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Implications théoriques générales

Dans le document L'organisation hybride et son contrôle (Page 54-57)

Partie 2 - L’Organisation Hybride comme objet d’étude

2 L’organisation hybride : une quête théorique de sens

2.4 Implications théoriques générales

Les trois principaux courants théoriques mobilisés pour appréhender les sources de la dynamique d’hybridation, pris isolément n’expriment certes qu’une facette de la réalité. Ils ont néanmoins pour point commun de souligner la différenciation et le mélange des logiques pouvant caractériser le fonctionnement d’une organisation particulière. Leur étude conjointe permet également de préciser que les oppositions Etat-Marché, Hiérarchie-Marché, Exploitation-Exploration ou d’autres encore peuvent se cumuler complexifiant l’hétérogénéité de l’organisation ce qui appelle une triple précision :

● L’hybridité désigne l’état où se trouve une organisation dans sa dynamique d’hybridation ; cette dernière exprime la volonté stratégique des dirigeants de choisir un parcours qu’ils estiment nécessaire pour le développement de l’organisation dont ils sont responsables. L’accumulation d’éléments hétérogènes dus au hasard, à l’absence de stratégie, à la passivité face aux contraintes, au fatalisme ne saurait suffire à conférer à une organisation son caractère d’hybride. A cet égard, est éclairante la métaphore avec la biologie végétale où le croisement d’espèces générateur d’hybrides est expérimentalement voulu. Le parcours choisi par les dirigeants témoigne de leur prise en compte du champ des logiques au sein desquelles ils avancent et de leurs aptitudes non seulement à le traverser mais aussi à y trouver des forces pour atteindre leurs objectifs.

Figure 10 - L’organisation hybride choisit son parcours

● Le conflit de deux ou plusieurs logiques peut être lui-même créateur de logique. Ainsi l’antagonisme entre logique coopérative et commerciale, souligné dans mes travaux, analysant le contrôle bancaire mutualiste (document 27), montrait la nécessaire émergence d’une troisième logique, fédérale, interface facilitatrice et stabilisatrice.

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L’articulation des structures coopérative, fédérative et capitaliste constituait ainsi une organisation plus équilibrée et mieux préparée à gérer convenablement les conflits à venir. ● L’appréhension extensive du concept d’hybridité a des conséquences méthodologiques dues à l’immense combinatoire impliquée par la multiplicité des logiques traversant toute organisation, et aux choix de parcours managériaux en résultant. Cette combinatoire conduit à conférer à chaque organisation un caractère de singularité rendant très réducteur tout essai de classification et donc à accorder autant sinon plus d’importance aux différences qu’aux ressemblances. « Des entreprises comme Christian Dior, Hermès ou

Chanel, appartenant toutes trois au secteur du luxe, peuvent plus profondément se comprendre par référence à leurs différences plutôt qu’à leurs ressemblances » (Lebraty &

Gueret-Talon, 2012). On pourrait en dire autant de la BPCE et du Crédit Agricole appartenant au même secteur des banques mutualistes. Des recherches ultérieures, sur l’identité d’une entreprise hybride pourraient ainsi se révéler très fécondes pour remettre à sa juste place le principe de différence par rapport au principe de ressemblance dans la compréhension de la réalité.

2.4.2 L’hybridité : des formes et niveaux d’intensités variables

Lorsque les dirigeants ont choisi la voie de l’hybridité, cette dernière connaît des formes et des niveaux d’intensité variables, dépendant du passé de l’organisation, de son environnement institutionnel et de la personnalité de ses dirigeants. Soulignons qu’une partition peut être opérée, concernant la nature et le degré d’intensité de l’hybridité conduisant à distinguer deux spectres d’hybridité. Le premier appartient au domaine structurel opératoire : processus, modes de gestion, méthodes d’exploitation utilisés. Le second concerne la mise en jeu des valeurs dans le cadre desquelles s’expriment ces modes opératoires.

● Dans le premier cas, l’hybridité est utilisée dans une gamme très variée de situations allant de simples accords de fonctionnement à des situations où l’aspect « agencement organisationnel » est plus affirmé. Par exemple, il peut s’agir d’accords stratégiques ayant pour ambition le partage d’objectifs, la répartition du territoire, la création de valeur ou la recherche de mécanismes de stabilisation (Borys & Jemison, 1989). Dans d’autres cas, l’hybridité tient au fait que l’organisation est capable de construire une offre mélangeant biens matériels et services, ce qui en fait relève du « marketing management » (Ulaga & Reinartz, 2011). La notion d’hybridité peut même ne concerner que la composition et la manière de communiquer des équipes ou encore les combinaisons possibles entre différents services proposés aux clients. Dans le cadre de cette hybridité à finalité opératoire, il est pourtant des situations où l’aspect « agencement organisationnel » est plus affirmé. Tel est le cas d’un système Peer to Peer (P2P) au sein duquel on cherche à combiner des aspects structurés et non structurés (Yuh-Jzer & Zhang-Wen, 2010) ; ou encore de l’organisation d’un système de base de données dans laquelle sont combinées des technologies différentes de traitement des données afin d’accroître les capacités de stockage et réduire les coûts (Klastorin, Moinzadeh, Diehr, & Han, 1993). Le caractère « agencement » est encore plus accentué lorsqu’il concerne l’espace de travail répartition entre le bureau, le domicile et le cyber espace (Halford, 2005), ou encore quand il s’agit de mêler dans une division de l’entreprise des aspects fonctionnels et opérationnels (Feyzioglu & Pierreval, 2009).

Dans toutes ces situations et dans bien d’autres rencontrées dans la littérature invoquant explicitement le vocable d’hybridité, ce dernier concept est utilisé pour exprimer la

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combinaison de moyens de nature variée afin de faire fonctionner l’entreprise de manière plus efficace. On notera qu’il n’y a aucune référence à des systèmes particuliers de valeurs. On se situe sur le pur plan opératoire.

● Il n’en va plus de même dans la seconde forme d’hybridité pouvant également être illustrée par une gamme d’exemples. Certains d’entre eux sont proches des formes opératoires d’hybridité d’autres s’en distinguent nettement. Dans le premier cas il s’agira par exemple de la valeur plus ou moins grande attribuée au principe d’autonomie sous-tendu par l’idée que l’on se fait de la valeur de l’être humain : l’hybridité se traduit alors par le mix centralisation-décentralisation au sein de la même organisation. Dans le second cas, il s’agira plus explicitement des systèmes de valeurs véhiculées par différentes formes de propriété, présentes au sein du même groupe. Propriété capitaliste et coopérative, par exemple, comme cela se produit fréquemment dans le domaine des assurances et de la banque. Par ailleurs les objectifs poursuivis par l’organisation sont l’expression des systèmes de valeur qui l’inspirent. C’est le cas des entreprises du secteur social, assumant pleinement leur caractère hybride. Ces entreprises « plutôt que de choisir entre les exigences contradictoires posées par les objectifs

doubles (social et économique) ou triples (social, économique et environnemental) qu’elles s’efforcent d’atteindre, choisissent d’accepter les tensions créées par la poursuite d’objectifs contradictoires » écrivent C. Hervieux et alii (2016). Ces cas, même s’ils sont importants,

n’épuisent pas les mixités rattachables à des systèmes de valeur différents. Ainsi le mix prestations onéreuses-prestations gratuites couramment utilisé dans le cyber espace, mériterait une étude spécifique du moins si l’on considère que la gratuité peut dépasser l’astuce commerciale et être motivée par d’autres considérations. Tout un monde reste à explorer : open source, Wikipedia, défense des grandes causes, fondations (Bill Gates), ONG etc. Les contradictions de logiques facilement détectables dans de telles situations constituent pour le management, de véritables défis car finalement par ces parcours « les acteurs

organisationnels explorent (…) des stratégies leur permettant de gérer la complexité » écrivent

C. Hertvieux et alii (2016) en s’appuyant sur les travaux de Smith et Lewis (2011).

La large utilisation du terme d’hybridité pour désigner des organisations de toutes natures et poursuivant toutes sortes d’objectifs a fait apparaître la nécessité d’un grand effort de clarification. Un premier effort a consisté à comprendre que l’hybridité dans une organisation ne pouvait se résumer à la présence côte à côte de la puissance publique et des intérêts privés, utilisant respectivement les mécanismes de l’Etat et ceux du marché. Le domaine de l’hybridité est alors apparu beaucoup plus vaste et même à première vue sans limite. Un second effort a conduit à distinguer deux spectres d’hybridité. Le premier appartient au domaine structurel opératoire : processus, modes de gestion, méthodes d’exploitation utilisés. Le second concerne la mise en jeu des valeurs dans le cadre desquelles s’expriment ces modes opératoires. Dans la suite de ce document, reprenant la définition proposée dans l’introduction, sera qualifié d’hybridité majeure (à forte intensité) le système organisationnel « qui cumule les deux spectres mixant modes opératoires (production directe et sous-traitance par exemple) et systèmes de valeurs (économiques, sociales, environnementales, par exemple) ». Pourtant à ce stade du raisonnement, je souhaite compléter l’idée d’hybridité majeure par un approfondissement permettant d’en mieux saisir la portée. L’hybridité majeure est celle susceptible de mettre en choc frontal les valeurs revendiquées par les dirigeants comme socle légitimant leurs décisions. Remarquons que le choc des valeurs peut être indirect. Par exemple, dans le cas d’une fusion

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réunissant des entreprises aux degrés différents de décentralisation, la persistance de cette différenciation peut être perçue comme une certaine défiance envers l’idée de responsabilité individuelle au bénéfice du principe d’autorité. Mais dans une telle hypothèse les conflits de valeurs pouvant en résulter ne sont pas directs, et sont dissimulés par des raisons plus ou moins sincères, selon lesquelles il faut du temps pour rapprocher les cultures. Lorsque je parle d’hybridité majeure ce n’est pas à ce type de cas que je me réfère. J’évoque plutôt les situations dans lesquelles les conflits de valeurs sont concernés directement, au premier degré, ouvertement. Une illustration typique est par exemple celle où l’on cherche à faire cohabiter un système fondé sur les valeurs attachées à la propriété d’où l’on déduit que le profit est avant tout destiné aux actionnaires, et un système dans lequel la valeur ajoutée par l’organisation est répartie entre toutes les parties prenantes, selon des principes différents du seul souci de rémunération du capital. Dans ce cas le choc est frontal et comparable à celui qu’a subi le mutualisme bancaire le jour où il a décidé de pénétrer dans le monde de la banque d’affaires. L’hybridité est donc majeure d’abord en raison de ce choc frontal des valeurs mais aussi parce qu’un tel choc n’exclu nullement toutes les autres raisons possibles d’hybridité.

Figure 11 - Hybridité majeure : mixage des modes opératoires (MO) et des Systèmes de Valeurs (SV)

Un troisième effort certainement le plus difficile reste à entamer. Tenter de répondre aux nombreuses questions posées dans les développements précédents dont certaines essentielles : L’hybridité est-elle durable ? Où commence-t-elle et où s’arrête-t-elle ? En quoi l’hybridité est-elle complexe ? Une entreprise hybride a-t-elle une identité ? Comment contrôler les stratégies d’hybridation… Et finalement les Sciences de Gestion ont elles besoin d’un tel concept ? Ce type de questions, impose un travail d’approfondissement visant à identifier les mécanismes de l’hybridation pour en mieux concevoir la nature ainsi que les conditions de son contrôle et de sa pérennité.

Dans le document L'organisation hybride et son contrôle (Page 54-57)