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Le souci diagnostique dans les années 80

Dans le document tel-00871338, version 1 - 9 Oct 2013 (Page 81-84)

III Diagnostiquer les psychoses

3.1. Le souci diagnostique dans les années 80

« Si nous ne sommes pas capables de nous apercevoir qu‟il y a un certain degré, non pas archaïque, à mettre quelque part du côté de la naissance, mais structural, au niveau duquel les désirs sont à proprement parler fous ; si pour nous le sujet n‟inclut pas dans sa définition, dans son articulation première, la possibilité de la structure psychotique,

nous ne serons jamais que des aliénistes. » Jacques Lacan, 1962

3.1. Le souci diagnostique dans les années 80

L‟engagement des analystes dans la cure des psychotiques se heurte d‟abord aux affirmations fortes de Lacan telles que « Rien ne ressemble autant à une symptomatologie névrotique qu‟une symptomatologie prépsychotique. »1 , « Le fait qu‟une analyse peut déclencher dès ses premiers moments une psychose, est bien connu, mais jamais personne n‟a expliqué pourquoi. »2, ou la fin de la QP, qui est plutôt décourageante : «Car user de la technique qu‟il [Freud] a instituée, hors de l‟expérience à laquelle elle s‟applique, est aussi stupide que d‟ahaner à la rame quand le navire est

1 Jacques Lacan, 1955-56, Le séminaire. Livre III. Les psychoses, Paris: Seuil, 1981, p. 216.

2 Jacques Lacan, 1955-56, op. cit., p. 24.

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sur le sable. »1 L‟indication est alors la prudence et cela est manifeste dans les recherches d‟un diagnostic différentiel précis.

Les années 80 ont été marquées par un intérêt accru pour la question des psychoses; en témoigne le nombre de journées et de rencontres de travail qui ont eu lieu autour de cette thématique à cette époque-là. En 1983, des journées sur la clinique analytique des psychoses se sont déroulées à Montpellier en mai, et en novembre un colloque s‟est tenu à Prémontré sous l‟intitulé « Des psychotiques en analyse?». L‟année suivante la discussion continuait, cette fois-ci sur la question de l‟interprétation et du transfert dans les psychoses, selon le titre des journées de l‟École de la Cause Freudienne à Angers. L‟École de Belgique était aussi concernée par la thématique et lui a dédié un volume de sa publication (Quarto) en 1983, 1985 et 1987. Cette dernière année s‟est caractérisée par les élaborations à propos des psychoses: de nombreux séminaires préparatoires de la cinquième rencontre internationale sur la clinique différentielle des psychoses se sont développés. Un groupe de recherche et d‟application des concepts psychanalytiques à la psychose (GRAPP) est fondé en 1986 par des psychiatres psychanalystes travaillant dans des services publics. La rencontre à Buenos Aires en juillet 1988 démontre que la question des psychoses intéressait de plus en plus les analystes d‟un côté et de l‟autre de l‟Atlantique.

L‟expansion de la thématique et de l‟intérêt ne se réduit pas aux rencontres de travail, journées et colloques: nombreux sont les ouvrages édités pendant les années 80.

Un mois après la mort de Jacques Lacan, l‟ouvrage de Jean-Claude Maleval à propos des « folies hystériques et psychoses dissociatives2» paraît. En fait, il s‟agit d‟articles publiés dans des revues spécialisées entre 1977 et 1980, corrigés et augmentés à l‟occasion de la parution de l‟ouvrage3. Avec lui s‟inaugure une série de travaux destinés à établir une clinique différentielle entre psychose et hystérie, dans un contexte

1Jacques Lacan, 1958, op. cit., p. 583.

2 Jean-Claude Maleval, 1981, Folies hystériques et psychoses dissociatives, Paris: Payot.

3À savoir : «Le délire hystérique n‟est pas un délire dissocié » de 1978 ( Cas Maria), « Pour une réhabilitation de la folie hystérique » de 1977 ( Cas Marie-Christine), « Hystérie et psychose infanto-juvéniles » aussi de 1977 (Cas Philippe), « La déstructuration de l‟image du corps dans les névroses et les psychoses » de 1980, « L‟escamotage de la folie hystérique » paru en 1979, « À la recherche du concept de psychose » de 1980 et « Schizophrénie et folie hystérique » de 1978. Bien que l‟ouvrage ait connu de nouvelles éditions, celles-ci n‟ayant pas été revues, on n‟a que le texte de 1981

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où le diagnostic de schizophrénie s‟était répandu.1 Outre les travaux de Maleval, on compte aussi sur quelques chapitres des Nouvelles études sur l’hystérie2 et sur le séminaire de Melman dédié aux Structures lacaniennes des psychoses3.

Quelques années plus tard, la question du diagnostic s‟installe aussi par rapport à la paire psychose-obsession et le cas de l‟homme aux loups est devenu un des paradigmes des cas au diagnostic difficile. L‟intérêt pour cette thématique était tel que la cinquième rencontre internationale du champ freudien s‟est déroulée à Buenos Aires en 1988 sous le titre de «Clinique différentielle des psychoses». Les présentations à cette rencontre montrent bien l‟effort pour repenser les concepts provenant de la clinique de la névrose dans leur application à la clinique de la psychose. Cette application avait été contestée en 1975 lors des journées des cartels : « Ce vocabulaire, - ces concepts - psychanalytiques que nous utilisons pour la névrose, il nous semble que nous essayons de le plaquer sur la psychose. Est-ce que cela est justifié ? Est-ce qu‟il ne faut pas réviser complétement cela plutôt que d‟essayer d‟accommoder ces concepts psychanalytiques à la psychose ? »4 Le problème se pose en termes de vocabulaire et la question continue à se poser même si la réponse de Lacan à J-A Miller lors de l‟ouverture de la Section clinique était claire sur ce point5: les catégories de $, a, S1, S2 sont appropriées à la clinique du psychotique. Ce sont des catégories élaborées pour penser les positions subjectives de l‟être. Mais il fallait le démontrer.

Ainsi, le souci diagnostique gagne du terrain et prend appui sur la clinique des épisodes dits psychotiques dans le cadre des structures névrotiques. Ce problème

1 « En dépit de quelques travaux, mentionnés plus loin, la tendance dominante, de nos jours, semble toujours être à l‟extension de la schizophrénie par rapport à l‟hystérie. » Jean-Claude Maleval, 1981, ob. cit., p. 242.

2 Charles Melman, 1982-83, Nouvelles études sur l’hystérie.Paris : Éd. Joseph Clims Denoël, 1984.

3Charles Melman, 1983-84, Les structures lacaniennes des psychoses. Paris: Édition de l‟Association Freudienne Internationale, 1999.

4Bernard Casanova, 1975, Lettres de l’École freudienne, Bulletin intérieur de l’École Freudienne de Paris N° 18, Avril 1976, p. 84.

5« J-A. Miller : La clinique des névroses et la clinique des psychoses nécessitent-elles les mêmes catégories, les mêmes signes ? Une clinique des psychoses peut-elle, selon vous, prendre son départ d‟une proposition comme :„le signifiant représente le sujet pour un autre signifiant‟, avec ce qui s‟en suit de l‟objet a ? $, a, S1, S2, ces termes sont-ils appropriés à la clinique du psychotique ? J.Lacan : La paranoïa, je veux dire la psychose, est pour Freud absolument fondamentale. La psychose, c‟est ce devant quoi un analyste ne doit pas reculer en aucun cas. J-A Miller : Est-ce que dans la paranoïa, le signifiant représente le sujet pour un autre signifiant ? J.L : Dans la paranoïa, le signifiant représente un sujet pour un autre signifiant. J-A Miller : Et vous pouvez y situer „ fading‟, objet a…. ? J. L:

Exactement. » Jacques Lacan, 1977, « Ouverture de la Section Clinique », p. 12.

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clinique amène Maleval à différencier les présentations délirantes de la névrose des présentations délirantes proprement psychotiques, en établissant qu‟une logique spécifique préside la structure du délire psychotique1. Le cas princeps problématique continue à être l‟épisode paranoïaque de l‟homme aux loups dans le traitement avec Ruth Mack Brunswick. Les controverses diagnostiques par rapport à ce cas, loin de s‟être dissipées, continuent encore de nos jours.2

La question du diagnostic est capitale car elle n‟est pas seulement une question de classification, elle concerne aussi la position de l‟analyste par rapport au cas en tant qu‟elle peut opérer comme présupposition de la part de l‟analyste et ainsi influencer la direction de la cure. À ce propos, Soler remarque: « Je voudrais simplement insister sur le fait que la question de l‟épistémologie des classifications a des incidences pratiques.

Le diagnostic a un effet sur l‟analyste, dans la façon dont il pense le cas, et au niveau du désir même de l‟analyste. Donc, quand on classe, il faudrait que ce soit très assuré.»3 Une fois de plus tous les chemins mènent à Rome: c‟est le désir de l‟analyste qui est en jeu.

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