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Sélection d’un thème actuel de recherches et limites

Dans le document L'organisation hybride et son contrôle (Page 31-36)

Partie 1 - L’Organisation Hybride (OH) thème émergent de mes travaux

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immédiat. D’après la figure 4, le contrôle s’exerce sur les trois concepts d’organisation, de responsabilité, de valeur et in fine d’objectifs voire même de finalités, avec à chaque fois, des boucles de feed-back possibles. On peut très bien imaginer qu’au cours de son activité certaines logiques de fonctionnement cannibalisent les autres, modifiant les objectifs et finalités de l’ensemble. Ce phénomène doit être sinon anticipé au moins détecté au moment où il émerge. Dans ce cas le contrôle au deux sens de ses origines doit s’exercer. Ceci peut paraître théorique mais correspond pourtant à des exemples bien réels : cas d’entreprises dans lesquelles l’Etat varie sa participation (Renault récemment) ou plus insidieux : cas de banques mutualistes se banalisant progressivement en banque commerciale sans que personne ne s’en inquiète vraiment (documents 17, 21, 26, 27) et ce malgré (ou à cause) d’une communication rappelant « qu’une banque coopérative est la propriété de ses clients, ce qui change tout » !

Soulignons pour en terminer, que l’idée de contrôler l’hybridation d’une entreprise est une idée nouvelle qui oblige à réfléchir sur les voies et moyens possibles d’un tel contrôle ce qui constituera l’objet de la troisième partie de ce mémoire de HDR.

Les commentaires concernant la figure 4 ne sont évidemment nullement exhaustifs ; ils avaient pour but d’entrevoir la fécondité d’un champ de recherche tiré de façon inductive de mes travaux passés mettant en exergue le jeu combiné des concepts de Contrôle, d’Organisation, de Responsabilité et de Valeur. Mon insistance sur ce point n’est pas neutre. Elle témoigne de ma conviction que l’approche d’un sujet de recherche, aussi spécialisé soit-il, doit s’insérer dans une vision globale du domaine abordé. Il me semble en effet que tout effort d’investigation détachée de son contexte comporte un risque plus grand d’introduction de biais cognitifs.

Pour clore cette première partie, il reste à expliquer précisément, comment je suis passée du champ général de recherche « CORV » à un domaine beaucoup plus restreint, celui de l’Organisation Hybride. C’est là l’objet du point 3.

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Il s’agit maintenant de boucler avec mes propos initiaux et de mieux rendre compte de la dernière étape m’ayant poussée à la formulation de ma question de recherche : L’hybridation majeure de

l’organisation nécessite-t-elle un contrôle spécifique ?

Pour cela, dans le champ des recherches futures, délimité comme je viens de l’expliquer par quatre concepts fondateurs, j’ai réfléchi aux notions générales abordées directement ou indirectement dans mes travaux et notamment à celles qui m’avaient semblé lourdes de sens et faisant l’objet d’intenses recherches. Conformément à la figure 5 ci-dessous, j’en ai trouvé trois qualifiés cette fois de concepts spécifiques : Hétérosis, Hybridité, Complexité.

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Figure 5 - Déterminants du choix du thème : contrôle d’hybridation

3.1 Le concept spécifique d’hétérosis des organisations hybrides

La seconde partie de cette HRD reviendra en détail sur l’emprunt de ce concept à la biologie. Rappelons toutefois que mon intérêt pour le thème de l’hétérosis (document 17) a découlé de l’attention portée au secteur bancaire coopératif français. Il s’agit là d’un univers organisationnel fascinant, mélange curieux de bonnes intentions déclarées et de pratiques décalées, parcouru de logiques contradictoires, surtout après son entrée dans le monde des marchés financiers, un univers admiré par les uns (les tenants du mouvement coopératif international) et mal supporté par les autres (les défenseurs du monde farouchement concurrentiel de la commission de Bruxelles). Le paradoxe de ce secteur bancaire coopératif étant que malgré (ou à cause de) ce mixage des logiques il a, somme toute, bien réussi puisqu’affichant en France dans la banque de détail, des taux de rentabilité supérieurs à la moyenne sectorielle et traversant sans difficultés majeures, la crise financière de 2008.

Du point de vue académique, la littérature très instructive sur ce thème, reste plutôt descriptive et peu théorique, à l’image de mes propres travaux. J’ai pourtant tenté d’explorer quelques concepts nouveaux et notamment la notion d’hétérosis. Cette incursion dans un monde entrepreneurial, à la fois capitaliste et coopératif, m’a incitée à aller plus loin et l’HDR m’en a fourni l’opportunité à partir du moment où j’ai observé que le phénomène n’était nullement circonscrit au monde coopératif mais pouvait se rencontrer dans n’importe quel type d’entreprise qualifiée abusivement ou légitimement d’hybride. De ce premier point de vue, mon intérêt pour l’hybridité apparaît comme le prolongement normal de certains de mes premiers travaux (documents 17, 21, 25, 26, 27).

3.2 Le concept spécifique d’hybridité : réponse complexe à l’évolution d’un

environnement lui-même complexe

Au cours de mes travaux sur le secteur bancaire coopératif, c’est plutôt de manière abductive22 et non rigoureusement inductive que le caractère fondamental du concept d’hybridité m’est apparu. Bien entendu grâce à la démarche suivie dans cette HDR, la relecture de mes travaux n’a fait que conforter

22 Ce terme est utilisé au sens que lui donnent certains épistémologues (Jean-Louis Lemoigne, par exemple) pour désigner le phénomène de genèse des hypothèses choisies dans une recherche en quête de connaissances).

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l’importance de cette hypothèse, peu à peu renforcée à mesure par l’observation d’autres organisations n’appartenant pas au secteur bancaire. En même temps que de se renforcer, cette idée a pris une direction intuitive plus précise : l’hybridité utilisée stratégiquement, quand elle était maîtrisée, devenait l’une des clés essentielles de réussite du management stratégique moderne. Autrement dit, dans le cas de l’entreprise, l’une des réponses pertinentes à la complexification de son contexte résiderait dans l’aptitude à trouver le mix performant de logiques décisionnelles variées et parfois contradictoires, et à choisir des managers aptes à en orchestrer le fonctionnement. Ainsi, se précisait l’intuition que l’hybridation organisationnelle devenait un type de réponse complexe de l’entreprise aux variations complexes de son environnement. Prenons l’exemple de la RSO. A l’évidence il est plus facile d’appliquer une telle stratégie dans une économie coopérative que dans une économie capitaliste de marché. Dans le premier cas la démarche apparaît plus naturelle à suivre en raison de la nature du système de valeurs coopératif et du rôle reconnu au sociétariat. Par contre, dans le second cas, l’esprit de « court termisme » généré par la pression de l’actionnariat se concilie moins bien avec les perspectives à long terme de considérations environnementales et sociales. Dans le secteur bancaire français, c’est bien ce qui s’est passé. Tant que les banques mutualistes sont restées purement coopératives, l’introduction de la RSO s’est faite sans heurt de culture et, par exemple, la banque populaire de Loraine a été pionnière, puisque la première à signer en France une charte du développement durable. Les banques commerciales contraintes par la concurrence ont suivi avec un certain décalage, dans un premier temps, cantonnées dans le déclaratif, puis très vite de manière très efficace (document 26). Quand par volonté stratégique, pour répondre à l’évolution de leur environnement, les banques coopératives se sont dotées de véhicules cotés pour pénétrer dans l’espace des marchés financiers et de la banque d’affaires, elles ont dû combiner les deux logiques décisionnelles du court et du long terme. Elles sont parvenues à maîtriser après quelques ajustements (notamment dans la banque d’affaires) les contradictions qui en résultaient. En devenant hybrides ces groupes ont renforcé à la fois leurs performances et leur résilience aux crises au prix d’une complexification de la tâche des dirigeants. On comprend alors l’intérêt qu’Il peut y avoir à approfondir des recherches sur le terrain des conflits de logiques (expression qui sera explicitée dans la seconde partie) en considérant l’hybridation comme une réponse stratégique de l’organisation aux variations de son contexte23. Ainsi, comme déjà précisé, des investigations pourraient être menées sur le degré de combinaisons possibles au sein d’un même groupe (par exemple, dans le domaine du Crowdsourcing) entre des logiques coopératives, collaboratives et commerciales (document 34). Mais l’hybridation n’est-elle que le produit d’une volonté stratégique ? Toutes les discussions découlant de la pensée de Thorsten Veblen sur le courant institutionnaliste sont là pour rappeler l’influence du contexte et l’illusion d’une volonté stratégique totalement libre. Ainsi, le fait de s’interroger sur le lien entre hybridation organisationnelle et évolution contextuelle met en jeu, comme précisé ultérieurement, la portée de l’explication institutionnaliste mais pousse aussi à s’interroger sur l’évolution des pratiques managériales parfois qualifiées de « management de la complexité ». Apparaît bien là le concept spécifique de complexité associé à la question de son management, mentionnée dans la figure 5, expliquant mon choix du thème de l’hybridité.

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3.3 Le concept spécifique de complexité et son management

Plusieurs fois au cours de mes recherches, qu’il s’agisse de la RSO, des banques coopératives, des comités d’audit ou même des motivations de l’investisseur (documents 26, 27, 30, 32, 36), la question du comportement managérial des dirigeants s’est posée. Or ce thème paraît particulièrement intéressant dans le cas de l’organisation hybride car relativement peu exploré. Les remarques tirées de mes travaux attirent l’attention dans deux directions :

● Première direction : l’hybridité d’une organisation tend à exiger des dirigeants une capacité aiguisée à gérer des situations paradoxales de toutes natures. Cette idée n’est pas nouvelle. Le concept de management paradoxal a été, il y a une trentaine d’année (et encore aujourd’hui), proposé tant par des chercheurs que par des consultants désireux de témoigner de leur originalité24. En réalité, il y a là des versions actualisées d’idées bien plus anciennes telles que celles exprimées par Cyert et March (2011a) faisant du processus décisionnel dans l’entreprise un acte séquentiel de « quasi résolution des conflits », pour reprendre leur terminologie. Ces idées peuvent aussi être illustrées par une approche voisine conférant à la gestion des tensions dans l’organisation une grande importance (Lebraty & Gueret-Talon, 2012). Pourtant l’OH, par la complexité qu’elle véhicule incite à pousser plus loin la réflexion et à poser la question du management « de » et « dans » la complexité. Cette invite est donc l’une des causes ayant orienté mon choix du concept d’hybridité pour ma HDR.

● Deuxième direction : les observations faites en enquêtant sur le comportement des membres des Comités d’Audit (document 30) montrent que les dirigeants ne négligent pas le contrôle de l’hybridité, mais ils le font de manière partielle et fragmentée et non de façon globale. L’idée selon laquelle le concept d’hybridité conduirait à repenser la fonction contrôle a contribué également à aviver mon intérêt pour ce concept en suscitant le type de question suivant : si l’hybridation des entreprises est en rapide croissance, est-ce l’ensemble de la fonction contrôle qui est à repenser ou faut-il se contenter d’aménager un contrôle spécifique en cas d’hybridation ?

L’ensemble de la démarche, exposée dans cette première partie, m’a conduite dans l’immédiat à choisir le thème de l’hybridité ou plus exactement de l’hybridation et de son contrôle. Le chemin méthodologique parcouru, assez long, m’a paru néanmoins utile car :

● Il m’a permis de donner une présentation originale de mes travaux soulignant comment le temps peut modifier à quelques années d’intervalle la vision que l’on peut avoir de ses propres réflexions

● Il m’a également fourni l’opportunité de me rendre compte de la relativité d’une démarche sans a priori, malgré une volonté initiale affirmée d’inductivisme

● Enfin, il m’a permis d’aboutir à la proposition d’un choix immédiat de travail, non prévu au départ, et dont l’approbation par ma directrice de recherche a confirmé la pertinence. Vient maintenant le temps de l’essai d’explicitation conceptuelle pour répondre à l’une des interrogations qui avait émergé des recherches préliminaires : comment séparer dans mon thème les inévitables effets de mode, des tendances lourdes de sens dans l’évolution contemporaine des organisations et de leur management ? Cette question est centrale dans les développements présentés dans les deuxième et troisième parties.

24 Pour les consultants qui restent assez nombreux sur ce thème voir par exemple : http://management-paradoxal.fr/. Pour les chercheurs on pourra se reporter à (Stroh & Miller, 1994), ou plus récemment à (Szentes & Eriksson, 2016).

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