• Aucun résultat trouvé

Le contrôle processuel

Dans le document L'organisation hybride et son contrôle (Page 108-111)

Partie 3 - Nécessité d’un contrôle spécifique de l’Organisation Hybride

2 Le contrôle de l’organisation en situation d’hybridité majeure

2.3 Le contrôle processuel

L’idée de départ est simple : le résultat qu’il soit unique ou pluriel est une chose, la manière de l’atteindre en est une autre. Cette constatation résulte de deux idées :

● Deux organisations ayant atteint le même résultat ne peuvent être considérées comme équivalentes, même si l’on s’en tient au seul aspect performance, quelle que soit la définition que l’on donne de cette dernière. La manière la plus simple de le montrer est de confronter les deux courbes suivantes :

Figure 17 - Processus et résultat

● Si les deux courbes parviennent à 100 dans le même temps le processus qu’elles retracent ne peut être comparé. La première peut par exemple porter trace d’un mauvais climat social ayant entraîné une production par à-coups ce qui n’est pas le cas de la seconde. Un autre exemple aussi caractéristique peut être celui de deux organisations ayant atteint le même résultat mais dont l’une a violé la loi et la seconde l’a respectée. Restons sur ce second cas qui suggère la question suivante : que penser de l’hypothèse dans laquelle ce ne serait plus la loi qui serait violée mais l’éthique ? D’où la seconde idée :

● L’organisation en situation d’hybridité majeure, c’est-à-dire acceptant les oppositions de logiques sur les valeurs se trouve, dans ses rapports à l’éthique, dans une posture spécifique dont le contrôle s’avère particulièrement nécessaire. Non seulement, en effet, une telle organisation est concernée par le débat général sur l’éthique, mais en outre elle l’est doublement, parce qu’elle manipule des systèmes de valeurs en opposition plus ou moins vive, et parce qu’elle agit parfois en contradiction des valeurs qu’elle proclame et qui sont censées qualifier son identité. Les exemples d’une telle posture sont nombreux et peuvent concerner aussi bien un individu, qu’un collectif. Vendre à un client un produit ne correspondant pas à sa demande dans le seul but d’accroître son profit, n’est pas très éthique, et l’est encore moins quand le vendeur est un mutualiste. Ou encore pour le chauffeur d’une entreprise de transport routier conduire dans le respect du civisme au volant est nécessaire mais l’est encore plus

130 Ce concept n’est pas sans rapport avec la notion de droit processuel mettant l’accent non pas sur le seul but de l’action judiciaire mais aussi sur les moyens d’y parvenir (Jeuland, 2003).

108

quand il transporte des écoliers ou des matières inflammables et toxiques. Le domaine politique fournit de son côté d’excellents exemples de ce type de circonstances aggravantes ! Le problème du contrôle de l’OHM implique donc une double exigence de la part des contrôleurs : la capacité à vérifier au-delà des objectifs poursuivis, les processus y conduisant et par ailleurs, à contrôler le caractère éthique des processus suivis. Ce sont ces considérations qui m’ont poussée à mettre l’accent sur le caractère processuel du contrôle.

2.3.1 Système d’information comptable (SIC) et contrôle des processus

Dispose-t-on aujourd’hui de SIC non seulement apte à contrôler les processus de formation d’un résultat complexe (car élargi), mais en outre qui puisse permettre une évaluation de la qualité de ces processus, notamment du point de vue éthique ?

Dans ces versions originelles, le contrôle de gestion est apparu comme la construction d’un outil permettant de mieux comprendre la nature des résultats comptables et financiers ainsi que leurs composantes (Boisselier et al., 2013). Cet outil permettait notamment une étude des coûts, tant au niveau de leur contenu que de l’incidence qu’ils pouvaient avoir sur le résultat global. Toute une série de raisons (scandales financiers, crises économiques et financières, évolutions sociétales, importance de la stratégie, progrès de la théorie comptable, notamment) ont conduit à donner au contrôle de gestion classique de plus grandes ambitions. On a vu ainsi se développer de nombreux modèles de dépassement des premières versions du contrôle de gestion. Ces dépassements se sont orientés dans plusieurs directions et notamment : d’une part, répondre aux besoins des managers en matière de contrôle stratégique (R. Kaplan & Norton, 2003; R. S. Kaplan & Norton, 1992) et d’autre part, intégrer au domaine du contrôle de nouvelles dimensions sociales, économiques, environnementales incluses dans ce que l’on entend aujourd’hui par (RSE) et (RSO) responsabilité sociétale de l’entreprise ou de l’organisation. Les extensions proposées par ces modèles ont déclenché un vaste courant de recherches, parfois axé sur l’élaboration d’une comptabilité environnementale (CE) et plus généralement orientés vers la conception et la mise au point de véritables Systèmes d’Informations Comptables (SIC). Dans leur rapport aux 6ème Etats Généraux de la Recherche Comptable (2016) Alexandre Rambaud et Jacques Richard donnent un aperçu de ces nouveaux modèles en analysant leurs principales caractéristiques et en particulier leur capacité à intégrer la dimension environnementale. Ils présentent ainsi la GRI (Global Reporting Initiative, le SBSC (Sustainable Balanced Scorecard), la TBL (Triple Bottom Line), l’IR (Integrated Reporting131).

Certains de ces SIC constituent d’ailleurs des prolongements de recherches existantes, le SBSC développant les initiatives pionnières de Kaplan et Norton132. Ces derniers avaient en effet dès le début des années 90, proposé dans leurs travaux initiaux de compléter la vision traditionnelle de la performance financière de l’entreprise, en l’orientant vers des finalités stratégiques et une utilisation communicationnelle parfois mal comprise (ce fut le cas dans notre pays (Trebucq, 2011)).

Il est assez difficile de se forger une vision globale de l’ensemble de ces recherches en pleine évolution, si ce n’est en constatant que l’attirance qu’elles ont provoquée dans la pratique des organisations n’a

131 Cadre de référence international portant sur le reporting intégré. Le cadre de référence <IR> international : www.theiirc.org.

132« Ce sont les premières publications sur le balanced scorecard (Kaplan et Norton, 1992, 1993 et 1998) qui ont véritablement

entraîné l’aggiornamento des systèmes de mesure de la performance, notamment aux États-Unis où prédominait jusqu’alors le concept de « responsibility accounting » (Germain & Trébucq, 2004).

109

pas été suivie d’une adhésion planétaire133 et que du point de vue qui nous intéresse ici leurs progrès ont semble-t-il été plus marqués en horizontalité qu’en verticalité. C’est-à-dire que la préoccupation dominante a été d’étendre le champ de pertinence des SIC, au-delà de la gestion courante, aux domaines stratégiques, sociaux, économiques et environnementaux, plutôt que d’approfondir dans leur nature la qualité des moyens utilisés pour atteindre les objectifs fixés dans ces différents domaines d’activité. On peut à ce propos souligner que, parmi les recommandations faites par A. Rambaud et J. Richard (2016) à propos de la conception de « la valeur comptable », ces chercheurs plaident pour l’approche d’un « construit institutionnel ni purement objectif, ni purement subjectif, où la question ne

serait pas de savoir si un nombre est objectif (concept difficilement compatible avec la complexité écologique), mais par quel processus sommes-nous arrivés à ce nombre, qui a participé à sa conception et surtout, est-il re-discutable régulièrement afin de clarifier sa nature ? »134. Certes l’étude des processus internes faisait partie des objectifs de méthodologies innovantes telles celle du BSC mais plus dans le désir d’établir des causalités montrant le lien mesures non financières-résultats financiers que dans l’intention d’établir une séquence décisionnelle analysable sous plusieurs aspects et notamment celui de l’éthique.

2.3.2 SIC et éthique

Certes, on a pu proposer des systèmes comptables dont le soubassement théorique était entièrement conçu autour du concept de processus, compris comme ensemble d’activités, système désigné par l’appellation « comptabilité par activités » (Lorino, 1991). Il serait hors de propos d’en faire ici une analyse détaillée, remarquons seulement que ces propositions, du fait de leur complexité, n’eurent que peu de succès dans les entreprises d’une part, et que d’autre part, le but de la méthode était essentiellement orienté vers une reformulation des notions de coûts et de leurs genèses.

Finalement si l’on peut reconnaître globalement tout l’intérêt de ces développements sur les SIC et la légitimité de privilégier certains d’entre eux selon les objectifs de recherche135, reconnaissons qu’ils n’apportent pas les bases suffisantes d’une évaluation éthique de l’OH en situation d’hybridité majeure et donc les bases d’un contrôle en ce domaine.

Où se trouvent alors les perspectives de solutions ? Insistons sur deux d’entre elles :

● Remarquons d’abord que tous les efforts entrepris par les chercheurs et praticiens pour imposer et développer la notion de performances globale introduisent déjà des valeurs éthiques, au travers de la prise en compte des variables sociétales et environnementales et du comportement citoyen qu’elles impliquent. Dès lors, un double travail serait à entreprendre, d’une part brancher sur le SIC un sous-système informatif détectant la nature de ces valeurs et permettant de recueillir des évaluations récurrentes les concernant, d’autre part approfondir les processus conduisant à ces valeurs.

● Choisir dans les SIC existant ceux qui sembleraient se prêter au mieux à ces ajustements. A ce propos il peut être intéressant de se reporter à des systèmes tels que le Business Value Score (BVS) utilisés dans quelques entreprises, par exemple en Angleterre, une compagnie

133 Remarquons que la France avec les lois NRE et Grenelle n’est pas représentative de la situation générale.

134 (Rambaud & Richard, 2016) page.41.

135 « Actuellement, le « balanced scorecard » et le navigateur de Skandia, dans leurs versions les plus récentes, constituent

incontestablement les formes les plus abouties en termes d’outils de pilotage intégrant la problématique de la mesure de la performance sociétale » (Germain & Trébucq, 2004).

110

aéronautique136 (Jazayeri & Scapens, 2008). En effet, dans cette méthodologie, la mesure où la vision stratégique traduite par la performance globale, repose sur la conception d’une stratégie émergeant de l’intérieur de l’organisation plutôt que descendant en cascade du sommet. Elle est de ce fait plus proche des comportements de l’organisation dans son ensemble, ce qui représente un point de vue à privilégier sur le plan de l’éthique comportementale. C’est indirectement ce qu’exprime l’un des employés de l’entreprise utilisant le BVS et disant : « So what happens is that the Business Values Scorecard doesn’t

shape strategy; strategy shapes the scorecard, wich shapes the results, wich shapes the strategy. So it’s a complete continuum as far as we’re concerned.”

Conformément aux développements précédents, la performance globale d’une organisation en hybridité majeure ne consiste pas uniquement à atteindre différents objectifs de manière concomitante. Elle consiste aussi à les atteindre dans le respect d’une éthique, conforme aux valeurs de l’organisation. On peut y voir une proposition de redéfinition de l’efficience, ne consistant plus à atteindre un objectif en minimisant les ressources pour y parvenir (idée d’optimisation du résultat), mais à atteindre cet objectif dans le respect des valeurs de l’organisation (idée d’intégration de l’éthique dans la conduite des processus organisationnels).

Mais l’éthique est-elle bien à inclure, comme je l’ai fait, dans la sphère managériale de l’organisation à hybridité majeure ? Rappelons la conception des quatre ordres137 du philosophe André Comte-Sponville (2009), selon laquelle chaque ordre a sa propre logique et qu’il serait incohérent de puiser dans l’un pour défendre une proposition relevant d’un autre. Une telle conception, à l’évidence normative, est en contradiction avec les idées et les faits. Du premier point de vue, la multiplication mondiale des cours de « Business Ethics » dans les écoles de management et le développement des thèses sur ce thème en témoignent. Dans les faits, on a constaté une légitimation progressive de l’éthique dans les entreprises périodiquement accélérée à la suite de scandales financiers bien connus. Il n’en reste pas moins que beaucoup reste à construire pour mettre en place un contrôle du contenu éthique des processus organisationnels. Outre les problèmes de techniques comptables qui ont été abordés, la question des autorités qui l’assumeront se pose. Naturellement, le Conseil d’Administration ou de Surveillance auront un rôle essentiel à jouer comme cela sera souligné plus bas à propos de leurs comités techniques et des réunions qu’ils pourraient prévoir entièrement dédiées à la dynamique d’hybridation.

Enfin, soulignons pour terminer que les dérives dans le comportement éthique de l’organisation constituent une cause importante de « floutage » de leur identité. Le contrôle d’identité apparaît ainsi comme une opération complémentaire à la fois de la réalisation d’une performance globale et du contrôle des processus permettant d’y parvenir.

Dans le document L'organisation hybride et son contrôle (Page 108-111)