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Le contrôle de la source : structures

Dans le document L'organisation hybride et son contrôle (Page 90-93)

Partie 3 - Nécessité d’un contrôle spécifique de l’Organisation Hybride

1 Le contrôle de la dynamique d’hybridation

1.3 Le contrôle de la source : structures

Qu’il s’agisse des systèmes de valeurs ou des parties prenantes les évolutions détectées se déroulent dans un environnement interne, lui aussi en mouvement et constitué de l’armature structurelle de l’organisation. Cette armature, qui se présente comme un ensemble de configurations pas toujours cohérentes entre elles, évolue soit assez brusquement (intégration d’un réseau de distribution acquis au cours d’une opération de croissance externe), soit plus lentement (mise en place progressive d’une opération de restructuration). Bien sûr ce type d’opération est attentivement suivi par les dirigeants afin de vérifier si les objectifs qu’ils se sont fixés (par exemple, l’augmentation de la productivité ou encore un repositionnement concurrentiel) se réalisent et à quel rythme. Dans la situation envisagée ici, il s’agit d’une toute autre question : examiner dans quelle mesure les changements structuraux affectent l’état d’hybridation de l’organisation ? Or la modification d’agencements structurels revêt une importance particulière de ce point de vue. D’abord parce que les structures existantes incorporent des sédimentations de comportements, d’habitudes, de routines, de points de vue partagés qui vont se heurter à de nouvelles logiques. Ces heurts généralement qualifiés de l’expression peu précise de « résistance au changement » vont pouvoir mieux s’éclairer grâce au concept de conflit de logiques. Le contrôle spécifique de l’hybridation trouve donc là un terrain privilégié d’exercice. Comment donc organiser un système de veille spécialement dédié à l’observation des effets d’évolutions structurelles sur l’hybridité sans entrer dans le détail de toutes les variations d’agencements possibles au cours du fonctionnement d’une organisation ? Autrement dit, comment s’en tenir à l’essentiel ?

Dans ce but, j’ai choisi de me référer aux fondements théoriques qui avaient été dégagés pour expliquer l’hybridité et plus précisément au principal d’entre eux : la mixité voulue hiérarchie-marché. A la suite des publications de Ronald Coase et notamment de son analyse sur la nature de la firme (Coase, 1937), un vaste courant de réflexions se manifesta, se diversifiant dans de multiples directions, générant de nombreux travaux sur le rôle du marché, la nature des coûts de transaction, les mouvements méso économiques pouvant résulter de l’application de la théorie… Mais un point commun les rassemblait : généralement ces discussions émanaient d’économistes et s’inséraient dans

110 De la même façon qu’existent en informatique des convertisseurs de fichiers. Le logiciel qui convertit un fichier Word en fichier PDF n’altère nullement le sens du fichier converti mais permet à deux lecteurs ne disposant pas du même langage de se comprendre.

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une problématique d’économie générale. Or Claude Ménard (2004) fait observer à juste raison que ces études, et notamment celles empiriques concernant les coûts de transaction, attirèrent de plus en plus l’attention des gestionnaires. Historiquement dès les années 90 on a pu constater que le nombre de publications émanant de gestionnaires (point de vue managérial et marketing) dépassait largement celui des économistes. « Dans un survol daté de 1995, Grandori et Soda passent en revue 167

publications (mais seulement 16 publiées dans des revues économiques) concernant les réseaux inter firmes et pour une grande partie d’entre elles inspirées des coûts de transaction » (Ménard, 2004).

Plusieurs raisons expliquent ce basculement de point de vue, dont certaines, fort intéressantes, concernent les rapports de l’Economie et des Sciences de Gestion mais sortent du cadre du sujet traité ici. Deux considérations plus directement liées aux questions de veille structurelle seront donc exposées ici :

● Ronald Coase avait attiré l’attention des théoriciens de l’Economie sur deux formes pures représentées par les concepts de marché et de hiérarchie. Mais assez vite les chercheurs qui travaillaient sur la transposition des idées de R. Coase aux organisations réelles, et notamment aux entreprises, constatèrent qu’ils ne rencontraient pratiquement que des formes intermédiaires non seulement mélangeant hiérarchie et marché, mais de surcroît le faisant au travers d’une combinatoire de forme extrêmement large ; et cela à tel point que l’on pouvait se demander si l’on ne se trouvait pas là face à une « collection de bizarreries ? » (Ménard, 2004). Claude Ménard mentionne une liste qu’il précise non exhaustive de ces dernières : sous-traitance (avec une infinité de nuances dans les contrats), firmes en réseaux, franchises (avec le cas particulier de marques collectives dont le contrôle se révèle délicat), partenariats, coopératives (empruntant certaines caractéristiques à la marque collective et d’autres au partenariat), alliances… Il n’est donc pas étonnant que les gestionnaires se soient intéressés à cette gamme de possibilités structurelles pouvant être le support de stratégies organisationnelles et nécessitant donc un contrôle adapté pour en mesurer les effets (Holland & Lockett, 1997).

● La notion de coûts de transaction, clé de l’hybridation hiérarchie-marché, s’est également trouvée au centre de l’attention des gestionnaires qui se sont très vite demandés si ces coûts étaient définissables avec assez de précisions pour être mesurés. Une très vaste littérature s’est développée à ce sujet fin des années 80, généralement sceptique sur la possibilité d’opérationnaliser la théorie des coûts de transaction. La conclusion généralement adoptée étant que cette théorie aidait à comprendre le processus de choix hiérarchie-marché mais possédait peu de potentialité d’utilisation stratégique notamment en raison d’une trop grande difficulté à mesurer avec précision les coûts de transaction (Broussoau, 1989).

Cette double réflexion trace les lignes directrices du contrôle des changements de structures qui suppose donc : un suivi et un contrôle de l’évolution topologique de l’organisation hybride, et un suivi et un contrôle d’indicateurs des coûts de transaction.

Première ligne directrice du contrôle : l’évolution topologique

L’emploi du terme de topologie a pour but de mettre l’accent sur la structuration spatiale des différentes composantes de l’organisation hybride, et sur les questions de frontières de l’organisation dans une perspective voisine de celle adoptée par l’architecte Philippe Bonnin (2010) en anthropologie

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sociale111. A l’évidence les dernières années du XXème siècle et les premières du XXIème ont été marquées par l’accélération des innovations organisationnelles et l’apparition de ces formes hybrides « bizarres ». Cette accélération a eu pour conséquence de rendre de plus en plus floues les limites de l’organisation, en d’autres termes, ses frontières, avec une triple implication : rendre pour les chercheurs de plus en plus difficile le décryptage d’un secteur industriel ou commercial donné mais également pour les dirigeants et les managers, provoquer des problèmes de contrôle de partenaires plus ou moins dépendants, et au-delà d’identité (qui sommes-nous devenus ?) et de méconnaissance de ceux et celles travaillant dans la même organisation112 (qui sont nos collègues ?). Ainsi une vision topologique d’un groupe organisationnel hybride peut-elle contribuer à un essai de mise en ordre et donc une meilleure appréhension holistique des constituants de l’ensemble qu’il représente. Par exemple, les grands constructeurs automobiles ont tendance à avoir une telle vision des milliers de sous-traitants avec lesquels ils sont liés. Les relations d’ordre qu’ils établissent entre ces sous-traitants leur permettent de mieux visionner ceux qu’ils écarteront lors d’une rationalisation de leur sous-traitance et à l’autre bout ceux avec lesquels ils tisseront de véritables liens de partenariat.

Il pourrait donc être très utile que les Directions Générales élaborent, au besoin avec l’aide de spécialistes du mapping, une véritable cartographie de leur groupe, cartographie régulièrement mise à jour et présentant au moins trois niveaux : celui des partenaires, des sous-traitants et des alliances avec dans chaque cas une estimation du degré de dépendance mutuelle, et une mention particulière quand la partie concernée fonctionne avec des systèmes de valeurs très différents de l’organisation centrale113.

Deuxième ligne directrice du contrôle : les coûts de transactions

Il ne s’agira ici que d’indicateurs de contrôle des coûts de transaction, car il faut bien reconnaître une certaine légitimité aux innombrables critiques portant sur la non mesurabilité exhaustive et directe de ces coûts de transactions.

Partant donc de l’idée qu’il ne faut pas rechercher une complète mesure de ces coûts, mais seulement détecter systématiquement les dépenses effectives qui leur sont liées et qui sont de deux ordres :

● Coûts de recherches et de passation de contrats liés à l’évolution de la topologie organisationnelle telle qu’elle vient d’être définie,

● Coûts engendrés par le contrôle du respect de ces contrats et des conséquences qui peuvent en résulter (par exemple renégociation)114.

Les indicateurs proposés, certes loin d’être exhaustifs, paraissent néanmoins significatifs pour indiquer, si on les suit régulièrement, les tendances du coût inhérent à la modification du périmètre organisationnel. Précisons que sur ce point il y a place à de nombreuses recherches ultérieures théoriques et empiriques.

111 « …c’est la discipline qui se consacre à l’étude des espaces d’un point de vue qualitatif (c’est-à-dire non métrique, mais

n’excluant pas la définition de relations d’ordre), s’appuyant en particulier sur les notions de continuité et de limite. Passe-t-on cPasse-t-ontinûment d’un point de l’étendue à tout autre, ou doit-Passe-t-on franchir une limite? L’ensemble des points cPasse-t-onnexes qui sPasse-t-ont liés continûment entre eux, mais qui sont séparés par une limite des autres points de l’étendue constitue alors une aire… »

(Bonnin, 2010).

112 Cette remarque ne concerne pas que la grande entreprise, ainsi les PME membres d’un réseau peuvent avoir malgré leur taille les mêmes réactions que les plus importantes.

113 A nouveau, sur ce point les méthodologies présentées par S. Trébucq peuvent se révéler très utiles (Trébucq, 2012).

114 Sont délibérément exclus certains coûts, trop difficiles (mais pas impossibles) à mesurer, tels que : « les coûts d’opportunité que représentent l’immobilisation de certains actifs destinés à garantir le respect par les deux parties des clauses du contrat (par exemple une caution) » (Broussoau, 1989).

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