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La sortie de la divergence: conséquences sur la direction de la cure La controverse entre les diverses positions est installée. Miller propose de

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II Comprendre les psychoses

2.1. Avec Lacan?

2.2.4. La sortie de la divergence: conséquences sur la direction de la cure La controverse entre les diverses positions est installée. Miller propose de

l‟éviter en remarquant la différence entre structure et discours : « Ce n'est pas parce que la psychose est hors discours qu'elle est a-structurée »3.

Après avoir saisi ce premier point de difficulté dans la conception des psychoses et de l‟avoir remis en question, on peut affirmer qu‟un premier accord est établi au sein de la communauté lacanienne: il y a structure dans la psychose. En effet, on ne retrouve pas cette sorte de débat dans ce qui suit. Même au niveau des positions qui s‟opposaient, la controverse structure/a-structure semble être réglée si l‟on prend comme évidence les publications postérieures des auteurs engagés dans le débat. Melman va intituler son séminaire de 1983 « Structures lacaniennes des psychoses », quoiqu‟il y développe

1 Jacques- Alain Miller, 1979, ibid.

2Jacques- Alain Miller, 1979, Intervention aux compléments. Lettres de l’École. Les psychoses, 27, p. 244.

3 Jacques-Alain Miller, 1979, op. cit., p. 137. Ensuite il ajoute : « Peut-être pourrions-nous éviter la controverse si nous acceptions de cliver structure et discours, et si nous pouvons considérer comme un des résultats de ces journées de travail qu'il n‟y a pas structure que de discours, puisqu'il y a structure de langage ».

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surtout des aspects liés à la différence entre hystérie et psychose1. Du côté des Lefort, ils publieront « Les structures de la psychose»2 en 1988.

D‟autre part, les questions commencent à tourner autour de la cure entendue comme possible par quelques auteurs et comme impossible par d‟autres : tacitement, une autre controverse émerge. De ce fait, on peut souligner par exemple que le titre de la table ronde des journées de 1979 ne vise pas tant la question de la structure que la position des analystes dans la cure: « En quoi la psychanalyse est-elle intéressée par la psychose ? En quoi les psychotiques peuvent-ils relever d‟un abord par des psychanalystes ?»3 Les réponses sont variées et nous permettent de nous apercevoir de ce qui se passait au niveau de la pratique clinique. L‟élaboration théorique étant réduite plutôt à un état d‟ébauche, cela nous a permis de trouver une pratique clinique qui n‟est pas tout à fait influencée par les préjugés théoriques.

La question de la position de l‟analyste dans la cure reste problématique et Miller souligne que ce point échappe aux efforts de théorisation: « Cela ne nous laisse pas forcément plus éclairés sur la question de la manœuvre du transfert dans la cure.

Lacan, à la fin de son écrit en 1958, dit la question encore prématurée. La question, à ces journées de travail, on peut peut-être la poser : vingt ans après, la question de la manœuvre du transfert à propos du traitement possible de la psychose est-elle tout autant prématurée? »4

Les développements théoriques sont prépondérants dans les discussions, les questions par rapport à la cure restent en second plan. Bien que l‟on ne doute pas des fondements cliniques de ces débats, il est clair qu‟à ce moment de l‟élaboration c‟est la théorie qui gagne du terrain sur une clinique qui semble être éloignée des avancées théoriques. En ce qui concerne le traitement des psychoses, on peut repérer deux sortes de positions entre les analystes lacaniens. D‟un côté, celle de soutenir l‟extériorité de la psychose au champ psychanalytique Ŕ la psychose étant au-delà de la psychanalyse- et de l‟autre, celle de situer la psychose au sein même de la formation des analystes.

1 Cf. 3.2.2.

2 Rosine Lefort & Robert Lefort, 1988, Les structures de la psychose. L’enfant au loup et le président.Paris: Seuil.

3 Titre de la table ronde des journées. p. 213.

4 Jacques-Alain Miller, 1979, op. cit., p. 131.

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Rosine Lefort affirme, par exemple, qu‟elle a été l‟analysante de sa patiente psychotique et que grâce à elle, celle-là est devenue analyste.1 Bien qu‟un autre membre du cartel conteste partiellement cette déclaration : « L‟analyse du psychotique et l‟analyse de l‟analyste sont comme deux séquences qu‟il faut absolument maintenir séparées, sans synthèse possible entre elles, sauf à y déposer le nom propre de Lacan »2.

Bruère-Dawson défend le travail analytique avec des patients psychotiques et il affirme aussi que « La pratique d‟une approche analytique des psychotiques a, pour l‟analyste, valeur de formation au sens où le psychotique l‟interpelle au plus vif de son être (…) J‟ai réalisé l‟importance de l‟interférence du discours de Maurice et de mon propre inconscient. »3 La possibilité de causer un travail analytique dépend dans ce cas de ce que l‟auteur nomme « implication personnelle » de l‟analyste dans la cure. Dans la même veine, Fainsilber propose une définition commune de l‟identification au symptôme chez l‟analyste et chez le paranoïaque, situant cette identification comme condition de guérison de la paranoïa4.La question de la cure des psychotiques se mêle avec celle de l‟analyse didactique, et va jusqu‟à la dénonciation : « (…) en fait les analystes qui font des bouffées délirantes, il y en a beaucoup, et on n‟en parle pas, de ça, jamais ! »5. La psychanalyse est concernée par la psychose jusqu‟à son fondement le plus intime: la formation des analystes.

Quoi qu'il en soit, tous semblent être d‟accord sur ce point : il y a des analyses de psychotiques et il y a aussi des analystes psychotiques, mais on n‟en parle pas assez.

Melman avait déjà dit au début des Journées que la cure analytique des psychoses était un sujet dont on ne s‟entretenait pas beaucoup6. Marc Strauss remarque aussi à ce propos « Quant à ce qui se passe sur les divans, le silence officiel est impressionnant, tempéré par quelques murmures de couloir du style: „J'en ai allongé deux ou trois !‟ »7

1 « C‟est Nadia qui a fait que je suis devenue analyste. J‟ai été dans le fond son analysante ». Rosine Lefort, 1979, Intervention aux compléments. Lettres de l’École. Les psychoses, p. 243.

2 Radmila Zygouris, 1979, Intervention à la table ronde. Lettres de l’École. Les psychoses, 27, p. 219.

3Claude Bruère-Dawson, 1979, op. cit., p. 120. Par rapport à l‟implication Cf. 4.2.2.

4 Liliane Fainsilber, 1979, L‟identification au symptôme de l‟analyste et du paranoïaque. Lettres de l’École. Les psychoses, 27, p. 179.

5 Radmila Zygouris, 1979, Intervention à la table ronde. Lettres de l’École. Les psychoses, 27, p. 219.

6 Charles Melman, 1979, op. cit., p. 16.

7 Marc Strauss, 1979, Intervention à la table ronde. Lettres de l’École. Les psychoses, 27, p. 214.

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Il y a aussi des positions plus extrêmes: « La question de tous ces analystes, c‟est : „j´ai des psychotiques chez moi ? Qu‟est-ce qu‟ils font, ces psychotiques ? Ils crèvent au bout du compte. C‟est la question que je pose. »1

D‟ailleurs, ce qui semble se dessiner c‟est l‟effet que les psychoses produit chez les analystes à ce moment: admiration2, fascination3, interrogation4, amour5, désir6, angoisse7, demande8, effort de comprendre9.

1Monique Menard, 1979, Intervention à la table ronde. Lettres de l’École. Les psychoses, 27, p. 223.

2 « Il y a une phrase de Lacan que je trouve très éclairante (il n'y en a pas beaucoup de lui sur la schizophrénie) qui est assez récente, qui doit être dans un texte comme L'Etourdit, qui situe le schizophrène comme celui à qui fait problème de se retrouver avec ses organes sans le secours d'aucun discours établi ; ça doit d'ailleurs nous inspirer - en tout cas moi c'est ce que ça m'inspire - beaucoup d'admiration pour ceux et celles qui s'occupent à essayer de rétablir un discours. » (C‟est nous qui soulignons). Jacques- Alain Miller, 1979, op. cit., p. 138.

3 « Alors, comme nous sommes des névrosés, il y a quelque chose dans la psychose qui évidemment nous fascine parce que nous avons affaire chez le psychotique à quelqu‟un qui, lui, semble avoir réussi à s‟épargner ce piège, à éviter ses conséquences. Autrement dit, à être dans un rapport avec la structure beaucoup plus pur que nous ne le sommes nous-mêmes, dans un rapport, on pourrait dire si ce terme a un sens : beaucoup plus primordial. » (C‟est nous qui soulignons) Charles Melman, 1979, op. cit., p. 238. L‟on peut repérer ici comment Melman a pris en compte la proposition de Miller à propos de « la psychose, c‟est la structure ».

4 « En effet, la psychose, extérieure au départ au champ de la psychanalyse et préexistant à l‟avènement du champ freudien, n’a cessé d’interroger ceux qui ont retrouvé Freud, suscitant une surabondance luxuriante de productions diverses. Et il pourrait être utile de poser la question du lieu de cette interrogation (…) Théoriquement pourtant il est frappant de constater à quel point la psychose suscite, interroge l'analyse, 1‟étrangeté de certaines rencontres qui y sont faites. Je rappellerai les propos de Freud sur le texte de Schreber concernant la particulière accointance de élucubrations avec sa propre théorie de la libido, ainsi que le moment où il écrit que lui, Freud, a réussi là où le paranoïaque échoue. » (C‟est nous qui soulignons) Jean-Pierre Klotz, 1979, Intervention à la table ronde. Lettres de l’École. Les psychoses, p. 213.

5 « Mais à partir de là, qu‟à un sujet pris dans l‟écoute du discours psychotique, l‟impossible d‟être pris dans la structure des lois de la parole se fasse interdit, soit se fasse cause d‟un désir, ceci nous permet de parler de l’amour de la psychose, amour où la méconnaissance de la structure à l‟œuvre, rabat la question de l‟objet-cause à celle de la recherche d‟une cause, supposant ainsi un savoir secret, dont la découverte pourrait faire l‟objet d‟une recherche ; entreprise dont on sait qu‟elle n‟est jamais sans le risque de toucher à la folie, la folie du psychanalyste s‟entend.

Ainsi nous semble-t-il, si la psychose concerne la psychanalyse Ŕ et c‟est une question d‟éthique- c‟est dans sa fonction d‟excès, de bord à celle-ci » Marc Strauss, 1979, Intervention à la table ronde. Lettres de l’École. Les psychoses, p. 214.

6 «Cela fait que Ŕ et n‟est-ce pas là une épreuve diagnostique de psychose ?- que pour l‟analyste s‟autorisant de lui-même, il est amené forcément à désirer, en place de l‟Autre, c'est-à-dire donc de Dieu » (C‟est nous qui soulignons).

Jean-Jacques Moscovitz, 1979, S‟autoriser analyste face à la psychose. Lettres de l’École. Les psychoses, p. 92.

7« La théorie, quand on a affaire à des psychotiques, ça sert aussi à colmater l‟angoisse de l‟analyste devant le psychotique, et comme il est moins angoissé, il est plus disponible, et quelque chose se trace que perçoit le psychotique » Jenny Aubry, 1979, Intervention à la table ronde. Lettres de l’École. Les psychoses, p. 220.

8 « Quand ils [les psychotiques] sont dans l‟asile, à ce moment-là, il y a les thérapeutes qui les cherchent et qui son, eux, en position de demande. Et quand ils sont en position de demande, est-ce qu‟eux sont prêts - j‟allais dire : à donner, en position d‟échange (…) Qu‟est-ce qu‟un analyste vient chercher auprès des psychotiques ? Rencontrer d‟autres analystes, se faire aimer d‟autres analystes !» (C‟est nous qui soulignons). Une intervenante, 1979, Intervention à la table ronde. Lettres de l’École. Les psychoses, p. 218.

9 « Est-ce que ce n‟est pas quelque chose qui est frappant avec les psychotiques, qu’ils nous forcent à comprendre ? Mais est-ce que ça touche quoi que ce soit du discours du psychotique ? » (C‟est nous qui soulignons). Marc Strauss, 1979, Intervention à la table ronde. Lettres de l’École. Les psychoses, p. 217.

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Les psychanalystes sont concernés par la psychose. Comme nous venons de l‟exposer, les réponses des analystes face à ce rapport de «concernement » sont multiples. Il y a les enthousiastes qui donnent valeur de formation à l‟analyse des psychotiques et il y a ceux qui remarquent les indications négatives par rapport à la cure des psychotiques. Il y a au moins deux extrêmes : la psychose comme objet d‟étude et la psychose en traitement dans le dispositif analytique.

Moscovitz, par exemple, affirme que la psychose est une limite radicale de l‟analyse1: « (…) il n‟y a pas d‟analyse qui soit impossible, mais qu‟il y a des analyses limitées et limitées singulièrement par la psychose, où l‟analyste parlerait pour ainsi dire à la limite, au sens matériel, à une barrière, à un mur »2. L‟auteur justifie cette forte affirmation du fait de l‟inversion de la demande analytique initiale par laquelle l‟analyste se retrouve analysant face au psychotique. Cet « excès de subjectivation de l‟analyste» implique une limite imposée par la psychose dans la cure tant qu‟il y aura

« éradication du désir de l‟analyste »: paradoxe de l‟excès d‟analyste et de son désir auquel le psychotique nous renvoie3. Selon Moscovitz, le psychotique vient chercher le trauma auprès de l‟analyste qui a alors une « fonction de lest »4, de « tiers prothétique.»

Le travail de l‟analyste auprès du psychotique consisterait en la contention de ce trauma.

La stratégie implicite de l‟analyste est sa position de prothèse imaginaire.

Cette position est contestée car la production des effets imaginaires persistants dans la cure est entendue comme une pratique psychothérapeutique plus pragmatique que psychanalytique: « Qu'un thérapeute, pour des raisons qui lui sont propres, puisse penser qu'il est préférable qu'un psychotique soit socialement inséré plutôt que chronique d‟hôpital psychiatrique est certainement légitime, mais ne le distingue en rien comme psychanalyste. »5 Un autre débat émerge, celui des caractéristiques qui

1 Jean Jacques Moscovitz, 1979, op. cit., p. 93.

2 Jean Jacques Moscovitz, 1979, op. cit., p. 91.

3 Jean Jacques Moscovitz, 1979, op. cit., p. 89.

4 Jean Jacques Moscovitz, 1979, op. cit., p. 94.

5 Marc Strauss, 1979, op. cit., p. 214.

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spécifient une pratique en tant que psychanalytique et alors celui de savoir si le traitement possible des psychoses peut s‟y inscrire.

En ce point, la question du traitement des psychoses se heurte à celle du désir de l‟analyste. Il y a ceux qui disent que les psychotiques ont causé leur désir d‟analyste.

D‟autres remarquent l‟absence de désir dans la psychose1. L‟éthique de la pratique analytique est au cœur des discussions.

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