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La position de Robert Lefort : la psychose, c’est une a-structure

Dans le document tel-00871338, version 1 - 9 Oct 2013 (Page 63-66)

II Comprendre les psychoses

2.1. Avec Lacan?

2.2.2. La position de Robert Lefort : la psychose, c’est une a-structure

La position de Robert Lefort à propos de la structure de la psychose est plus radicale et moins vacillante que celle de Melman. Robert Lefort va jusqu‟à dire que la structure de la psychose est une «illusion»3. C‟est sans doute une position extrême et peu argumentée lors des journées de 1979, néanmoins d‟une énonciation tellement décisive qu‟elle a éveillé des débats. Il faut noter que cette position surgit de l‟expérience clinique avec des enfants psychotiques, plus précisément de quelques cas travaillés par Rosine Lefort. Nous pouvons déjà avancer que c‟est dans le domaine de la clinique analytique des enfants psychotiques que l‟on a trouvé les positions les plus audacieuses par rapport au traitement de la psychose4.

1 «Donc essayer dans un premier temps (de ce que j‟essaie de faire) de faire valoir ce discours du bon sens commun pour que puisse être identifié comme tel et éventuellement au fur et à mesure tout ce qui se présente, émerge comme étant à proprement parler symptôme psychotique. » Charles Melman, 1979, op. cit., p. 16.

2 Charles Melman, 1979, ibid.

3 Robert Lefort, 1979, Intervention aux Compléments, Lettres de l’École. Les psychoses, p. 241.

4 Il faut dire aussi que cet état de la question s‟occupe du traitement analytique des psychoses en adultes. On considère que le traitement analytique des enfants psychotiques mériterait sans doute tout un désarroi que l‟on n‟est pas en mesure de faire dans le cadre de cette thèse.

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La conception de la forclusion paraît exclure l‟existence de l‟effet signifiant dans la psychose, dans les termes de Robert Lefort : « Là encore la structure s‟y démontre signifiante, et le psychotique, dans son ratage, y témoigne encore de cette vérité qu‟en dehors du signifiant, il n‟y a pas de structure. Il s‟agit pour lui d‟une a-structure.»1 Robert Lefort préfère le terme d‟a-sujet ou d‟assujetti pour se référer au psychotique et il pose à Jacques-Alain Miller la question de «savoir si véritablement on peut encore parler de structure, de psychose, à condition d‟en éliminer le sujet»2. Le psychotique est laissé à nouveau en dehors de la structure, en dehors du signifiant et en dehors du sujet :

« (…) l‟a-structure apparaît au niveau du corps du psychotique, chez ce bébé de trente mois qui montre comment, en l‟absence de signifiant, une structure de corps ne peut pas naître. »3

Les réactions à cette proposition seront nombreuses. À notre avis, celle de Gérard Pommier est digne d‟être réétudiée. Pommier s‟appuie sur l‟évidence clinique sur laquelle on peut constater qu‟une grande partie des crises psychotiques sont réversibles (les « périodes de stabilisation » dont on a parlé tout à l‟heure) et que par conséquent les effets de la forclusion sont partiels (il remarque « les effets » pour se différencier apparemment de la proposition de la forclusion partielle de Melman).

Pommier conclut que le terme d‟a-structure ne rend pas compte de l‟expérience clinique. Mais il ne s‟arrête pas là et il essaie d‟extraire les conséquences de cette hypothèse de l‟a-structure. Gérard Pommier propose donc l‟argumentation suivante:

Ainsi cette terminologie : l‟astructure, équivaut à dire que les psychoses ne sont pas structurées par le signifiant, y compris dans sa mise en défaut ; et c‟est ce qui aboutirait logiquement à énoncer que les psychotiques ne sont pas des sujets. C‟est là une assertion qu‟il serait plus décent, pourtant, de laisser dans la bouche des ascendants et collatéraux du sujet psychosé, et vous voyez par là-même que c‟est là un point par où nous touchons au désir de l‟analyste, je veux dire au désir des analystes qui adhéreraient à cette assertion que les psychotiques ne sont pas des sujets.

C‟est un fait que les psychotiques partagent avec les enfants le très désagréable inconvénient de démasquer de façon un peu brutale ce qu‟il en est du désir de l‟analyste. C‟est bien pourquoi on entend couramment professer qu‟il n‟y a aucun acte analytique opérable de leur côté. Et comme toujours, ce qui est mis là en question du côté du

1 Rosine Lefort & Robert Lefort, 1979, « Miroir et psychose. À partir de deux cas Nadia (13 mois) et Marie-Françoise (30 mois) ». Lettres de l’École. Les psychoses, p. 18.

2 Robert Lefort, 1979, op.cit., p. 241.

3Robert Lefort, 1979, op.cit., p. 244.

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65 désir de l‟analyste, c‟est sa position par rapport à l‟idéal (…) il faut bien voir jusqu‟où peut aller la dénégation de la position subjective du sujet psychosé.1

Un rapport est établi par cet auteur entre l‟abord de la psychose et le désir de l‟analyste, alors qu‟il remarque que souvent les analystes disent qu‟il n‟y pas d‟acte analytique possible avec les psychotiques. Cet apport nous semble précieux et nous allons le reprendre dans ce qui suit. Pour conclure, chez Lefort et chez Melman le terme de structure ne serait pas pertinent pour parler de la psychose. Les contestations de cette thèse ne vont pas tarder.

O. Mannoni doute que la discussion soit seulement théorique et il se dit étonné du débat sur la structure généré par le travail des Lefort. Il remarque le côté politique de cette controverse: « Alors, il peut arriver quelque chose d‟autre : il peut arriver que ce ne soit plus la vérité qui soit la seule valeur de la théorie, il peut arriver que ce soit politique, qu‟une théorie par exemple permette de se grouper autour d‟un théoricien. »2 Pierre Lacas va un peu plus loin quand il dénonce le hiatus existant entre « deux catégories de personnes » à l‟intérieur de l‟École : les intellectuels qui travaillent avec des mathèmes et les praticiens3. Sans doute ces positions nous montrent les divergences qui agitaient l‟École à ce moment-là.

C‟est Jacques-Alain Miller qui, à son tour, donnera le mot d‟ordre dans le débat en essayant d‟éviter une controverse qui semblait finir en scission. Sa position sera aussi extrême : il va soutenir que la psychose, c‟est la structure même. Cette affirmation -qui surgit au sein du débat que l‟on vient d‟exposer- aura des résonances dans la communauté lacanienne durant les années suivantes, car elle donnera lieu à l‟idée de la psychose comme structure à l‟état pur et comme normalité de la structure.4

1 Gérard Pommier, 1979, Intervention aux Compléments. Lettres de l’École. Les psychoses, p. 228-229.

2 Octave Mannoni, 1979, Intervention aux compléments. Lettres de l’École. Les psychoses, p. 231.

3 « Mais il est bien certain pour moi que, de plus en plus, à l‟intérieur de l‟École Freudienne, pour schématiser, et caricaturer un peu, il existe deux grandes catégories de personnes : les intellectuels, qui, ayant une approche clinique plus ou moins précise, ou plus ou moins lointaine, partent d‟écrits de Schreber, de Lacan, que sais-je, et se mettent à philosopher là-dessus. Et là, ils travaillent, ils font des graphes, ils brassent les mathèmes. Et puis il y en a d‟autres, qui sont peut-être beaucoup moins bavards que ces derniers, qui ont peut-être moins de facilité de parole, et moins de capacité d‟exposer dans un discours plus ou moins philosophique, et ceux-là se collètent plus difficilement et moins efficacement Ŕ c‟est une question- avec la pratique. Et il y a de plus en plus un hiatus considérable, me semble-t-il, à l‟intérieur de l‟École, entre ces deux catégories des personnes.» Pierre Lacas, 1979, Intervention aux compléments.

Lettres de l’École. Les psychoses, p. 239.

4 Cf. 3.2.3.

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