensaient Cyert et March de l’opposition se manifestant entre rationalités découlant des recherches d’optima locaux et d’optimum global dans l’organisation. Ce genre de situation conduisait ces auteurs, à analyser le processus décisionnel comme une quasi résolution de conflits provoqués par l’opposition de rationalités différentes.

59Une parenté d’approche est sur ce point à relever avec le courant du New public management.

60 Il y a là d’ailleurs actuellement un débat au sein même du courant institutionnaliste autour de la notion d’entrepreuneurship et la notion d’entrepreneur institutionnel (Boxenbaum, Huault, & Leca, 2016) sera prise en considération.

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participation de l’Etat au capital d’une entreprise privée fut-elle minoritaire, ou encore un large recours au partenariat, sont également porteurs de conflits de points de vue.

Une quatrième source qui diffère des trois précédentes a été ajoutée et dénommée « Pressions Contextuelles ». La différence est double : d’une part, cette cause d’hybridation est essentiellement externe, d’autre part, elle est très hétérogène et comporte des éléments qui ne véhiculent pas directement des conflits potentiels de rationalité, par exemple les évolutions en matière d’institutions ou de réglementation. Ainsi, l’évolution prudentielle bancaire issue des accords de Bâle peut orienter les décisions futures des banques, sans pour autant créer de divergences de rationalité ou de conflits de logiques décisionnelles. En effet, les banques ont toujours eu des obligations de détention de fonds propres et l’accentuation de ces règles entre dans la même logique de raffermissement de leur solvabilité et de leur liquidité.

Quelques précisions concernant chacune de ces quatre sources potentielles d’hybridité.

La source « Parties Prenantes » est d’abord celle qui originellement, rappelons-le, a conduit au

concept d’hybridité avec la double présence des représentants des secteurs public et privé. Mais les parties prenantes peuvent figurer bien d’autres univers, par exemple les mondes coopératif61, collaboratif, syndical, voire politique…. La variation en qualité et en quantité des parties prenantes se réalise ainsi souvent via la modification de la composition du Conseil d’Administration. Mais elle peut également prendre d’autres formes : partenariats, création de filiales communes, participation à un réseau, alliances stratégiques se réalisant de façon contractuelle ou même implicite62. Toute modification des parties prenantes à un groupe, dès lors qu’elle est susceptible d’enrichir ou d’appauvrir les logiques d’action présentes dans le fonctionnement du groupe, est susceptible de modifier le degré d’hybridation de ce Groupe.

La source « Valeurs » comporte deux aspects distincts. Le premier désigne le système de valeurs

affiché par l’entreprise ou suivi implicitement par elle. Déjà, à ce stade, peuvent apparaître des conflits de logiques décisionnelles. Ils vont opposer d’une part, les « légitimistes » qui croient et agissent en fonction des valeurs proclamées dans la communication orale et écrite de l’entreprise, notamment dans celle mentionnée sur son site internet et d’autre part, les pragmatiques qui obéissent à leur interprétation du système de valeurs affiché si tant est qu’ils se rappellent de son contenu exact. Dans les deux cas et surtout dans le second, le rétablissement, au bout d’un certain temps d’une cohérence entre le dire et le faire peut se révéler nécessaire ; il s’opère alors à l’occasion, par exemple, du lancement ou de réactivation du projet d’entreprise. Mais bien d’autres conflits de logiques peuvent naître de mouvements dans les systèmes de valeurs et par exemple des évolutions externes (importance sociétale du « travailler ensemble » par rapport au travail individuel).

Dans un second sens du mot « Valeurs » est connoté à l’idée de création de valeur. Là encore, au sein de la même organisation plusieurs logiques peuvent ouvertement ou implicitement s’affronter, tant sur les choix créateurs de valeur, que sur ceux destructeurs de valeur. Ainsi, des politiques de 61 Dans les années 80 le conseil d’administration de l’organe fédéral des banques populaires, la chambre syndicale, comprenait outre des présidents des banques régionales et des directeurs généraux, un commissaire du gouvernement représentant de l’Etat. De même, les banques régionales comportaient dans leur Conseil d’Administration un représentant régional de la banque de France. Le premier (représentant de l’Etat) a été supprimé, et les seconds ont été priés pour raisons déontologiques de ne plus assister aux séances des conseils. Ne peut-on considérer alors que le niveau d’hybridation s’est légèrement réduit, ces deux personnages pouvant faire entendre au sein du Conseil l’expression de logiques différentes de celles caractérisant la voie coopérative ?

62 Par exemple redirection du client vers une entreprise recommandée (Cas de la SNCF envers certaines Start-up voir plus haut).

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restrictions aveugles des coûts (passés à la paille de fer) peuvent se révéler plus destructrices que créatrices de valeur (par exemple lorsqu’elles conduisent à se priver d’un personnel difficilement remplaçable, passées les difficultés ; ou encore lorsqu’elles conduisent à dégrader provisoirement mais délibérément la qualité du produit commercialisé (documents 4 et 15). Ajoutons que la mesure même de la valeur peut faire l’objet de divergences et révéler des logiques différentes de pensée : maximisation du profit, de la valeur ajoutée, de la valeur des fonds propres…)63.

La source « Structure », est celle qui apparaît comme la plus pourvoyeuse de conflits de logiques.

D’abord parce que ces conflits peuvent s’imposer de façon collatérale à l’entreprise par suite, par exemple, d’opérations de croissance externe. Toutes les banques coopératives l’ont éprouvé lors de leurs opérations d’acquisitions externes : les banques populaires avec l’acquisition de Natexis, le Crédit Agricole avec l’achat du Crédit Lyonnais, le Crédit Mutuel avec l’absorption du CIC, par exemple. A l’intérieur du même Groupe le phénomène peut se produire, c’est le cas lorsque le Crédit Coopératif est venu s’adosser au groupe des banques populaires. Mais à côté du cas où le conflit de logiques s’impose à l’organisation, il arrive également souvent que ce conflit émane de la volonté stratégique des dirigeants64. Par exemple un certain nombre d’entreprises ont construit leur succès sur leur volonté de mixer structures centralisée et décentralisée. C’est souvent le cas des structures en réseau. Ainsi, dans l’immobilier en France, une entreprise comme Foncia estime que son succès provient de son aptitude à combiner centralisation pour les fonctions transversales (par exemple, le traitement de l’information) et décentralisation du système des agences pour l’activité commerciale. Mais bien d’autres exemples peuvent être donnés de Groupes centralisant certaines fonctions (Recherche Développement ou Marketing) et décentralisant le reste (notamment la production), ou encore au sein d’une seule fonction (par exemple la fonction achat) combinent centralisation et décentralisation.

La source « Pressions contextuelles » comporte de nombreuses possibilités de changements dont

l’origine se trouve à l’extérieur de l’organisation ; elles n’ont rien à voir avec la volonté stratégique des dirigeants de l’organisation65. Cette origine recouvre schématiquement les domaines envisagés par le courant institutionnaliste à ses débuts avec Thorstein Veblen (Veblen, 1898) pour qui les institutions dominaient la dynamique organisationnelle, expression d’un conservatisme social caractérisant selon lui, le capitalisme américain des années 20. L’emploi de l’expression « pressions contextuelles » a pour objet de marquer que ces dernières ne correspondent pas exactement à la notion de pressions institutionnelles en lien avec les logiques du même nom et le concept d’institutions. Précisons par ailleurs, que le rapport qu’entretiennent les institutions avec les organisations, tient dans le fait qu’elles les traversent pour modeler les comportements des individus qui les composent. En effet, les institutions constituent, pour reprendre une heureuse expression, une « sédimentation » d’un

63 A ce propos une littérature spécialisée sur le rôle des outils de gestion, porteur de logiques institutionnelles, s’est récemment développée : (Boitier & Rivière, 2016; Chateau Terrisse, 2012, 2013). P. Château-Terrisse écrit, par exemple : « Si

au début des développements de la théorie néo-institutionnelle, on distinguait les environnements institutionnels des environnements techniques (J. Meyer & Scott, 1983), de plus en plus de chercheurs considèrent que les institutions et les dispositifs de gestion sont liés. Plus précisément, les dispositifs seraient des véhicules des institutions et des logiques institutionnelles. Selon Grimand (2006), le statut des outils de gestion est d’aider les acteurs à coordonner leurs actions, à développer une intelligibilité mutuelle. Oiry (2009) montre que les instruments de gestion sont des analyseurs des tensions de l’organisation et des éléments de régulation ».

64 Le lien entre le choix d’un type de structure et l’efficacité de l’entreprise, n’est pas mécanique, par ailleurs « la structure

ne constitue… qu’un facteur parmi d’autres influant sur les performances de l’entreprise » (Kalika, 1985) p. 83. Le choix de

structures comporte donc toujours un risque d’autant plus que ce choix doit être anticipatif du développement de l’entreprise (Kalika, 1991) p. 46.

65 Sauf si l’on souhaite intégrer à l’analyse la présence du lobbying, ce que ne sera pas fait ici. Ou si les dirigeants se saisissent une pression contextuelle de manière opportune !

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ensemble de croyances moteur de l’action humaine (des instincts au sens de Veblen) : « À partir du

moule que sont les conditions matérielles (technologiques et géographiques) d’une société donnée, à une époque donnée, les instincts se sédimentent en institutions » que Veblen définit comme « des habitudes mentales prédominantes, des façons très répandues de penser les rapports particuliers et les fonctions particulières de l’individu et de la société » (Mesure, 2007; Veblen, 1979)66.

Pour préciser la notion de pressions contextuelles, ajoutons aux institutions telles que les comprend TH. Veblen, d’autres éléments externes en voie de « sédimentation » tels que des législations nouvelles, des tendances sociétales en émergence, des modes qui se diffusent rapidement via les réseaux sociaux, autant de facteurs susceptibles d’influencer les comportements internes à l’organisation. Dans ces éléments il en est un particulièrement intéressant, c’est celui des normes abondantes qui pleuvent sur les organisations et viennent d’origines diverses. Non seulement elles entrent souvent en conflit avec les pratiques établies parfois ritualisées, mais en outre ces normes peuvent être contradictoires entre elles, ajoutant dans l’organisation une sorte d’endogénéité des conflits67qui ne facilite pas leur maîtrise, comme on le verra plus bas.

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