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Les sorties du programme de francisation : une occasion d’entrer en contact?

CHAPITRE 4 L’APPRENTISSAGE DU FRANÇAIS : UNE ÉTAPE IMPORTANTE MAIS DIFFICILE

4.1 L A FRANCISATION À Q UÉBEC ET LE PROGRAMME DU C ÉGEP DE S AINTE F OY

4.1.3 Les sorties du programme de francisation : une occasion d’entrer en contact?

Il a été mentionné ci-haut que le programme de francisation du Cégep de Sainte-Foy offre aux élèves plusieurs opportunités de découvrir de nouveaux lieux et de nouvelles activités, avec plusieurs types de sorties. Ces sorties, spécifiques à chaque groupe-classe, permettent de mieux connaître le milieu d’accueil. Elles consistent, par exemple, en visites du Musée de la Civilisation et du Parlement, des Plaines d’Abraham, du Cap Tourmente ou du Canyon Sainte-Anne ainsi qu'à l'initiation à la pratique de sports d’hiver (raquette, ski de fond, patin). D'autres activités, telles les sorties à la Cabane à sucre et la tenue d'un spectacle de Noël, ou encore des visites guidées à Grosse-Ile, sont réalisées avec l’ensemble des groupes en francisation Enfin, des activités mixtes, regroupant des élèves en francisation et des élèves réguliers, comme par exemple de courts séjours d'une fin de semaine en camping, sont habituellement organisés sur une base annuelle.

Ces sorties représentent-elles des occasions, pour les élèves, d’entrer en contact avec des Québécois? En ce qui a trait aux sorties plus régulières réalisées avec chaque groupe, qui sont très structurées, de tels contacts sont plutôt rares. Cependant, lorsque les sorties sont plus libres, qu'elles ont lieu dans des espaces ouverts et que les élèves croisent des gens dans les lieux visités, ils peuvent potentiellement entrer en contact avec ces personnes. Comme le raconte l'animatrice d'un groupe-classe dont le français est de bon niveau :

R : Puis eux, quand je faisais des sorties avec eux autres… Ils parlaient aux gens. Le groupe au complet. Ils parlaient aux gens! T’sé… Je m’en allais me promener dans le Vieux-Québec, ils parlaient à des Québécois. É : Ils allaient les voir spontanément?

R : Bien, en fait non, pas spontanément. Mais, quand les Québécois venaient vers eux et disaient ‘qu’est-ce que vous faites, ta da da’ ‘bien j’apprends le français, Cégep de Sainte-Foy, je suis avec mon animatrice’. Ils avaient une conversation. Moi, ce groupe-là, ils m’ont vraiment impressionnée.

Dans ce cas, les contacts se sont faits parce que certains Québécois étaient curieux d’en savoir plus sur les raisons de la présence du groupe dans le Vieux-Québec. De plus, un dialogue a pu être établi parce que les élèves formaient un groupe fort en français et, par le fait même, étaient en mesure de comprendre les questions et d’y répondre. Dans d’autres contextes, avec des groupes dont le niveau de maîtrise du français est plus faible, établir une conversation peut être ardu.

Dans l’extrait suivant, une autre animatrice explique ce qui s'est passé lors d’une sortie dans le Vieux- Québec :

L’autre fois, il y avait un vieux monsieur québécois là, qui parlait genre avec un accent terrible, qui marmonnait. Puis, il insistait, il leur parlait. À Place d’Youville. Pis moi, je disais ‘bien monsieur, ils comprennent pas ce que vous dites parce que…’ Bien, j’osais pas lui dire ‘parce que vous parlez mal!’ Puis, j’avais beau lui dire ‘ils comprennent pas’, il continuait comme si j’existais pas. […] Donc, ça comme fait vraiment un clash. Moi, j’aurais aimé ça qu’ils puissent interagir entre eux, mais c’était pas possible. Le vieux faisait pas d’efforts pour parler lentement puis clairement. Ça, c’est dommage. […] Il était content de les voir en plus. Avec toute l’histoire des accommodements raisonnables, tu voyais qu’il était quand même ouvert à eux, qu’il voulait en savoir plus. Mais, c’est moi qui répondais. Il leur demandait, mettons, d’où ils venaient. Mais, il demandait pas comme nous on apprend. Il disait pas ‘de quel pays tu viens?’. Il disait ‘vous arrivez d’où, de même?’ [imitant un accent prononcé]. Moi, j’étais comme ‘ils viennent du Népal. Népal, oui, oui, Népal’. T’sé, il n’ajustait pas son niveau de langage à… »

Ces propos montrent bien que les limites langagières constituent un obstacle énorme au développement de relations, ne seraient-elles que ponctuelles, entre réfugiés et Québécois d'origine. En effet, « au premier plan de toute rencontre interculturelle se produit également une rencontre de langues » (Éloy, 2004 : 57). Dans cet exemple, on est face à deux phénomènes qu’Éloy (2004) énumère comme relevant du contact des langues : l’incompréhension — ne pas comprendre ce qui est dit à cause de la barrière de la langue — et l’accommodation – faire l’effort de se faire comprendre. D’un côté, le Québécois n’ajuste pas son niveau de langage pour que les élèves en processus d’apprentissage du français puissent le comprendre (ici, la non- accommodation) et, de l’autre côté, les élèves ne comprennent tout simplement pas les propos de leur interlocuteur et ne maîtrisent pas assez le français pour être en mesure de tenir une conversation complexe (l’incompréhension).

Comme je l'évoquais précédemment, des intervenants du Cégep de Sainte-Foy organisent chaque année des activités interculturelles pour créer des opportunités réelles, pour les élèves en francisation, d’entrer en contact avec des Québécois. Comme je l’expliquerai de façon plus approfondie dans le chapitre six, il s’agit de créer un prétexte à la rencontre. Si certains contacts sont effectivement établis entre Bhoutanais/Népalais et Québécois lors de ces occasions - ce qui se traduit souvent en demande d’ajout en tant qu’ami, sur Facebook - il est difficile de dire si les liens perdurent par la suite. En ce qui concerne Sajita et son mari, la relation a évidemment évolué positivement dans le temps après leur rencontre durant un rallye. Néanmoins, un professeur du cégep m’a informée — à deux reprises, pour deux activités différentes – que ses élèves lui avaient dit qu’ils s’attendaient à ce que les Québécois prennent davantage d’initiatives pour établir le contact avec eux. Le problème de ce type de rencontre est donc que, de chaque côté, certaines personnes attendent souvent que l’autre fasse le premier pas pour venir vers eux. Cela nuit à l'atteinte de l’objectif de ces activités – favoriser la rencontre interculturelle. Je reviendrai sur ces contacts interculturels au chapitre six.