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La tradition psychiatrique de la clinique

Dans le document tel-00871338, version 1 - 9 Oct 2013 (Page 179-182)

VI Quelle méthode pour la recherche en psychanalyse ?

6.1. La méthode clinique

6.1.1 La tradition psychiatrique de la clinique

Lacan a défini la clinique psychanalytique comme celle qui consiste à

« réinterroger tout ce que Freud a dit »1, et reconnaît que le début de la clinique n‟est pas freudien : « Car la question commence à partir de ceci qu‟il y a des types de symptôme, qu‟il y a une clinique. Seulement voilà: elle est d‟avant le discours analytique »2. La psychanalyse a un antécédent dans la tradition de la clinique psychiatrique dont la construction s‟est déroulée pendant le XIXe siècle et la stagnation remonte à la première moitié du XXème siècle.3

1 Jacques Lacan, 1977, « Ouverture de la Section Clinique.» Ornicar ?, 9, p. 11.

2 Jacques Lacan, 1973, « Introduction à l‟édition allemande d‟un premier volume des Écrits (Walter Verlag) », Scilicet, 5, Paris: Seuil, p. 15.

3 Lacan revendique sa thèse de 1932 comme la dernière trouvaille de la tradition clinique classique.

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La naissance de la clinique comme méthode d‟abord des maladies dans le champ de la médecine date des dernières années du XVIIIe siècle selon l‟étude de Foucault1:

La médecine moderne a fixé d‟elle-même sa date de naissance vers les dernières années du XVIII siècle. Quand elle se prend à réfléchir sur elle-même, elle identifie l‟origine de sa positivité à un retour, par-delà toute théorie, à la modestie efficace du perçu. En fait, cet empirisme présumé repose non sur une redécouverte des valeurs absolues du visible, non sur l‟abandon résolu des systèmes et de leurs chimères, mais sur une réorganisation de cet espace manifeste et secret qui fut ouvert lorsqu‟un regard millénaire s‟est arrêté sur la souffrance des hommes.2

Les phénomènes pathologiques deviennent un fait de regard dès que la méthode anatomo-pathologique est possible et les cadavres peuvent être disséqués à des fins d‟investigation. Le rapport du visible et de l‟invisible change sa configuration, donnant lieu à une clinique où le regard empirique a un « pouvoir souverain»3. Il s‟agit d‟une clinique du regard dont le guide est le savoir du médecin qui peut reconnaître dans les phénomènes pathologiques toute une « grammaire des signes »4. La manière de voir se transforme, mais aussi change la manière de dire. Les premiers cliniciens ont décrit au début du XIXe siècle ce qui avant restait au-dessous du seuil du visible et de l‟énonçable. Tout un nouveau langage s‟impose pour saisir ce que le regard clinique recueille: « La clinique, c‟est à la fois une nouvelle découpe des choses, et le principe de leur articulation dans un langage où nous avons coutume de reconnaître le langage d‟une „science positive‟.»5

L‟expérience clinique transforme le lit du malade en champ d‟investigation6, et en même temps inscrit la rationalité médicale dans un discours scientifique et positiviste. Les conditions de possibilité de la découverte freudienne s‟inscrivent dans ce contexte: « (…) il est impensable que la psychanalyse comme pratique, que l‟inconscient, celui de Freud, comme découverte, aient pris leur place avant la

1 Michel Foucault, 1963, Naissance de la clinique, Paris: PUF, 2007, p. VIII.

2 Michel Foucault, 1963, op. cit., p. VIII.

3Michel Foucault, 1963, op. cit., p. X.

4Michel Foucault, 1963, op. cit., p. XIV.

5 Michel Foucault, 1963, ibid.

6 Michel Foucault, 1963, op. cit., p. XI.

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naissance, au siècle qu‟on a appelé le siècle du génie, le XVIIe, de la science, à prendre au sens absolu à l‟instant indiqué. »1

Dans le champ de la psychiatrie, la mise en place de la méthode d‟observation clinique a donné lieu aux descriptions détaillées des maladies mentales. Cette recherche envisageait la construction des classifications et la formulation de diagnostics précis.

Jusqu‟à l‟avènement des psychotropes, la question de la thérapeutique était secondaire, et paradoxalement la découverte de ceux-ci a eu pour effet une dégradation de l‟écoute clinique. Les nouveaux manuels statistiques, tel que le DSM, se prétendent a-théoriques et relient une évaluation clinique -supposément vierge de présupposés- à l‟indication des médicaments dont l‟effet vise à une élimination des symptômes. Plusieurs auteurs soulignent que ces avancées thérapeutiques dans la pharmacopée ont entraîné une dégradation de la clinique.2

En revenant sur l‟histoire de la construction de la tradition clinique en psychiatrie, qui a eu son influence dans la psychanalyse, celle-là démontre que l‟observation n‟est jamais « pure », même si elle se prétend telle, elle dépend d‟un certain discours, dans ce cas-là, le discours de la science. Nous pouvons reprendre ici le les paroles de Lacan : « Comment retourner, si ce n‟est d‟un discours spécial, à une réalité pré-discursive? C‟est là ce qui est le rêve Ŕ le rêve, fondateur de toute idée de connaissance. Mais c‟est là aussi bien ce qui est à considérer comme mythique. Il n‟y a aucune réalité pré-discursive. Chaque réalité se fonde et se définit d‟un discours.»3 Le rêve d‟une connaissance pré-discursive concernant la clinique est aussi souligné par Foucault:

1 Jacques Lacan, 1965, « La science et la vérité » Écrits, Paris: Seuil, 1966, p. 857, ou ensuite: « Nous disons, contrairement à ce qui se brode d‟une prétendue rupture de Freud avec le scientisme de son temps, que c‟est ce scientisme même si on veut bien le désigner dans son allégeance aux idéaux d‟un Brücke, eux-mêmes transmis du pacte où un Helmholtz et un Du Bois-Reymond s‟étaient voués de faire rentrer la physiologie et les fonctions de la pensée considérées comme y incluses, dans les termes mathématiquement déterminés de la thermodynamique parvenue à son presque achèvement en leur temps, qui a conduit Freud, comme ses écrits nous le démontrent, à ouvrir la voie qui porte à jamais son nom.» Jacques Lacan, 1965, ibid.

2 Parmi eux, Colette Soler affirme « Dans le champ de la psychiatrie, je ne vous apprends rien là-dessus, les progrès de la Science (écrivons-la avec un S majuscule et entendons les sciences neurologiques, la biologie moléculaire, la pharmacologie, etc.) ont pour effet, si l‟on en croit Paul Bercherie, dont vous connaissez sans doute le livre sur l‟histoire de la psychiatrie, de produire la mort de la clinique. J‟exagère un peu la thèse de Bercherie. Il n‟emploie pas ce terme, mais il introduit l‟idée d‟une époque post-clinique, l‟idée d‟une fin de la grande clinique classique remplacée à la fois par un pragmatisme thérapeutique et par un affaiblissement doctrinal Ŕ affaiblissement dont l‟une des traductions est d‟ailleurs souvent l‟éclectisme.» Colette Soler, 1990, « Paranoïa et mélancolie » Le sujet dans la psychose. Paranoïa et mélancolie, Nice: Z‟éditions, p. 35.

3 Jacques Lacan, 1972-1973, Le séminaire. Livre XX. Encore. Paris: Seuil, 1975, p. 33.

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182 L‟expérience clinique Ŕ cette ouverture, première dans l‟histoire occidentale, de l‟individu concret au langage de la rationalité, cet événement majeur dans le rapport de l‟homme à lui-même et du langage aux choses- a vite été prise pour un affrontement simple, sans concept, d‟un regard et d‟un visage, d‟un coup d‟œil et d‟un corps muet, sorte de contact préalable à tout discours et libre des embarras du langage, par quoi deux individus vivants sont „encagés‟ dans une situation commune mais non réciproque.1

Le catalogue soigneusement fait par Bercherie2 permet de saisir les différents critères qui ont ordonné ce nouveau champ. D‟abord, dans la clinique de Pinel, c‟est un critère synchronique - prenant l‟aliénation mentale comme état- qui est prévalent. Le symptôme le plus pittoresque définit le tableau. L‟introduction d‟un critère évolutif permet de situer la maladie mentale dans une diachronie, d‟établir ses phases et sa succession et ainsi faire une hypothèse pronostique. À ce modèle répond la plupart des descriptions de Kraepelin, Magnan, Lasègue, Falret, etc., lesquelles ont fait partie de la construction du bâtiment nosographique classique qui a isolé des entités telles que la démence précoce (premier nom donné à la schizophrénie), la paranoïa et la psychose maniaco-dépressive.

L‟observation prétendue pure était traversée par des présuppositions diverses.

L‟hypothèse étiologique a toujours supposé une cause ultime organique, donnant lieu à un parallélisme psycho-physique qui Ŕ malgré l‟effort de certains auteurs pour atténuer sa portée- persiste encore aujourd‟hui. De l‟inflammation des méninges aux plus modernes neurotransmissions, la clinique psychiatrique a tourné autour de l‟hypothèse d‟une étiologie organique des maladies mentales. Dans ce contexte, la découverte freudienne introduit la nouveauté d‟un registre étiologique qui obéit aux lois autres que les organiques.

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