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La recherche en psychopathologie

Dans le document tel-00871338, version 1 - 9 Oct 2013 (Page 182-187)

VI Quelle méthode pour la recherche en psychanalyse ?

6.1. La méthode clinique

6.1.2. La recherche en psychopathologie

Malgré le « tourner en rond » d‟une cause organique, lequel a fait obstacle à de nouvelles découvertes dont la psychanalyse fera état en supposant une autre causalité, le développement de la clinique psychiatrique classique a débouché sur l‟engendrement

1 Michel Foucault, 1963, ibid.

2 Paul Bercherie, 1980, Les fondements de la clinique. Histoire et structure du savoir psychiatrique, Paris:

L‟Harmattan, 2004.

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d‟une nouvelle discipline: la psychopathologie. On peut attribuer ce geste à Jaspers et le dater de 1913, moment d‟une première publication de l‟ensemble des connaissances psychopathologiques de l‟époque parue sous le titre de Psychopathologie générale.

Bien que la fondation d‟une psychopathologie de la vie quotidienne soit antérieure, celle-ci n‟avait pas pu gagner à ce moment-là sa carte de citoyenneté dans les débats dits scientifiques.

Jaspers introduit la version d‟une psychopathologie fondée fortement sur des aspects méthodologiques et dont la compréhension est la méthode privilégiée. La même méthode que Lacan, quelques années plus tard, mettra au premier plan de sa thèse de doctorat « De la psychose paranoïaque dans ses rapports1 avec la personnalité » Ŕ raison qui justifierait sa réticence à la republier- pour après la critiquer avec insistance dans son séminaire sur les psychoses.

La psychopathologie de Jaspers est une psychopathologie de la conscience et de la compréhension des enchaînements du sens. Ce qui est au-delà du sens et de la conscience n‟est pas compréhensible mais éventuellement explicable, causalement, à partir de la mise en place des hypothèses concernant une étiologie supposée dans les organes, bien que reconnue non saisissable. La psychopathologie devient ainsi une discipline conceptuelle dont la profession pratique est la psychiatrie.2

Une des premières questions que je me suis posée était celle de la différence entre une recherche en psychopathologie et une recherche en psychanalyse, étant donné que mon option de recherche n'était pas celle d'envisager la psychose à partir de la doctrine mais d'interroger la pratique de la cure des psychoses à partir du discours analytique et de l'éthique qui lui est relative. Il s‟agit d‟abord d‟une décision par rapport au champ d‟inscription d‟une recherche. On peut prendre comme exemple d‟une recherche en psychopathologie - orientée par les notions de la psychanalyse- la thèse de

1C‟est nous qui soulignons et nous l‟avons fait car Lacan se rétracte quant au titre de sa thèse quarante-trois ans plus tard. La rétractation concerne justement le point des rapports, c‟est-à-dire ce que Lacan avait pris de Jaspers: « Il fut un temps, avant que je ne sois sur la voie de l‟analyse, où j‟avançais dans une certaine voie, celle de ma thèse De la psychose paranoïaque dans ses rapports, disais-je, avec la personnalité. Si j‟ai si longtemps résisté à sa republication, c‟est simplement parce que la psychose paranoïaque et la personnalité n‟ont comme telles pas de rapport, pour la simple raison que c‟est la même chose.» Jacques Lacan, 1975-1976, Le séminaire. Livre XXIII. Le sinthome. Paris : Seuil, 2005, p. 53.

2 Karl Jaspers, 1913, Psychopathologie générale, Paris: Bibliothèque des introuvables, 2000.

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Stéphane Thibierge1 à propos des pathologies de l‟image du corps. L‟auteur y dédie un chapitre à la découverte en clinique où il propose qu‟une observation Ŕ dans ce cas celle du syndrome de Frégoli- peut rendre possible une lecture et une appréciation nouvelle des phénomènes: « Certes la clinique n‟invente pas le réel du symptôme. Mais ce réel est indéterminé avant d‟être nommé, et les termes dans lesquels il le sera en définiront la portée clinique, théorique, voire sociale, qui réagiront à leur tour sur ce réel lui-même.»2 Thibierge souligne ainsi l‟incidence des effets de nomination dans la clinique et il récupère les anciennes descriptions psychiatriques : «Si ces descriptions nous retiennent, c‟est qu‟elles participent d‟une lecture qui reste au plus près de l‟interrogation et de l‟explicitation formelles des énoncés produits par les patients.»3 Voilà une perspective dans la recherche en psychopathologie: les notions psychanalytiques permettraient de saisir les faits autrement en apportant de nouvelles lectures, démontrant ainsi la valeur doctrinale de la clinique.

Une autre proposition de recherche en psychopathologie, pour ainsi dire psychanalytique, est celle de M-C Lambotte. Dans sa thèse sur le discours des mélancoliques, elle part méthodologiquement d‟une analyse phénoménologique du discours des patients: « Or, précisément, c‟est bien un mode d‟approche naturel, exempt d‟interprétations trop réductrices, qu‟il s‟agit d‟adopter pour tenter de cerner une affection qu‟à la fois la variété des symptômes et, en conséquence, la mouvance du concept, ont fini par verser dans l‟ambiguïté diagnostique.»4 Il s‟agit premièrement d‟« appréhender l‟expérience clinique sans explication a priori » pour, deuxièmement, en faire une élaboration métapsychologique, laquelle signifie cette expérience en l‟interprétant. L‟approche métapsychologique se constitue ainsi comme le mode d‟élaboration spécifique de la psychanalyse selon Lambotte, perspective d‟ailleurs partagée par P-L Assoun5. L‟attitude phénoménologique devrait « présider à toute approche clinique d‟une „situation‟ problématique vécue, qu‟elle soit d‟ordre

1 Stéphane Thibierge, 1999, Pathologies de l’image du corps. Études des troubles de la reconnaissance et de la nomination en psychopathologie. Paris: PUF

2Stéphane Thibierge, 1999, op. cit., p.54, n. 1.

3 Stéphane Thibierge, 1999, op. cit., p.59.

4Marie-Claude Lambotte, 1991, Le discours mélancolique. De la phénoménologie à la métapsychologie, Réimpression augmentée d‟une préface, Paris: Ed. Anthropos Economica, 2003, p.XIII.

5Cf. infra 191-192.

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psychiatrique ou psychanalytique.»1 , et ainsi « se défier de la connaissance a priori, de même que des systèmes d‟explication que, pour les besoins du raisonnement déductif, on ne peut remettre en cause, et ceci en dépit de la richesse d‟une expérience clinique qui les dépasse nécessairement en compréhension, devrait ainsi guider toute recherche qui se propose d‟envisager la question essentielle de Freud »2. Il s‟agit alors d‟un départ phénoménologique qui laisse de côté les présuppositions. Ce qui est étonnant est que Lambotte affirme aussi: « Mais nous n‟avons pas cru devoir traiter dans ce travail de la position de l‟analyste et avec elle, de la thérapeutique propre à la mélancolie, ces questions méritant, à notre avis, une nouvelle étude sur la base nécessaire de celle que nous venons d‟achever.»3 Nous pouvons entendre que l‟idée sous-jacente est que la phénoménologie des symptômes et du discours ne serait pas influencée par la position de celui qui l‟écoute, au point de ne pas inclure le traitement de la position de l‟analyste dans la recherche.

On pourrait souligner ici une des caractéristiques d‟une recherche en psychopathologie: il s‟agit d‟un abord phénoménologique qui tend à exclure la dimension de la position de celui qui recueille les données. À notre avis, la description

« phénoménologique» du discours des patients et leurs symptômes ne peut pas être conçue en dehors de l‟intervention que l‟écoute analytique produit sur eux. La présentation des symptômes et du discours change selon la position de celui qui les interroge. C‟est le grand enseignement de la rencontre freudienne avec l‟hystérie. La clinique du regard chère à Charcot produisait les grandes spectacles des présentations de malades et alors les « grandes hystéries ». L‟intervention freudienne d‟offrir une écoute de la souffrance entraîne une déflation des présentations affolées pour nous plonger dans le champ des « petites hystéries ». Ladite phénoménologie n‟est pas étrangère au dispositif dans lequel le recueil des données se fait. Nous pensons que l‟étude des psychoses n‟échapperait pas à ce constat, nous aurions dans les « psychoses ordinaires»

l‟effet de l‟écoute analytique sur la présentation des symptômes. Ne pas prendre en compte la position de l‟analyste comme faisant partie du symptôme même peut paraître cohérent dans une recherche en psychopathologie, mais dans une recherche en

1Marie-Claude Lambotte, 1991, op.cit., p. XIV.

2Marie-Claude Lambotte, 1991, ibid.

3 Marie-Claude Lambotte, 1991, op.cit., p. 13.

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psychanalyse cela impliquerait l‟oubli de la nouveauté introduite par la découverte freudienne. Il n‟y a « pas de clinique sans éthique ».

La recherche en psychopathologie me semblait ainsi être plus proche des avancées doctrinales fondées sur une phénoménologie prétendue pure. Le mot même indique qu‟en psychopathologie on a une idée du psychique et aussi de sa pathologie: la référence à une certaine norme de ce qui serait pathologique et de ce qui ne le serait pas est inévitable : « L‟expérience nous le montre Ŕ une forme d‟analyse qui se targue d‟un cachet tout spécialement scientifique aboutit à des notions normatives ».1 Dans ce cadre l‟étude des psychoses a eu une place d‟importance en tant qu‟exemple princeps du

« pathologique ». Mais la psychanalyse part justement d‟une subversion des normes, la pathologie et la normalité sont tellement bouleversées qu‟on peut dire autant que la névrose est la norme et que la psychose est la normalité.

La psychopathologie en tant que discipline, si on prend comme fondation la Psychopathologie générale de Jaspers, est née dans le champ de la médecine, plus précisément, de sa sœur pauvre: la psychiatrie. Rapidement, elle prend le bagage clinique construit par la tradition psychiatrique classique et énonce des hypothèses par rapport aux mécanismes en jeu. Lesdits mécanismes relèvent de différents registres:

organiques, psychiques, toxiques. Les efforts de cette psychopathologie naissante, dont l‟un des représentants éminents était Eugen Bleuler, pour incorporer les mécanismes freudiens de condensation et déplacement se limitent à prendre en compte ceux-ci dans la description des phénomènes. La psychopathologie s‟installe comme discipline qui étudie les mécanismes en jeu dans le pathologique et continue à être une discipline très liée à une conception mécaniciste. Cet abord conduit à un effacement de la dimension du choix de satisfaction que la mise en place de ces mécanismes entraîne, ainsi que de la position subjective que lesdits mécanismes révèlent. Très tôt, on peut voir comment Freud n‟a pas négocié l‟effacement de l‟étiologie sexuelle, une des raisons de la dispute et séparation de Jung. Une rupture entre la psychopathologie de raison psychiatrique et la psychanalyse s‟est produite: celle-là prend le symptôme comme indice du pathologique et produit de l‟action d‟un mécanisme, par contre celle-ci conçoit le symptôme comme une modalité de jouissance méconnue par le sujet. À ce propos, Freud sépare clairement la position du psychanalyste de celle du psychiatre:

1Jacques Lacan, 1959-1960, Le séminaire. Livre VII. L’éthique de la psychanalyse. Paris : Seuil, 1986, p. 160.

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187 Le psychiatre essaie d‟abord de caractériser le symptôme par une propriété essentielle. (…) C‟est certainement quelque chose, mais est-ce tout ce que nous voulons savoir ? Tout ce qui a contribué à la causation de ce cas de maladie? Devons-nous nous contenter d‟accepter que c‟est une chose indifférente, arbitraire ou inexplicable qu‟un délire de jalousie se soit développé au lieu de n‟importe quel autre? Et sommes-nous autorisés à comprendre la proposition qui proclame la prédominance de l‟influence héréditaire également en un sens négatif, soit en disant que peu importe à quelles expériences la vie a soumis cette âme, qu‟elle était destinée à produire un délire un jour ou l‟autre? Vous voudrez savoir pourquoi la psychiatrie scientifique ne veut pas nous donner d‟autres éclaircissements. Mais je vous réponds : Coquin qui donne plus que ce qu‟il a. Le psychiatre ne connaît tout simplement pas de chemin qui permettrait d‟avancer dans l‟élucidation d‟un tel cas. Il doit se contenter du diagnostic et d‟un pronostic pour la suite, incertain malgré une expérience abondante.1

En introduisant la question du choix de la névrose, Freud réintroduit la dimension du sujet dans la souffrance symptomatique, dimension forclose par la science. Lacan voit dans ce geste le génie de Freud: réintroduire la dimension du sujet.

Mais, comment une investigation de cette dimension subjective peut-elle se faire ? Un obstacle souvent remarqué est qu‟il s‟agit d‟un sujet qui prend comme objet d‟études à un autre sujet, et alors comment justifier l‟objectivité espérée d‟une science? De plus, le sujet qui fait de la recherche est-il en position de sujet ou d‟objet? La question du sujet-objet, subjectivité-objectivité est au cœur des débats qui discutent la valeur des connaissances apportées par la psychanalyse. Avant d‟avancer sur ce point, nous allons reprendre les formulations freudiennes à propos d‟une méthode de recherche en psychanalyse, champ où nous inscrivons notre travail.

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